De la Russie à l'Afrique du Sud, le parcours désespéré d'un prédateur de la préhistoire

L'extinction Permien-Trias a éradiqué 70 % des espèces terrestres. Pendant que les survivants faisaient preuve de créativité, d'autres se battaient jusqu'à leur dernier souffle.

De Riley Black
Publication 5 juin 2023, 10:25 CEST
Karroo_Inostrancevia_Color

Cette scène de la préhistoire représente un prédateur, Gorgonopsian inostrancevia, intimidant une espèce plus petite dans le sud de l'Afrique. La succession rapide des prédateurs à la fin du Permien est révélatrice d'une extinction qui a longuement duré.

PHOTOGRAPHIE DE Illustration by Matt Celeskey

Les fossiles n'avaient rien à faire là. L'identification de ce prédateur aux dents de sabre et à la carrure d'ours, Inostrancevia, est initialement liée à la découverte d'un squelette pris au piège d'une formation rocheuse datée à plus de 253 millions d'années dans le nord de la Russie. Plus récemment, c'est à plusieurs milliers de kilomètres de là que les paléontologues ont exhumé les restes de la redoutable créature au creux d'une roche sensiblement plus jeune en Afrique du Sud.

L'exil de ce carnivore aux longues dents n'est pas une histoire à succès, mais plutôt celle d'un animal tentant désespérément de fuir le chaos de la pire extinction massive que notre planète ait connue. Fruit de l'éruption incessante des trapps de Sibérie, un ensemble de volcans préhistoriques, l'événement survenu à la fin du Permien a rayé de la carte plus de 70 % des espèces animales terrestres.

Inostrancevia semble avoir opté pour une migration de plusieurs milliers de kilomètres à travers le supercontinent Pangée, en direction du sud à la recherche de terrains de chasse plus favorables. Récemment présentés dans la revue Current Biology, les fossiles mis au jour dans le désert du Karoo en Afrique du Sud ont immédiatement été identifiés comme appartenant à une espèce proche du spécimen découvert en Russie. « Leur identification n'a pas posé de problème, » déclare Pia Viglietti, paléontologue au musée Field de Chicago et coauteure de l'étude, notant que la grande taille, la morphologie et quatre incisives supérieures permettent d'identifier l'animal.

Baptisé Inostrancevia africana, le carnivore était un proto-mammifère, un animal plus proche des mammifères que des reptiles malgré quelques attributs hérités de ces derniers. En sondant la roche qui a livré la créature, les chercheurs ont détecté une succession de plusieurs prédateurs sur une brève période. Entre - 259 et - 253 millions d'années, la région était le territoire de chasse de prédateurs similaires, les rubidgeinés.

« C'est une découverte incroyable, » indique Megan Whitney, paléontologue à l'université Loyola de Chicago, non impliquée dans la nouvelle étude. « Inostrancevia était depuis longtemps considérée comme une espèce endémique des roches russes ; le fait de tomber sur cet animal dans le bassin du Karoo en Afrique du Sud suggère donc une répartition géographique étonnamment vaste, » poursuit-elle. De plus, l'identification d'une nouvelle espèce imposante de proto-mammifère dans une zone aussi bien étudiée montre que la région nous réserve encore d'importantes découvertes.

 

LE BAL DES PRÉDATEURS

Même si la présence de l'espèce en Afrique du Sud durant la préhistoire est effectivement surprenante, Inostrancevia africana n'est pas restée bien longtemps dans les parages. L'apparition soudaine de carnivores aussitôt suivie de leur disparition est le signe d'une extinction qui s'étale dans le temps. « L'événement de la fin du Permien a duré plus longtemps que nous le pensions, » indique Jennifer Botha, coauteure de la nouvelle étude et paléontologue au sein de l'université du Witwatersrand à Johannesburg, en Afrique du Sud. La vie aurait enduré ces conditions instables pendant près d'un million d'années.

« Cette succession rapide des prédateurs est la conséquence d'une crise climatique à l'échelle de la planète, » indique Viglietti. L'éruption des trapps de Sibérie a déversé suffisamment de lave pour ensevelir une zone grande comme la France sous près de 200 mètres de roche en fusion. Cependant, c'est la libération d'un formidable volume de dioxyde de carbone et d'autres gaz à effet de serre dans l'atmosphère qui a porté le coup fatal à la vie, en perturbant le climat mondial et en réduisant le niveau d'oxygène dans l'air.

Sur une planète en proie à un réchauffement rapide où l'évolution des températures, les précipitations et l'aridité provoquaient l'effondrement des écosystèmes, l'adaptation ou la migration étaient les seules alternatives pour échapper à l'extinction. « Les conditions ont basculé d'un écosystème humide saisonnier à un environnement toujours plus chaud alternant de manière imprévisible entre inondations et sécheresses extrêmes, » explique Botha. Le caractère brutal et spectaculaire des mutations environnementales a littéralement coupé l'herbe sous les pattes de nombreuses espèces.

« À l'époque où Inostrancevia s'est hissé au sommet de la chaîne alimentaire en Afrique du Sud, la région disposait encore de grands herbivores pour source de nourriture, » indique Viglietti. Après l'extinction de leurs prédécesseurs, une issue semblait possible pour Inostrancevia, mais les changements affectant la végétation ont fini par mener à la disparition de leurs proies et inévitablement à leur propre trépas.

La découverte compromet les hypothèses des spécialistes sur la plus grande catastrophe écologique de l'histoire. Auparavant, comme nous l'explique Whitney, les paléontologues pensaient que les mammifères avaient essuyé de très lourdes pertes, laissant ainsi aux reptiles une chance de combler le vide pendant le Trias. Le fait de trouver plusieurs carnivores venus tenter leur chance avant de disparaître indique « qu'il y avait d'autres forces plus complexes en jeu, » résume la scientifique.

 

COMMENT SURVIVRE À UNE EXTINCTION MASSIVE ?

Les grands carnivores ont souffert du chaos climatique, tout comme la plupart des formes de vie. « Ce défilé de la faune s'est étalé sur quelques millions d'années, une période incroyablement longue à notre échelle, mais un clin d'œil sur l'échelle des temps géologiques, » précise Whitney. Certains organismes ont tout de même réussi à survivre aux conditions hostiles pour atteindre le Trias, lorsque de nouveaux écosystèmes ont vu le jour en rassemblant des « espèces survivantes ».

« Les survivants du Trias inférieur sont parvenus à surmonter la perpétuelle mutation des conditions environnementales, » reprend Botha. « Réagir ou mourir, en quelque sorte. »

Le survivant le plus emblématique du Permien est Lystrosaurus, un proto-mammifère très différent d'Inostrancevia et peut-être même traqué par celui-ci. Lystrosaurus était un herbivore à bec, trapu, ressemblant à un cochon dont la tête serait celle d'une tortue. La datation des roches qui ont livré les fossiles de l'espèce la situent entre le Permien et le début du Trias, offrant ainsi aux proto-mammifères un pied dans l'âge naissant des dinosaures.

Leur succès face à une telle adversité soulève régulièrement la même question chez les experts : comment Lystrosaurus a-t-il survécu là où d'autres se sont éteints ?

Le secret de sa réussite pourrait bien se trouver dans les terriers du proto-mammifère. Face au chaos, Lystrosaurus creusait la terre pour y trouver refuge. « Les terriers semblent avoir joué un rôle décisif, utilisés comme refuge quotidien ou pour échapper aux longues périodes de mauvais temps, » explique Botha. L'animal dont la taille avoisinait celle d'un chien aurait pu utiliser ces terriers pour hiberner pendant les plus rudes des saisons.

Un comportement du type « dormir ou se cacher » a pu permettre au lystorsaure et à d'autres animaux fouisseurs de résister au pire. Par ailleurs, ces terriers ont pu abriter d'autres espèces. Cela ferait de Lystosaurus une espèce ingénieure d'écosystème, offrant à ses contemporains une échappatoire à l'hostilité du monde extérieur.

Lystrosaurus n'a pas développé la capacité de creuser des terriers en réaction à la situation. L'animal en était déjà capable, ce qui lui a offert un avantage inespéré en ces temps difficiles. La plupart des survivants à l'extinction massive semblent avoir eux aussi joué de chance.

« En ce qui concerne les survivants, la présence de traits paléobiologiques innés leur a probablement permis de tirer profit des conditions qui ont provoqué la perte d'autres espèces, » suggère Viglietti. Les façons dont les organismes grandissaient, vivaient en groupe et se reproduisaient sont devenues autant de facteurs de survie décisifs.

Nos propres ancêtres faisaient partie de ceux à qui la chance a souri. Les premiers mammifères ont évolué à partir de proto-mammifères, les cynodontes, qui ont prospéré au Permien avant d'être réduits à une poignée de lignées éparses au Trias. Le fouissement, la capacité à hiberner et une tolérance accrue aux diverses conditions environnementales ont probablement permis aux cynodontes de survivre, indique Viglietti.

« Cela montre à quel point nous avons de la chance d'être ici, » conclut-elle. « Les prédécesseurs des mammifères se sont battu bec et ongle pour traverser plusieurs millions d'années de crise climatique. »

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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