Des fourmis pour détecter le cancer ?
De nouvelles études suggèrent qu’il sera un jour possible d’utiliser ces petits insectes pour trouver des cellules cancéreuses. Une méthode beaucoup plus simple et économe que les outils actuels.
Une biologiste avec la fourmi géante Isula (ou Paraponera clavata) dont l'aiguillon est redoutable.
Les fourmis n’ont pas fini de nous surprendre. On savait certaines espèces capables de décorer leur intérieur avec les têtes de leurs ennemis. D’autres enterrent leurs morts. Des fourmis aveugles sont capables de s’orienter…
L’espèce commune Formica fusca pourrait bien ajouter à ce palmarès la capacité à détecter le cancer. C’est ce que révèlent plusieurs études publiées en 2022 et 2023, respectivement dans les revues iScience et Proceedings of the Royal Society B.
« Nous savons que les fourmis ont un odorat extrêmement développé, qu’elles utilisent pour trouver de la nourriture, s’orienter, ou reconnaître leurs congénères. Nous connaissions aussi leur fabuleuse capacité à apprendre rapidement » explique Baptiste Piqueret l’auteur principal des études. Voilà pourquoi elles ont été sélectionnées pour cette mission au service de la santé humaine.
« L’idée d’utiliser l’odorat des animaux n’est pas nouvelle. Depuis les années 1990, des chiens sont entraînés pour reconnaître les cellules cancéreuses. Mais le processus est long et coûteux : de l’ordre de 15 000 euros, pour plusieurs mois voire années d’apprentissage. « Cela reste tout de même beaucoup moins cher que les méthodes actuelles comme les IRM ou les mammographies » souligne Baptiste Piqueret, désormais chercheur postdoctoral à l’Institut Max-Planck en Allemagne.
Formica Formica fusca sur une feuille, à Champ-Pittet, 1400 Yverdon-les-Bains, Vaud, Suisse.
Néanmoins, une solution encore plus abordable pourrait voir le jour. Entraîner une fourmi prend un quart d’heure. « Et les dépenses associées sont minimes : les insectes coûtent une dizaines d’euros sur internet, et se nourrissent deux fois par semaine d’insectes morts et de miel. La seule dépense conséquente est le salaire de leur "entraîneur" ». Preuve de la simplicité de cette nouvelle technique : le scientifique a procédé à une série d’expériences dans son appartement, pendant le confinement.
Première étape : apprendre l’odeur du cancer aux fourmis. « Pour cela, on place ces insectes dans une arène avec l’odeur qu’on veut lui enseigner – celle des cellules cancéreuses – et une goutte d’eau sucrée. Elle va faire l’association entre cette récompense et l’odeur ». Les scientifiques répètent alors l’opération trois fois et constatent que les fourmis trouvent beaucoup plus rapidement la récompense, guidées par l’odeur.
Puis vient la phase du test. Les fourmis qui ont suivi cet entraînement sont placées devant deux types de cellules, les cancéreuses et les saines. Toutes se dirigent vers les cellules cancéreuses, persuadées d’y trouver une récompense. Preuve donc qu’elles savent faire la différence. « Comme la mémoire des fourmis durent au maximum 3 jours, il faudra refaire des entraînements avant de leur demander de détecter le cancer chez les humains. Mais comme le processus est très rapide, cela ne pose pas problème » explique Baptiste Piqueret.
En début d’année, l’équipe regroupant des scientifiques de l’Université Sorbonne Paris Nord, du CNRS et de l’Institut Curie a procédé à un nouveau test. Cette fois, les fourmis devaient distinguer l’odeur de l’urine de souris cancéreuses de celle de souris saines. Et cette fois encore, les fourmis ont passé le test haut la main : elles passaient plus de temps à chercher la récompense autour de l’odeur apprise.
Cela signifie-t-il qu’un débarquement de fourmis est à prévoir sous peu dans nos hôpitaux ? Pas si vite, répond Baptiste Piqueret. « Dans cette expérience, nous avons greffé de très grosses tumeurs sur les souris (1cm sur 1 cm), afin d’être sûr que les fourmis puissent détecter leur odeur ». Un essai est prévu avec de plus petites tumeurs (0,5cm x 0,5 cm), avant de passer à des tests avec de l’urine humaine.
Si ces petits insectes réussissent toutes ces épreuves, alors les IRM et mammographies pourraient peu à peu laisser une place aux fourmis. Alors qu’aujourd’hui, seules 50 % des femmes de plus de 50 ans se font dépister pour le cancer du sein, cette méthode moins chère et beaucoup moins invasive (il n’y aura pas de contacts entre les patients et les fourmis), a des allures de bonne nouvelle.