La stratosphère se refroidit (et c'est un problème)
"En une demi-vie humaine, nous avons fondamentalement changé la structure de température et la chimie de l’atmosphère terrestre."
Atmosphère terrestre photographiée en mars 2015 lors de la 43ème expédition de la Station Spatiale Internationale.
Une récente publication scientifique apporte des preuves de l’influence des activités humaines sur les bouleversements climatiques actuels. Basée sur des prédictions énoncées il y a déjà presque un demi-siècle, l’étude qui se base sur des données de températures atmosphériques collectées pendant quarante-cinq ans, rend compte d’un inquiétant phénomène de refroidissement de la stratosphère, partie haute de l’atmosphère terrestre, à mesure que la troposphère, partie basse de notre atmosphère, se réchauffe.
Des équipes de chercheurs de renommée internationale, notamment associés au Système de Télédétection de Californie et à l'Administration Nationale Américaine des Océans et de l'Atmosphère (NOAA), ont collaboré sur toute cette période sous la direction du climatologue américain Benjamin Santer.
LE PARADOXE DU REFROIDISSEMENT DE LA HAUTE ATMOSPHÈRE
Cette étude se base sur une découverte initialement réalisée en mai 1967 par le prix Nobel de physique 2021, Syukuro Manabe et son associé Richard T. Wetherald, qui ont jeté les bases de la compréhension du lien entre augmentation des températures à la surface de la Terre, et augmentation des niveaux de dioxyde de carbone dans l’atmosphère.
Tout est parti d’une simulation, basée sur un « modèle climatique simple, [où les deux scientifiques] ont augmenté les niveaux de piégeage de la chaleur du dioxyde de carbone », explique Benjamin Santer, directeur de la récente étude. Ils ont alors constaté que la basse atmosphère se réchauffait, tandis que la haute atmosphère se refroidissait.
Cheng-Zhi Zou, chercheur en physique atmosphérique pour l'Administration Nationale Américaine des Océans et de l'Atmosphère, est l’un des spécialistes ayant travaillé sur la détection par satellite des températures en haute atmosphère. « Syukuro Manabe a prédit que si les émissions de dioxyde de carbone doublaient, alors la température à la surface de la Terre augmenterait de 2,5°C », rappelle-t-il, tandis que la température dans la haute atmosphère pourrait « diminuer de 10°C ». Cette estimation est l’une des plus connues en matière de climatologie.
Le docteur Santer indique également que cette étude était la première à démontrer que les augmentations de la teneur en dioxyde de carbone dans l’atmosphère « retenaient la chaleur », qui est alors saturée dans les couches basses de l’atmosphère, ce qui empêche la redistribution de cette chaleur dans les couches supérieures, déséquilibrant ainsi tout un environnement physico-chimique.
Cependant, atteindre la limite de cette « zone critique » située à la limite entre la partie basse et haute de la stratosphère, entre 25 et 50 kilomètres au-dessus de la surface de la Terre, n’était pas possible en 1967. « Nous n’avions [alors] pas la technologie de collecte de données satellitaires de détection de températures », précise le Dr. Santer. Grâce aux récents progrès technologiques, le nombre de données a été exponentiel et a permis de commencer à comparer les schémas observés année après année.
Tendances de température observées de 1986 à 2022 dans six couches atmosphériques différentes. Les tendances ont été calculées à l’aide des données satellitaires. Ces données rendent compte d’un modèle vertical de réchauffement en basse atmosphère (troposphère, représentée ici en 2 figures rouges) et de refroidissement en haute atmosphère (stratosphère, représentée en quatre dégradés de bleu). Cette empreinte atmosphérique est une réponse à l’augmentation du CO2 qui a été prédite par S. Manabe et R. Wetherald en 1967.
« Notre récent article est la confirmation de ce modèle », explique le docteur Santer. « Seule une étude satellite permet en effet de collecter des données nécessaires à la construction d’une vision globale des variations atmosphériques ». Cheng-Zhi Zou précise que les satellites font le tour de la Terre 14 fois par jour, ce qui permet de collecter une importante quantité de données tout autour de la Terre, quand des études continentales ou océaniques ne fournissent que des fragments d’informations, en ce sens qu’elles sont collectées dans des zones géographiques relativement limitées. Depuis le début des enregistrements qui ont débuté en 1978, les « seize satellites utilisés ont joué un rôle clef pour mesurer des séries de températures », ajoute-t-il.
Ces quarante-cinq dernières années, les multiples relevés de températures atmosphériques ont ainsi permis de dessiner des fluctuations, des tendances, qui prennent la forme de « schémas ». Il apparaît alors que la troposphère, zone basse de l’atmosphère connaît un réchauffement, avec le fameux effet de serre, tandis qu’on observe un fort refroidissement dans la stratosphère.
Les deux scientifiques expliquent que l’empreinte que l’on peut lire dans ces variations est influencée par l’augmentation des émissions en dioxyde de carbone qui « émettent davantage de radiations » vers le cosmos, ce qui cause un net refroidissement dans la partie supérieure de l’atmosphère. Le phénomène « d’appauvrissement de l’ozone » a également joué un rôle non négligeable dans ce refroidissement. Cheng-Zhi Zou explique que la diminution de la teneur en ozone affaiblit ses capacités d’absorption des radiations ultraviolettes du Soleil. Cependant, le phénomène de refroidissement de la stratosphère trouve sa source principale dans l’augmentation du taux de CO2, étant donné que l’ozone « se reconstitue » depuis deux décennies.
UNE EMPREINTE D'ORIGINE HUMAINE
Restait alors à comprendre si ce phénomène était d’origine humaine ou bien naturelle. L’utilisation de modélisations comparatives ont permis aux scientifiques de trouver une réponse à cette question. « Les simulations de refroidissement et le refroidissement observé montrent qu’il n’est pas possible pour des évènements naturels de créer cette empreinte atmosphérique si particulière », explique Cheng-Zhi Zou. La cause de cette empreinte atmosphérique serait donc humaine.
La plupart des événements météorologiques que nous connaissons, comme le phénomène El Niño, et tout ce qui nous affecte en tant qu’humains, se produisent dans la troposphère. Dans la stratosphère, il fait sec, il y a peu de perturbations. « C’est une région très favorable pour rechercher l’influence humaine », explique Benjamin Santer. Le signal de refroidissement causé par l’Homme dans la stratosphère y est particulièrement évident étant donné qu’il y a une faible variabilité naturelle des conditions physico-chimiques.
Stratification de l’atmosphère terrestre.
Les empreintes digitales relevées dans cette région critique de l’atmosphère, entre 25 et 50 kilomètres au-dessus de la surface de la Terre, ont permis de tester différentes simulations afin d’en déterminer les causes. Inspiré par ces premiers travaux à l'Institut Max-Planck de météorologie d’Hambourg réalisés aux côtés de Klaus Hasselmann et Syukuro Manabe, Santer précise qu’en étudiant des tranches atmosphériques verticales, il est possible d’isoler la part de responsabilité humaine sur les modifications atmosphériques.
Un article publié par Benjamin Santer en 2003 montre que la tropopause s’étend. À mesure que nous brûlons des combustibles fossiles, des niveaux croissants de piégeage de la chaleur des gaz à effet de serre se forment et réchauffent cette couche atmosphérique inférieure. Parallèlement, à mesure que la stratosphère se refroidit, l’étude montre que sa surface diminue proportionnellement, ce qui impacte notamment l’orbite des satellites qui gravitent autour de notre planète.
Les actions humaines ont changé la composition chimique ainsi que les températures atmosphériques. En produisant des chlorofluorocarbures (CFC), substances qui n’existent pas dans la nature, nous avons modifié les concentrations d’ozone, partie de l’atmosphère qui nous protège des radiations ultraviolettes nocives du Soleil (les rayonnements UVB). « Il est temps de cesser », interpelle Benjamin Santer.
Cette recherche est essentielle car elle apporte une compréhension de la façon dont les activités humaines affectent directement des éléments stables essentiels pour garantir la vie sur Terre. Elle n’est cependant « qu’une petite pièce du puzzle », ajoute le directeur de recherche. Les scientifiques du Laboratoire National Lawrence Livermore, s’évertuent à produire des simulations, des scénarios qui permettent d’imaginer ce que serait la Terre sans l’influence de l’Homme. L’IPCC (Panel Intergouvernemental sur le Changement Climatique) propose des « shared social economic pathways », des « voies socio-économiques partagées », dont le scénario numéro cinq a inspiré la recherche en question. De nombreux terrains de recherche restent à envisager pour composer avec le futur.
Les travaux du professeur Syukuro Manabe avaient prédit, il y a plus de cinquante ans, la position exacte où aurait lieu le phénomène de refroidissement en haute atmosphère. Son travail mettait alors en évidence le fait qu’il devait y avoir « un signal très clair de l’empreinte humaine dans les augmentations de dioxyde de carbone ».
Benjamin Santer abonde : « les récents travaux fournissent les preuves scientifiques les plus convaincantes et les plus solides de l’effet des activités humaines sur le climat. Nous avons changé de manière globale la température de l’atmosphère terrestre et nous pouvons le démontrer sur une courte période, sur seulement trente-sept ans de données satellitaires. En une demi-vie humaine, nous avons fondamentalement changé la structure de température et la chimie de l’atmosphère terrestre. Il est incontestable maintenant que les humains ne sont plus des spectateurs innocents dans le système climatique. Il est donc impératif de réduire les émissions de gaz à effet de serre et de protéger les générations futures des graves dommages que nous risquons de causer si nous continuons sur la voie du statu quo ».