Excès de sel : quelle limite doit-on se fixer ?
La plupart des experts recommandent de consommer moins de sel. Mais d’autres se demandent s’il est vraiment utile d'affadir nos plats.

Notre relation au sel est compliquée. Nos corps ont besoin d’une petite quantité de sel pour fonctionner mais beaucoup d'entre nous dépassent la dose journalière recommandée.
Le sel, ce condiment bien-aimé, essentiel et omniprésent. Un nutriment essentiel, pourtant source de troubles graves lorsqu'il est consommé en trop grande quantité. La définition de l’excès de sel divise cependant les scientifiques.
Une surconsommation régulière de sel peut causer de l’hypertension artérielle. Pour la plupart des adultes en bonne santé, l’OMS recommande de ne pas consommer plus de deux grammes de sodium par jour, ce qui équivaut à cinq grammes de sel, ce que corrobore la Fédération française de cardiologie. Cette limite est basée sur l’affirmation que cette quantité de sel, ou moins, n’augmenterait pas les niveaux de pression artérielle. Idéalement, le Centre d’hypertension de Paris recommande aux personnes souffrant d’insuffisance cardiaque d’en consommer encore moins.
Il est cependant très simple de dépasser cette limite. Quelques rondelles de saucisson, des biscuits apéritifs ou encore une pizza vous feront dépasser votre apport journalier recommandé.
En moyenne, les Français consomment 8,5 grammes de sel par jour, tandis que la consommation mondiale moyenne est de 10,8 grammes, deux fois plus que ce que recommande l’OMS.
Aucun scientifique ne contredit les effets néfastes de cette consommation abondante de sel lorsqu'il y a problème d’hypertension artérielle. Pour les sujets non concernés, la controverse reste cependant entière : à partir de quand la consommation en sel devient-elle excessive ?
LES EFFETS DU SEL SUR LE CORPS
Le sel de table est formé de deux ions de charge opposée : le sodium (Na+) et le chlorure (Cl-). Le plus mauvais élève des deux, c’est le sodium. Les ions sodium incitent le corps à relâcher ou retenir de l’eau afin que la concentration en sodium reste la même. Un excès chronique de sodium peut cependant pousser le corps dans ses retranchements.
Durant un pic de sodium, la réponse de l’organisme consiste à faire de la rétention d’eau, causant de l’hypervolémie, une augmentation du volume sanguin. Le cœur travaille donc plus pour envoyer de plus grandes quantités de sang dans le corps. Par conséquent, les vaisseaux sanguins se raidissent et la pression exercée sur leur membrane grimpe en flèche. Les reins sont également très sollicités afin de filtrer l’excès de sel contenu dans le sang, qui est ensuite sécrété dans l’urine.
Tout ceci met le cœur et les reins à rude épreuve. À l’instar d’un pneu usé qui a perdu de sa superbe, les organes perdent en efficacité. La surconsommation de sel peut, à long terme, mener à une insuffisance rénale, des maladies cardiaques ou causer un AVC.
Dans d’autres parties du corps, un régime trop riche en sel peut augmenter les risques d’ulcères de l’estomac et de cancer. De plus, certaines études affirment que le sel absorbe le calcium des os, ce qui peut conduire à l’ostéoporose, bien que cet effet n’ait pas été observé unilatéralement parmi différents groupes de sujets d'études.
LE SEL, SOURCE DE DÉBATS
Il est particulièrement difficile de se passer de sel, carnos corps sont faits pour apprécier les plats salés.
Le sel est essentiel à la bonne santé. Un régime trop pauvre en sel peut causer des crampes musculaires et des afflictions plus sérieuses comme une résistance à l’insuline et l’athérosclérose, un mal qui affecte les artères et peut causer des AVC. Trop peu de sel peut également s’avérer fatal, bien que cela soit très rare de nos jours : en France, ce sont surtout les personnes âgées et les personnes atteintes de certaines maladies chroniques qui sont à risque.
En dépit de ce risque faible, certains chercheurs ont dénigré les limitations imposées en matière de consommation de sel, affirmant que les avertissements étaient trop stricts. En 2013, une publication diffusée par l’Académie nationale de médecine des États-Unis, une organisation scientifique non-gouvernementale, questionnait la limite imposée de 2,3 grammes de sodium, citant le manque de preuves pour un régime aussi spartiate. Leur réponse a intensifié la polémique connue au sein de la société médicale sous le nom de « guerre du sel ».
Après la publication de ce rapport, l’Association américaine de cardiologie a affirmé que les preuves étaient incomplètes et s’est prononcée en désaccord avec l’Académie nationale de médecine.
Suivre les recommandations des autorités de santé n'est pas chose facile, reconnaît Franz Messerli, professeur de médecine à l’université de Berne, en Suisse. Pour commencer, aucun pays dans le monde n’est resté en dessous des seuils en matière de consommation de sel qu’imposent les géants de la santé. Franz Messerli fait partie du camp qui considère cette croisade stricte contre le sel comme étant disproportionnée.
Une partie de son argument repose sur la relation du sel à la pression sanguine, qui peut être obscurcie par d’autres facteurs comme l’historique médical d’un individu, son stress, ses habitudes quotidiennes et son métier. En effet, les personnes travaillant en extérieur et régulièrement exposées à la chaleur peuvent consommer plus de sel que les autres. Les personnes très actives physiquement tolèrent également un surplus de sel car l’exercice fait baisser la pression sanguine.
Les chercheurs qui se méfient des recommandations actuelles, dont Franz Messerli, déclarent que la corrélation entre la consommation de sel et la morbidité cardiovasculaire est une courbe en forme de J. Selon celle-ci, consommer trop ou trop peu ou de sel présente des risques pour la santé, bien que certains scientifiques soient en désaccord avec cette affirmation.
La focalisation sur le sel et la pression sanguine, qui sont plus ou moins linéairement liés, ignore cette nuance, comme elle ignore d’autres rôles clés que joue le sel dans le corps, qui deviennent apparents uniquement lorsque sa consommation est faible, explique Franz Messerli.
Selon les recommandations médicales, la consommation journalière minimum de sel devrait être de 0,5 gramme.
La sensibilité au sel, définie par le saut de la pression sanguine d’un individu en réponse à une dose de sel, diffère selon les personnes. Les personnes noires, par exemple, sont deux fois plus sujettes à l’hypertension que les caucasiennes, une prévalence probablement due à des facteurs génétiques et socioéconomiques.
« On soupçonne le sel d’être un puissant électrolyte qui entraîne des dommages, bien que nous n’en connaissions ni les tenants ni les aboutissants », explique Franz Messerli.
La seule manière de mettre fin au débat une bonne fois pour toutes serait de procéder à des tests contrôlés randomisés. Cependant, une telle étude, qui impliquerait un large groupe de participants sur plusieurs années, se transforme rapidement en défi pratique. Il est difficile de vanter les mérites d'un régime pauvre en sel : de nombreuses personnes peinent déjà à réduire leur consommation sur une période de six mois. En 2019, un groupe de chercheurs a suggéré que les prisons seraient le meilleur endroit pour mener une telle expérience, car les repas des détenus sont tout aussi régulés que leurs journées. Cela pose néanmoins des dilemmes éthiques.
Même sans données humaines, une nouvelle étude révèle les effets du sel sur d’autres fonctions que la pression sanguine.
Les scientifiques ont observé que le sel influençait le métabolisme cellulaire et pouvait pousser les cellules immunitaires à repousser les pathogènes dans le corps, selon une recherche menée par Dominik Müller, scientifique du Centre cardiovasculaire Max Delbrück. Son équipe a également découvert que le corps pourrait naturellement accumuler du sel autour de blessures comme pour jouer le rôle d’un mécanisme de défense. Cependant, une consommation importante de sel peut également déclencher des inflammations, ce qui entraîne une dégradation du système cardiovasculaire et des maladies auto-immunes.
« La définition de la sensibilité au sel tourne plutôt autour de la pression sanguine », explique Dominik Müller. « D’aucuns devraient prendre en considération une définition plus large de la sensibilité au sel, qui soit non seulement liée à la pression sanguine mais aussi aux fonctions cellulaires. »
COMMENT RÉDUIRE SA CONSOMMATION DE SEL
Seule une très faible fraction de notre sodium journalier provient de sel de cuisine. Le reste, qui représente plus de 70 % de la consommation journalière, est dérivé des aliments ultra-transformés. Une utilisation du sel comme préservateur entraîne un changement dans la structure des aliments, retient l’humidité des viandes et agit comme un stabilisateur dans les aliments transformés. Même des aliments de base qui n’ont pas le goût de sel, comme le pain, peuvent être une source importante de sodium diététique.
Étant donnée la surabondance de sel dans les aliments du quotidien, et du fait qu’en France, près de 17 millions de personnes souffrent d’hypertension, il y a de grandes chances qu’une réduction, même marginale, de la consommation de sel, s’avère bénéfique pour beaucoup. La réduction de la consommation en tant que mesure nationale est également un pas en avant dans l’établissement d’un mode de vie plus sain pour la population.
De plus, notre mode de vie relativement sédentaire pousserait plus à la surconsommation de sel, qu’à sa sous-consommation, explique Raeeda Gheewala, néphrologue et fondatrice de la clinique américaine Sports Nephrology. Quant à la limite recommandée en matière de sel, elle ajoute : « je ne pense pas que cela soit trop strict [aux États-Unis]. » La meilleure manière de contrôler ce qui se trouve dans nos assiettes, c’est de cuisiner. Elle conseille à ses patients de prévoir leurs repas de la semaine en avance afin d’éviter que leur foyer soit plein d'encas trop salés.
« Ce qu’on grignote entre les repas amène souvent les personnes au-delà de la limite », explique Raeeda Gheewala. À la place de chips et de charcuterie, elle recommande de consommer des fruits, des légumes et des noix non-salées.
Les substituts du sel représentent une autre manière de réduire la consommation de sodium, sans pour autant sacrifier le goût. Il s’agit essentiellement de sel de table, dans lequel les ions de sodium ont été remplacés par du potassium. Le chlorure de potassium est également salé, bien qu’il puisse parfois avoir un goût amer. Il peut aussi être néfaste pour la santé, comme le sodium. Cependant, selon les recommandations de l’OMS, nous n’en consommons pas suffisamment. Ainsi, remplacer le sel par du potassium ne présenterait pas de risques de surconsommation.
Une étude menée en Chine, le plus grand essai contrôlé randomisé jamais mené jusqu’à aujourd’hui, a mis en lumière que remplacer un quart du sodium quotidien par du potassium menait à une baisse des AVC de 12 %, et de 13 % pour les infarctus. De telles solutions contournent le problème de goûts que nous pourrions rencontrer. De plus, le potassium contre également les effets du sodium, en détentant les vaisseaux sanguins et en participant à l’évacuation du sodium hors du corps.
Les trois scientifiques confient que, bien qu’ils surveillent leur consommation quotidienne de sel, ils ne font pas d’excès de zèle. Les bienfaits pour la santé sont nombreux lorsque l’on réduit le sel dans son alimentation ; ces efforts ne sont pas anéantis lorsque l’on cède à l’appel d’un paquet de chips, de charcuterie ou d'une tartine. Tout peut toujours être contrebalancé en enfilant une paire de baskets pour aller faire un peu de sport.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.
