Découverte de fossiles spectaculaires en Australie
Des centaines de fossiles en excellent état de conservation ont été découverts en Australie. Ces plantes, insectes et poissons ont vécu il y a plus de 11 millions d’années.
Cette mouche à scie saisie sur le vif donne une idée de ce à quoi ressemblait la vie d’une ancienne forêt tropicale du sud-est de l’Australie il y a 11 à 16 millions d’années. Du pollen se trouve encore sur sa tête.
Il y a quelques années de cela, Nigel McGrath, propriétaire terrien vivant à environ 25 kilomètres de Gulgong, dans le sud-est de l’Australie, a passé une journée entière à défricher une parcelle qui lui donnait du fil à retordre. Celle-ci était jonchée de gros cailloux riches en fer et dangereux pour son matériel agricole. Il a donc dû les ramasser et les empiler à la main. C’est en plein milieu de cet effort laborieux qu’il les a aperçues : des feuilles fossilisées, dans un état immaculé, comme glissées à l’intérieur des cailloux. On aurait dit un herbier dans un livre de pierre.
Aujourd’hui, la science est en mesure d’affirmer que ces pierres de grès ferrugineux, dispersées sur une zone pas plus grande qu’un demi-terrain de football, renferment les traces de vie tropicale les plus stupéfiantes jamais découvertes.
Dévoilé dans la revue Science Advances, le site de fouilles (qu’on appelle désormais McGraths Flat) est un des seuls endroits connus au monde où sont préservés des écosystèmes tropicaux du Miocène, période ayant commencé il y a 23,03 millions d’années et s’étant achevée il y a 5,33 millions d’années. À cette époque, notre planète a connu des bouleversements écologiques majeurs et l’Australie s’est transformée. Soudain, ce territoire recouvert de forêts tropicales (à l’image de l’Amazonie actuelle) n’était plus que la zone sèche et broussailleuse que l’on connaît aujourd’hui.
On pense que ces fleurs fossilisées appartiennent aux Malvales, un ordre de plus de 7 000 plantes dont font partie l’hibiscus et le cacaotier.
Il existe en Australie d’autres sites paléontologiques célèbres, où l'on a mis au jour des ossements de mammifères et de reptiles. Mais les innombrables petites entités spongieuses qui forment la base des écosystèmes n’y sont pas toujours bien préservées. À McGraths Flat, ces fossiles de taille plus modeste sont présents en abondance. Ils racontent la vie d’une forêt tropicale à la diversité époustouflante qui a vu le jour en Nouvelle-Galles du Sud il y a 11 à 16 millions d’années.
À McGrathsFlat, des araignées se sont fossilisées jusqu’aux poils de leurs pattes, et le ventre de certains poissons est encore rempli de moucherons. Les feuilles sont conservées avec une telle fidélité que les chercheurs peuvent encore y apercevoir les pores par lesquels elles absorbaient le CO2.
« La qualité et la quantité exceptionnelles des spécimens découverts sont remarquables, et les informations biologiques et écologiques extraites et présentées le sont également », déclare Suzanne Hand, paléontologue de l’Université de Nouvelle-Galles du Sud et spécialiste des fossiles du Miocène qui n’a pas pris part à la récente étude.
L’intérieur des fossiles de McGraths Flat recèle de clichés d’une vie en mouvement saisie sur le vif. On a découvert une mouche à scie à la tête couverte de pollen, qui s’était vraisemblablement repue du nectar d’une fleur. Un passager clandestin se cachait sur la queue d’un poisson : il s’agissait de la larve parasitique d’une moule ayant survécu sur le mucus d’un poisson qui l’avait pris en auto-stop en remontant le fleuve.
Ce fossile de pinnule, une subdivision de feuille, provient vraisemblablement d’une fougère appartenant au genre Lygodium. Ses pores de 10 micromètres de diamètre se sont également fossilisés et sont visibles au microscope.
Le site paléontologique de McGraths Flat abrite aussi de nombreuses espèces d’insectes comme cette nymphe de libellule fossilisée.
« Grâce à la qualité de la préservation, nous avons accès à un aperçu inédit de ces écosystèmes », se réjouit Matthew McCurry, co-auteur principal de la nouvelle étude et paléontologue de l’Institut de recherche de l’Australian Museum de Sydney.
DES FOSSILES IMMACULÉS
C’est en 2017 que Matthew McCurry et ses collègues ont entendu parler pour la première fois des terres de Nigel McGrath. Dès qu’ils ont compris l’importance des fossiles qui s’y trouvaient, ils ont commencé à s’y rendre par blocs de trois ou quatre jours à la fois et à se faire la main sur ces pierres aux faux airs de silex pour tenter de se représenter l’ancienne forêt tropicale qui se tenait là.
Plus ils analysaient l’endroit, plus ils se rendaient compte qu’ils avaient affaire à un mode de préservation tout à fait singulier. Les fossiles étaient tous ensevelis sous des couches extrêmement fines de goethite, un oxyde de fer. On avait déjà découvert des fossiles à l’intérieur de roches comme celles-ci auparavant mais la qualité des spécimens mis au jour à McGraths Flat sortait vraiment du lot.
« C’est un mode de préservation qu’on a soit négligé soit ignoré », concède Michael Frese, co-auteur principal de l’étude et virologue de l’Université de Canberra spécialiste des microfossiles. « Si vous aviez demandé à quelqu’un : "Tu penses vraiment qu’on peut découvrir des fossiles grandioses dans du grès ferrugineux ?" On vous aurait répondu : "T’es vraiment naïf !" »
Michael Frese ajoute que ce type inhabituel de fossilisation facilite grandement l’analyse des spécimens découverts à McGraths Flat au microscope électronique à balayage (MEB), un des microscopes les plus puissants sur le marché. D’ordinaire, il faut enduire les échantillons qu’on passe au MEB de fines couches d’or ou de platine. Cela compromet généralement les analyses ultérieures. Mais les fossiles de McGraths Flat sont déjà si riches en fer et si conducteurs qu’on peut les placer directement sous un microscope électronique sans avoir besoin de les préparer.
En l’observant au microscope, on s’aperçoit que ce longicorne transportait un passager : un nématode agrippé à son corps.
Parmi les fossiles de McGraths Flat, on a découvert une plume d’oiseau si bien conservée que ses sacs de mélanine sont encore visibles au microscope électronique.
« Le fossile a le même aspect quand il passe sous le MEB que quand il en sort », indique Michael Frese.
Les plus petits fossiles ont déjà livré des informations étourdissantes. Sur l’unique plume fossilisée découverte sur le site, les chercheurs ont découvert des sacs de mélanine dont la forme indique que celle-ci était soit de couleur sombre soit iridescente. Ils ont également vu de leurs propres yeux la mélanine contenue dans l’œil d’un poisson fossilisé. Et ils ont même découvert une écaille perdue par un papillon ou une phalène il y a plus de 11 millions d’années.
UN BRAS-MORT INONDÉ DE FER
Selon l’hypothèse actuellement retenue par l’équipe, McGraths Flat était autrefois un bras-mort qui s’est formé lorsque le méandre d’un fleuve s’est interrompu. La plupart du temps, ce bras-mort était plutôt calme. Son taux d’oxygène était bas et les prédateurs y étaient peu nombreux. Mais à en juger par la bonne dizaine de fossiles découverts sur le site, des poissons et d’autres créatures fluviales devaient se déverser régulièrement dans le bras-mort, vraisemblablement lorsque le fleuve voisin sortait de son lit et y débordait.
Matthew McCurry et Michael Frese pensent que le fer des dépôts de basaltes voisins s’est dissous dans l’eau en s’échappant de roches en voie de météorisation. Cette eau riche en fer s’est ensuite retrouvée au niveau de la nappe phréatique et a fini par filtrer dans le bras-mort.
Chaque fois que de l’eau riche en oxygène se déversait dans le bras-mort (lors de pluies torrentielles ou de crues), les ions ferreux étaient incapables de se maintenir dans leur état et ne tardaient pas à former de la goethite sur le lit du bras-mort. Ces précipités minéraux brusques ont ensuite enseveli les feuilles ou les carcasses se trouvant dans les profondeurs du bras-mort. Avec le temps, la goethite a remplacé leurs parties molles et pétrifié leur forme dans des fossiles qu’on vient seulement de recueillir.
L’équipe a de bonnes raisons de penser que le cycle de goethite du bras-mort a été provoqué par des moussons saisonnières. La majorité des fleurs fossilisées découvertes à McGraths Flat (on en a découvert des centaines à ce jour) sont mortes avant d’avoir bourgeonné. Les ensevelissements se seraient donc produits à la même saison à chaque fois. L’équipe est également en possession d’un grand nombre de fossiles d’insectes qu’on n’observe, dans les écosystèmes actuels, qu’au printemps et en été.
Sur cette photographie réalisée au microscope électronique et colorée artificiellement, on aperçoit quatre spores d’hépatique (Cingulasporites ornatus). Ces spores servent de référence pour la datation de roches renfermant des fossiles et ont permis aux chercheurs de dater le site de fouilles (11 à 16 millions d’années).
Les chercheurs ont encore du chemin à faire pour tester leur idée et analyser leur trésor. Matthew McCurry et Michael Frese s’acharnent à essayer d’affiner la datation du site de fouilles. Cela pourrait leur permettre de mieux comprendre comment celui-ci a fini par devenir une brousse alors que c’était une forêt tropicale. Cela pourrait aussi nous éclairer sur la façon dont les forêts tropicales réagissent au changement climatique aujourd’hui.
FENÊTRES SUR LE PASSÉ ET L'AVENIR
Au Miocène inférieur et moyen, le taux de CO2 dans l’atmosphère était d’environ 400 à 500 ppm, soit un niveau similaire à celui que l’activité humaine devrait générer dans un avenir proche. Le Miocène a également vu des périodes de réchauffement prolongées comme celle de l’optimum climatique du Miocène moyen qui a duré d'il y a 17 à 14 millions d’années et qui chevauche possiblement la datation réalisée à McGraths Flat.
« Ces résultats vont peut-être permettre de mieux comprendre les changements qui s’annoncent dans les écosystèmes tropicaux en proie au réchauffement climatique anthropique », anticipe Bo Wang, paléontologue de l’Académie chinoise des sciences n’ayant pas pris part aux fouilles. « Cet article montre que les biotas tropicaux s’étendaient minimum jusqu’à 37 degrés sud en Australie, mais on ne connaît ni la date de leur apparition ni celle de leur disparition. Quel en a été le moteur ? »
Pour en savoir plus sur la transformation de McGraths Flat, Matthew McCurry et Michael Frese prévoient d’y retourner avec une liste de fossiles supplémentaires qu’ils aimeraient découvrir. « Nous savons que la plume d’un oiseau se conserve vraiment bien, mais nous voulons un oiseau entier, et quand nous en trouverons un nous saurons qu’il est immaculé », affirme Matthew McCurry.
Il ajoute que bien qu’ils soient à l’affût de nouveaux fossiles, les chercheurs auront largement de quoi faire avec les spécimens éblouissants qu’ils ont déjà dénichés. « Nous avons littéralement une décennie de travail devant nous. »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.