À force de puiser dans les nappes phréatiques, l'axe de rotation de la Terre a changé
La direction de l’axe de rotation de la Terre change depuis le début du millénaire. Les activités humaines de pompage des eaux douces souterraines, ne seraient pas étrangères à ce phénomène.
Globe terrestre par Gérard et Leonard Valk, Amesterdam 1715.
Une récente étude internationale, centralisée à l’Observatoire de Paris, publiée en juin 2023 dans la revue scientifique Geophysical Research Letters, établit un lien entre le changement de direction de l’axe de rotation de la Terre et le pompage des nappes phréatiques. En deux décennies, nous avons déplacé de telles quantités d’eaux souterraines que le pôle de rotation de la Terre s’est décalé d’un mètre vers l’Est.
UN PROCESSUS NATUREL ?
L’axe de rotation de la Terre est incliné de 23,5°. Grâce à cette configuration, la Terre, en gravitant autour du Soleil, bénéficie d’une répartition relativement équilibrée de la lumière ainsi que de la chaleur sur l’ensemble de sa surface, ce qui lui permet d’abriter la vie dans ses moindres recoins. C’est cette inclinaison qui est responsable de l’enchaînement des saisons.
La variation de l’axe de rotation de la Terre est « un processus naturel assez connu », explique le Professeur Ki-Weon Seo du département d’éducation sur les sciences de la Terre de l’Université Nationale de Séoul, et directeur de l’étude. Sur des temps géologiques, environ tous les 41 000 ans, l'inclinaison de l'axe de la Terre peut varier entre 22° et 25°. Or, les variations d’origine humaine sont observables sur deux décennies seulement, d’autant plus que la principale problématique concerne un « changement anormal de la direction de l’axe de rotation de la Terre », explique Ki-Weon Seo.
« D’une manière ou d’une autre, la direction de cet axe a commencé à changer à la fin du 20e siècle », explique-t-il. Depuis lors, de nombreux chercheurs ont tenté d’expliquer ce changement de direction. « Une partie des réponses se trouvait dans la fonte des glaces dues au changement climatique, au Groenland et en Antarctique ».
« L’axe de rotation de la Terre erre le long du méridien de Greenwich depuis environ l'an 2000, ce qui représente un déplacement de 75° vers l’est par rapport à sa direction de dérive à long terme », peut-on lire dans un rapport scientifique daté de 2016, qui a été le premier à établir un rapport entre les modifications du système hydrique de la planète et la modification de l’axe de rotation.
À partir des données du satellite GRACE, les scientifiques ont pu mesurer les changements induits par les modifications hydrologiques sur la planète. « Ces données ne permettaient cependant pas de séparer les effets de l’eau des sous-sols, de ceux de l’eau de surface », explique Ki-Weon Seo. « Elles n’ont pas permis d’identifier à quel point l’eau souterraine pouvait jouer un rôle ». Les changements sur la surface de la Terre peuvent en effet affecter l’axe de rotation, mais n’en sont en réalité pas la cause principale.
UN, DEUX, TROIS, POMPEZ !
Les nappes phréatiques sont des réserves d’eau douce, enfouies sous la surface de la Terre. Ces poches parviennent à retenir l’eau parce qu’elles sont posées sur des plateaux rocheux relativement imperméables. Selon un rapport de l’UNESCO daté de 2022 sur la nécessité de valoriser les ressources en eaux, notamment souterraines, elles représentent 99 % de la totalité de l’eau douce sur Terre.
Production artistique et schématique d'une nappe phréatique.
D’immenses quantités d’eaux se trouvent sous Terre : on estime entre 11,1 millions et 15,9 millions le nombre de mètres cube d’eau qui s'y trouvent. Mais ces volumes ne se renouvellent pratiquement pas. Les nappes phréatiques constituent donc un enjeu majeur, dans un avenir qui sera de plus en plus marqué par la chaleur et les sècheresses, et donc un manque d’eau pour de nombreuses populations.
Depuis 2016, il était commun de penser que la modification de la cryosphère était la principale raison de la variation de l’axe de rotation de la Terre. Mais, la récente découverte met en évidence le rôle majeur des nappes phréatiques souterraines dans ce changement d’inclinaison.
La fonte des glaces et le pompage des eaux souterraines engendrent des changements de rapports hydrauliques à l'échelle planétaire, notamment sur l’augmentation des niveaux des mers, ainsi que sur la marée, qui influent sur l’axe de rotation de la Terre. Une étude intitulée Epuisement mondial des ressources d’eaux souterraines, publiée en 2010, révélait déjà que l’Homme avait puisé 2 150 gigatonnes d’eau souterraine entre 1993 et 2010.
UN ÉQUILIBRE HYDRAULIQUE
Pour mesurer cette dérive de l’axe de rotation, les chercheurs ont comparé des « données théoriques aux données observées », explique Ki-Weon Seo. Le mouvement de la Terre est en effet suivi grâce à des télescopes, qui, à partir de la position des astres, détectent le mouvement de la Terre et les perturbations éventuelles. Des données collectées aux pôles, Arctique et Antarctique, ainsi qu’un suivi de l’évolution des réservoirs d’eau souterraines, sont également des paramètres qui entrent en compte dans cette comparaison d’une orientation théorique avec une orientation observée.
Ici, les chercheurs comparent le mouvement polaire observé (flèche rouge, « OBS ») aux résultats de modélisation sans (flèche bleue pointillée) et avec (flèche bleue pleine) redistribution de la masse des eaux souterraines. Le modèle avec la redistribution de la masse des eaux souterraines correspond beaucoup mieux au mouvement polaire observé, indiquant aux chercheurs l’ampleur et la direction de l’influence des eaux souterraines sur la rotation de la Terre.
Sur près de cinquante années de collecte de données comparatives, notamment travaillées à partir du système IERS (« International Earth Rotation and Reference Systems Service »), les scientifiques sont arrivés à la conclusion que « le pompage des eaux souterraines est responsable à hauteur de 40 % de la déviation de l’axe de rotation de la Terre », explique Ki-Weon Seo. Les deux points principaux de déplacement des eaux souterraines se trouvent aux États-Unis et en Inde. Plus le prélèvement des eaux des nappes phréatiques est éloigné de l’équateur, plus l’axe de rotation se déséquilibre. Comme un ballon flottant sur l’eau, ce changement de poids fait pencher la Terre, en l’occurrence vers l’Est.
La variation de 1 mètre de l’inclinaison de la Terre n’est a priori pas suffisante pour causer des dégâts directs sur la biodiversité ou le climat par exemple. « Pour qu’il y ait un changement significatif », précise Ki-Weon Seo, « il faudrait que la Terre s’incline de 1 degré, ce qui équivaut à une centaine de kilomètres ». La vie n’est pas directement impactée, mais ce changement affecte un équilibre hydrologique essentiel, dont fait partie le niveau des mers, et dont la montée menace aujourd’hui la plupart des littoraux.
« L’axe de la Terre change, mais également son taux de rotation », interpelle Ki-Weon Seo. La rotation de la Terre ralentit et nos journées s’allongent. Nous gagnons chaque jour 0,003 seconde. Cela s’explique par le fait que l’indice de marée change, ce qui affecte la longueur des journées. En peu de temps, l’Homme a modifié un équilibre hydrique essentiel, notamment pour mener des activités agricoles intensives.
La compréhension de cet équilibre, qui varie naturellement sur une échelle de temps bien plus importante, est essentielle pour appréhender à l’avenir de meilleures solutions pour partager l'eau, ressource essentielle qui se raréfie.