Découverte : la vie multicellulaire existait déjà il y a 2,1 milliards d’années

Une équipe de chercheurs a découvert au Gabon une vie dite « complexe » qui aurait vécu il y a plus de 2 milliards d’années, ce qui ferait remonter l’origine de la vie bien plus loin dans le temps qu’on ne le pensait jusqu’à aujourd’hui.

De Arnaud Sacleux
Traces fossiles de déplacement dans des roches vieilles de 2,1 milliards d’années.
Traces fossiles de déplacement dans des roches vieilles de 2,1 milliards d’années.
PHOTOGRAPHIE DE Abderrazak El Albani, IC2MP, CNRS-Université de Poitiers

Une équipe de scientifiques, menée par le géologue Abderrazak El Albani de l’Université de Poitiers, effectue des fouilles sur le site fossilifère gabonais de Franceville depuis 2008. Au fil de strates d'argiles noires déposées il y a plus de 2 milliards d'années, cette ancienne carrière ouvre une fenêtre inédite sur l'évolution de la vie sur Terre. Alors que nos livres parlent d’une apparition de la vie multicellulaire il y a 580 millions d’années, l’équipe de scientifiques a prouvé en 2010 qu’elle serait finalement apparue il y a 1,5 milliards d’années en découvrant des traces d’organismes multicellulaires de grande taille, pouvant aller jusqu'à 23 cm de long. En 2014, elle enchaîne les découvertes en démontrant la présence de la plus vieille biodiversité jamais décrite dans un écosystème marin. Enfin, c’est tout récemment qu’ils ont découvert que des organismes complexes, les Gobonionta, pouvaient se mouvoir il y a 2,1 milliards d’années. Une découverte inédite, sur laquelle revient Abderrazak El Albani pour National Geographic.

 

« DES TRACES GIGANTISSIMES » À L’ECHELLE DU TEMPS

À l’origine de cette découverte, des tunnels creusés dans la carrière de Franceville d’environ 6 millimètres de diamètre par des organismes vivants. Si ces dimensions peuvent paraître minuscules, à l’échelle du temps il n’en est rien avoue le géologue. « Ce sont des macrofossiles. On remonte à 2,1 milliards d’années dans le temps et ces galeries sont visibles à l’œil nu : 6 millimètres, c’est gigantissime ». Ces organismes vivaient dans un environnement marin peu profond. « Ils se trouvaient à 30 mètres de profondeur tout au plus » avance-t-il. « On le sait grâce aux indices bactériens : ils avaient besoin de lumière pour faire de la photosynthèse. » Et si l'on parle ici de forme de vie complexe, c'est parce qu'« ils vivaient dans l’eau de mer, entre la vase, la boue et la roche meuble. Les Gabonionta se baladaient pour chercher de la nourriture et de l’oxygène, car le sédiment n’est pas riche en oxygène. C’est un degré de sophistication fort. Le mouvement nécessite un organisme très coordonné dans sa croissance et sa composition. »

Le géologue Abderrazak El Albani sur le site fossilifère gabonais de Franceville.
Le géologue Abderrazak El Albani sur le site fossilifère gabonais de Franceville.
PHOTOGRAPHIE DE Abderrazak El Albani

La vie n’est pas linéaire, elle est saccadée. Elle a connu des crises biologiques, elle a émergé, elle a disparu. C’est le cycle normal de la vie et si les Gabonionta ne sont plus, « ils ont laissé leurs traces génétiques pour les suivants » explique le chercheur. « Quand l’oxygène a réapparu sur Terre, il y a environ 570 millions d’années, les Ediacara [d’autres organismes multicellulaires complexes] ont gardé à l’esprit cet héritage génétique laissé par les Gabonionta, qui ont en quelque sorte balisé le chemin et ouvert la voie pour ce qui va émerger plus tard. »

 

LES GABONIONTA RELANCENT LE DÉBAT BIOLOGIQUE

Si leur découverte ne remet pas en cause notre connaissance sur l’origine de la vie, en revanche, elle la complète et pour le chercheur, celle-ci est la confirmation que la Terre n’est pas restée inerte et n’a pas attendu 3 milliards d’années pour faire émerger la vie. « On essaie de regarder sous les pieds de Darwin, dans les roches les plus anciennes. Ce qu’il a prouvé est indiscutable, mais ne concerne que 15 ou 20 % de l’Histoire de notre planète. »

Quant à savoir s’il est possible de trouver une forme de vie encore plus ancienne, Abderrazak El Albani se veut ouvert mais considère cette hypothèse comme compliquée. Premièrement, parce qu’au-delà il y a plus de 2,1 milliards d’années, l’oxygène, crucial pour le développement de la vie, était très peu concentré sur Terre. Ensuite, parce que la conservation des roches sur Terre est un problème à l’échelle du temps. « Une roche transformée est une roche qui va perdre son information. Il faut imaginer les roches comme des boîtes noires d’avion. Elle va garder en mémoire ce qu’il s’est passé autour d’elle au moment de sa survie sur son environnement ou sur le vivant. Il faut donc qu’elle soit bien conservée. » En cela, le site gabonais est unique au monde ; c'est la seule fenêtre géologique très bien conservée connue à l'heure actuelle.

Au-delà de l’aspect biologique et physiologique, cette découverte apporte une vision d’aspect philosophique et très pratique. C’est un travail de recherche qui apporte des voies de débats et de discussion sur nos origines et qui pourrait intéresser ceux qui travaillent sur la planète Mars. « On y envoie des robots à la recherche de la vie. Il y a 2 milliards d’années, la Terre ressemblait peut-être à Mars. Est-ce que cette Histoire terrestre ne pourrait pas apporter quelques éléments de réponse pour les scientifiques qui travaillent sur Mars ? »

 

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