Deux ans après le début de la pandémie, le coronavirus continue de surprendre les experts
Les scientifiques et physiciens sont encore étonnés de la rapidité de l’évolution du virus, de ce qu’il fait au corps humain, et de sa capacité à passer d'une espèce à l'autre.
Photographie au microscope et en couleurs de la transmission des électrons du SARS-CoV-2 avec ses protéines de spicules apparentes. Des mutations dans les protéines de spicules créent de nouveau variants du COVID-19. Des experts estimaient que le SARS-CoV-2 n’évoluerait pas très vite, mais le virus leur a rapidement donné tort.
Les pathogènes, Raul Andino les connaît bien. Depuis plus de trente ans, le chercheur de l’Université de Californie étudie les virus à ARN : un groupe qui comprend le virus qui cause le COVID-19. Pourtant, il n’aurait jamais imaginé assister lui-même à une pandémie d’une telle envergure.
« Son ampleur et ses implications sont encore difficiles à concevoir », déclare Andino.
Même si d’autres experts de son domaine pressentaient qu’une pandémie allait survenir, « il est difficile de prédire quand. On peut comparer ça à un séisme : on sait que le séisme va arriver, mais on n’y pense pas, en général », ajoute-t-il.
Il y a deux ans, le 11 mars 2020, l’Organisation mondiale de la santé annonçait que l’épidémie de COVID-19 était une pandémie. Par la suite, cette maladie a infecté près de 500 millions de personnes dans presque 200 pays, et a fait plus de six millions de morts à travers le monde. Et elle n’est pas encore terminée.
Depuis son arrivée, ce coronavirus n’a cessé de surprendre les scientifiques : aujourd’hui encore, de nombreux experts et expertes sont étonnés de la rapidité de l’évolution du virus, de ce qu’il fait au corps humain, et de sa capacité à s’introduire chez de nouvelles espèces puis à en sortir.
Le virus SARS-CoV-2 a rapidement évolué pour prendre la forme de nouveaux variants qui ont mis un frein à notre retour à la vie normale. Même en étant en possession du modèle moléculaire du virus et en étant capables de décoder les génomes des nouveaux variants en l’espace de seulement quelques heures, les virologues et professionnels de santé rencontrent des difficultés à prédire les effets des mutations sur la transmissibilité et la sévérité du virus.
Des millions de personnes sont confrontées à des symptômes qui peuvent durer plusieurs semaines, voire plusieurs mois après avoir appris qu’elles étaient contaminées. Les scientifiques tentent de comprendre la biologie de ce nouveau et surprenant syndrome que l’on appelle le COVID long.
Deux ans après le début de la pandémie, nous sommes encore loin de tout savoir du SARS-CoV-2 : c’est ce qu’affirme David Wohl, spécialiste en maladies infectieuses à l’Université de Caroline du Nord. Voici ce que la communauté scientifique a découvert pour l’instant, et les mystères qui perdurent et continuent d’intriguer et de frustrer les experts.
LA PIRE DES ÉVENTUALITÉS
Certains experts nous mettaient en garde au sujet d’une pandémie imminente depuis des décennies. En étendant leur présence dans des zones sauvages, les humains prennent le risque qu’un animal leur transmette un nouveau pathogène, engendrant une zoonose mortelle. Une étude publiée dans la revue scientifique Nature révèle que le nombre de maladies infectieuses émergentes provenant de la vie sauvage a considérablement augmenté entre 1940 et 2004.
La majorité des experts s’inquiétaient toutefois davantage des virus grippaux, et ne s’attendaient pas nécessairement à ce qu’un coronavirus provoque un tel chaos.
Tout cela a changé avec l’arrivée du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS), qui a duré de 2002 à 2004 et a contaminé plus de 8 000 personnes dans 29 pays, faisant 774 victimes. Est ensuite arrivé le syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS) qui a contaminé plus de 2 000 personnes dans 37 pays différents : à l’heure actuelle, ce virus a tué presque 900 personnes.
Malgré ces deux épidémies, selon Andino, personne ne prêtait vraiment attention aux coronavirus, en comparaison aux « véritables ennemis » que sont par exemple la grippe, le VIH et la dengue.
Puis le SARS-CoV-2 a fait son entrée retentissante. Il se propageait plus vite que les précédents coronavirus : selon les scientifiques, une raison pour expliquer cette rapidité serait sa capacité à se déplacer efficacement d’une cellule à l’autre. Le virus est également plus difficile à contenir car il cause de nombreux cas asymptomatiques et, ainsi, certaines personnes infectées ne se rendent pas compte qu’elles sont en train de transmettre la maladie. Selon Andino, « en quelque sorte, le SARS-CoV-2 a trouvé une manière de se propager rapidement tout en rendant des gens malades. La pire des éventualités est donc en train de se produire ».
LE DÉFILÉ DES VARIANTS
Viennent s’ajouter à la liste des caractéristiques inhabituelles du SARS-CoV-2 les mutations génétiques, bien plus rapides que prévu.
De manière générale, les coronavirus mutent moins souvent que les virus ARN tels que la grippe ou le VIH. Le SARS-CoV et le SARS-CoV-2 cumulent tous les deux environ deux mutations par mois, soit deux à six fois moins que pour les virus de grippe. Cette différence s’explique par la présence de protéines qui corrigent les erreurs qui peuvent se produire lors de la réplication du matériel génétique du virus.
« C’est pourquoi nous avons pensé que le [SARS-CoV-2] n’évoluerait pas très rapidement », explique Ravindra Gupta, microbiologiste clinique à l’Université de Cambridge.
Le virus n’a cependant pas tardé à donner tort à Gupta et ses collègues. L’émergence d’Alpha, le premier variant préoccupant détecté en novembre 2020 au Royaume-Uni, a stupéfié les scientifiques. Il contenait vingt-trois mutations qui le différenciaient de la souche originelle de SARS-CoV-2, dont huit se trouvaient dans la protéine de spicule, essentielle pour qu’un virus s’ancre aux cellules humaines et les contamine.
« Il est devenu clair que le virus pouvait faire de [surprenants] sauts évolutifs », confie Stephen Goldstein, virologue évolutionniste à l’Université d’Utah. Avec de telles mutations, Alpha était 50 % plus facilement transmissible que le virus d’origine.
La version suivante du virus, Beta, a d’abord été détectée en Afrique du Sud et a été considérée comme variant préoccupant un mois plus tard. Ce variant contenait huit mutations dans la protéine de spicule, dont certaines aidaient le virus à éviter les défenses immunitaires du corps. Quand le variant Gamma a émergé en janvier 2021, il avait vingt-et-une mutations, dont dix se trouvaient dans la protéine de spicule. En raison de certaines de ces mutations, Gamma était très transmissible et était capable de contaminer à nouveau des patients qui avaient déjà contracté le COVID-19.
« Il est surprenant de voir ces variants faire des sauts assez importants dans leur niveau de transmissibilité », affirme Goldstein. « Je pense que nous n’avions jamais observé un virus agir de cette manière mais, bien sûr, nous n’avions encore jamais observé de pandémie avec un tel potentiel de séquençage génétique. »
Puis il y a eu Delta, l’un des variants les plus dangereux et contagieux. Il a été détecté pour la première fois en Inde, et a été qualifié de variant préoccupant en mai 2021. À la fin de l’année, il était devenu le variant dominant dans la quasi-totalité des pays. Sa constellation de mutations unique (treize au total, dont sept dans la protéine de spicule) multipliait par deux la contagiosité de Delta par rapport au SARS-CoV-2 original, engendrait des infections plus longues dans le temps, et produisait 1 000 fois plus de virus dans les corps des personnes infectées.
« La capacité du [SARS-CoV-2] à trouver de nouvelles solutions pour s’adapter et se propager avec autant de facilité est surprenante », ajoute Andino.
Cependant, Omicron, qui est deux à quatre fois plus contagieux que Delta, a rapidement remplacé ce dernier dans de nombreux endroits du monde. Détecté pour la première fois en novembre 2021, il comporte un nombre inhabituellement élevé de mutations : plus de cinquante au total et au moins trente dans la protéine de spicule, dont certaines aident le virus à échapper aux anticorps plus facilement que les précédentes versions.
« Ces sauts énormes dans les mutations rendent la pandémie bien plus imprévisible », affirme François Balloux, bio-informaticien à l’Institut de génétique de l’University College de Londres.
LES INFECTIONS CHRONIQUES
L’une des explications les plus convaincantes de ces énormes bonds dans le nombre de mutations est que le virus SARS-CoV-2 a pu évoluer pendant de longues périodes dans l’organisme de personnes immunodéprimées.
Au cours de cette dernière année, des scientifiques ont identifié des patients atteints de cancer et des personnes ayant un stade avancé du VIH qui ne sont pas parvenues à se défaire de l’infection au COVID-19 pendant des mois, voire presque une année entière. Leurs systèmes immunitaires affaiblis permettaient au virus de subsister, de se reproduire et de muter des mois durant.
Gupta a détecté une telle mutation (également observée dans le variant Delta) dans un échantillon provenant d’un patient atteint du cancer qui est resté infecté pendant 101 jours. Chez un patient sud-africain ayant un stade avancé de VIH et qui est resté infecté pendant six mois, des scientifiques ont enregistré une multitude de mutations qui ont aidé le virus à échapper aux défenses immunitaires du corps.
« Le fait que le virus change de biologie aussi rapidement dans son histoire évolutionnaire est une découverte significative », affirme Gupta. Selon lui, d’autres virus comme la grippe et les norovirus subissent également des mutations chez des individus immunodéprimés, mais « c’est très rare », et ils « contaminent un nombre limité de cellules. »
En comparaison, le SARS-CoV-2 s’est montré capable d’infecter de nombreuses parties différentes du corps, créant ainsi encore plus d’effets déroutants que les scientifiques doivent chercher à comprendre.
PAS UN SIMPLE VIRUS RESPIRATOIRE
Au début de la pandémie, les professionnels de santé ont remarqué que le virus ne provoquait pas uniquement des maladies similaires à une pneumonie. Certains patients hospitalisés présentaient également des lésions cardiaques, des caillots sanguins, des complications neurologiques et des anomalies rénales et hépatiques. Des études menées au cours des premiers mois ont suggéré une raison qui expliquerait ce phénomène.
Le SARS-CoV-2 utilise des protéines que l’on appelle des récepteurs ACE2 sur la surface des cellules humaines, et ce dans le but de les infecter. Mais comme l’ACE2 est présente dans de nombreux organes et tissus, le virus infectait plus de parties du corps, et non seulement les voies respiratoires. Certains ont également rapporté avoir trouvé des traces du virus dans des cellules de vaisseaux sanguins, des cellules rénales, et de petites quantités dans des cellules cérébrales.
« J'ai étudié de nombreuses pandémies, et dans presque tous les cas, si on regarde le cerveau, on y trouve le virus », déclare Avindra Nath, neuroimmunologue aux Instituts nationaux de la santé aux États-Unis. Par exemple, les tissus cérébraux autopsiés de 41 patients atteints du COVID-19 qui ont été hospitalisés et qui sont décédés ont révélé de faibles quantités de virus. Mais il y avait aussi des signes évidents de dégâts, notamment des neurones morts et des vaisseaux sanguins endommagés.
« C’était là la plus grande surprise », confie Nath.
Il est probable que le virus pousse le système immunitaire à entrer dans un mode hyperactif que l’on appelle choc cytokinique, qui entraîne des inflammations et blessures dans différents organes et tissus. Une réponse immunitaire anormale peut persister même après l’infection, causant ainsi des symptômes prolongés tels que de la fatigue chronique, des palpitations cardiaques, ou encore des difficultés de concentration.
« Mais certains réservoirs de virus peuvent causer des inflammations chroniques », affirme Sonia Villapol, neuroscientifique à l’Institut de recherches méthodiste de Houston. Une étude récente qui n’a pas encore examinée par des pairs montre que le matériel génétique du SARS-CoV-2 pourrait persister jusqu’à 230 jours dans les corps et cerveaux des patients du COVID-19, même ceux qui n’avaient que des infections légères ou asymptomatiques.
Susan Levine est médecin en maladies infectieuses à New York, et est spécialisée dans le traitement et le diagnostic du syndrome de fatigue chronique, qui présente des similitudes avec le COVID long. Elle voit désormais 200 patients par semaine, alors qu’elle n’en voyait que 60 avant la pandémie. Contrairement à ce syndrome, le COVID long « entraîne une violente fatigue », selon Levine. « C’est comme une tornade dans le corps, et on passe de semaines de travail de soixante heures à rester au lit toute la journée, tout ça en l’espace d’une semaine après l’infection. L’action est très condensée. »
LES RÉSERVOIRS ANIMAUX DU SARS-CoV-2
Les scientifiques s’inquiètent désormais de la persistance du SARS-CoV-2 en dehors des populations humaines, et de sa capacité à se propager chez d’autres animaux et de revenir chez les humains, et de rallonger ainsi la pandémie.
En avril 2020, des tigres et des lions du Zoo du Broox de New York ont été testés positifs au COVID-19, suscitant la volonté de trouver d’autres animaux qui pourraient aussi y être vulnérables. Peu après la publication d’une étude qui a révélé que les mammifères, dont certains primates, des cerfs, des baleines et dauphins sont plus susceptibles de contracter le COVID-19, étant donné la similitude entre leurs récepteurs ACE2 et les nôtres.
Une autre étude a utilisé une approche d’apprentissage automatique pour évaluer la capacité de 5 400 espèces de mammifères à transmettre le SARS-CoV-2. Les résultats ont montré que certains des animaux les plus susceptibles de propager le COVID-19 étaient ceux qui vivent avec les humains, comme le bétail et même les animaux de compagnie.
Jusqu’à présent, le SARS-CoV-2 a contaminé des chats, des chiens, des furets, a ravagé des élevages de visons, et s’est propagé jusqu’aux tigres, aux hyènes et à d’autres animaux de zoos. En outre, le virus est parvenu à passer de l’humain vers des visons élevés en captivité, puis à repasser chez les éleveurs. Une personne au Canada aurait aussi potentiellement été infectée par le COVID-19 après un contact avec un cerf de Virginie.
« Ce qui est inquiétant, c’est que s’il continue à évoluer chez les cerfs au point où ceux-ci seraient de plus en plus immunisés, leurs anticorps préexistants provenant de leur réinfection pourraient encourager encore plus l’évolution virale » explique Samira Mubareka du Sunnybrook Health Sciences Centre au Canada. De plus, « il est possible que le virus soit en train de circuler chez d’autres animaux. »
Pourtant, la propagation du SARS-CoV-2 chez les humains reste la plus grande préoccupation des scientifiques, qui en apprennent plus sur le virus, ainsi que sur sa présence et son impact sur les humains et les animaux.
Selon David Wohl, « nous ne savons pas encore ce que l’avenir nous réserve. Nous aurons deux années supplémentaires d’histoire et d’antécédents mais, même avec de telles connaissances, il reste difficile de prédire ce qui arrivera. »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.