L’encéphalopathie traumatique chronique, une maladie encore mal connue

Des chercheurs, qui ont suivi 130 boxeurs et combattants de MMA sur plusieurs années, ont découvert que l’évolution du volume du cerveau et des aptitudes cognitives permettait de prédire l’apparition d’une encéphalopathie traumatique chronique.

De Rachel Fairbank
Publication 27 sept. 2024, 14:12 CEST
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Jermell Charlo (à gauche) affronte Austin Trout (à droite) pour le titre de champion WBC dans la catégorie de poids super-welters au Staples Center, le 9 juin 2018, à Los Angeles (Californie). Charlo a remporté le combat par décision.

PHOTOGRAPHIE DE Jayne Kamin-Oncea, Getty Images

Le diagnostic de l’encéphalopathie traumatique chronique (ETC) n’est pour l’heure pas encore possible chez les personnes vivantes. Mais pour de nombreuses personnes, en particulier les athlètes, la peur de souffrir de cette maladie est bien présente.

Selon une étude parue le 23 septembre, un ancien joueur de la NFL sur trois pense souffrir de ce trouble neurodégénératif causé par les multiples commotions cérébrales ou coups reçus à la tête. Ces joueurs « sont plus susceptibles d’avoir un taux de testostérone bas, de souffrir de dépression, de troubles de l’humeur, de douleurs, de symptômes cognitifs et d’avoir subi des traumatismes crâniens », entre autres symptômes.

L’ETC se développe avec le temps, les premiers symptômes apparaissant généralement vers 40 ans. Elle peut toucher les athlètes pratiquant un sport de contact, tel que le football américain, le hockey sur glace, la boxe ou le MMA, mais aussi les personnes souffrant régulièrement de coups à la tête, comme les militaires et les victimes de violences conjugales.

Pourtant, cette affection ne peut être diagnostiquée qu’après la mort, par autopsie, ce qui rend l’étude de son développement et l’élaboration de traitements difficiles.

Les chercheurs commencent toutefois à identifier certains premiers signes et symptômes associés à l’ETC. Dans une étude parue en juin 2023 dans la revue Neurology, des scientifiques ont suivi une cohorte de 130 sportifs professionnels, y compris des boxeurs et des combattants de MMA en activité ou à la retraite depuis peu.

 

UNE ÉTUDE RÉVOLUTIONNAIRE

Depuis six ans, le boxeur en poids moyen Austin Trout (dit « No Doubt ») se rend chaque année à la clinique de Cleveland pour subir une batterie de tests (IRM, tests de mémoire et d’équilibre, et analyse de sang) réalisée dans le cadre de l’étude sur la santé cérébrale des sportifs professionnels.

Austin Trout, qui faisait partie de la centaine de sportifs professionnels en activité ou à la retraite participant à l’étude, s’est prêté au jeu pour aider les autres boxeurs et comprendre l’impact que sa carrière de boxeur professionnel avait sur sa santé cérébrale et le risque qu’il souffre d’ETC.

Pour l’athlète, qui a été élevé par sa mère à Las Cruces, au Nouveau-Mexique, la boxe a été une bouée de sauvetage. Dès son plus jeune âge, ce sport lui a apporté une structure, un sens de la communauté et un but, à une période où il en avait désespérément besoin. « Je me moquais des flics, je me moquais de mes profs, mais je ne voulais pas décevoir ma mère et mon coach », confie Austin Trout, âgé de 39 ans. « J’avais besoin de cette structure dans ma vie ».

Avec le temps, il a fini par faire carrière dans la boxe, ce qui lui a permis d’aider sa famille. Il a remporté le titre de champion de boxe WBA dans la catégorie de poids super-welters en 2011 et a affronté quelques-uns des plus grands boxeurs, comme Saul Alvarez (dit « Canelo »), Miguel Cotto et Jermell Charlo.

Austin Trout a toutefois conscience des séquelles de la boxe qui se manifestent plus tard dans la vie, même si elles sont assez mal comprises. « On dit des boxeurs qu’ils finissent toujours abrutis, fauchés et mendiants, raconte l’athlète. J’étais heureux de faire partie de quelque chose de très proactif pour les boxeurs ».

Pendant six ans, les chercheurs ont suivi l’évolution du fonctionnement cognitif et de la structure du cerveau de ces sportifs de combat. Sur les 130 participants professionnels, 50 répondaient aux critères du syndrome de l’encéphalopathie traumatique, qui est la présentation clinique proposée en cas de suspicion d’ETC. Les athlètes qui répondent aux critères de ce syndrome présentaient un déclin des aptitudes cognitives et des modifications de la structure cérébrale, notamment un rétrécissement ou un gonflement de certaines régions du cerveau.

« Ce qui ressort de cette étude, ce sont les modifications progressives du cerveau sur une certaine période », analyse Michael Alosco, chercheur en neurologie au centre CTE de l’université de Boston qui n’a pas pris part à l’étude. Contrairement aux études précédentes, qui portaient sur des athlètes à la retraite, celle-ci a été réalisée auprès de sportifs en activité, au cours d’une période où ils présentaient un risque élevé de développer une ETC. « C’est une étude passionnante », ajoute-t-il.

Ces études permettent aussi aux boxeurs comme Austin Trout de mieux comprendre leurs risques relatifs de développer des troubles neurodégénératifs comme l’ETC.

 

LE PRÉCURSEUR DE L’ETC

En 2021, un groupe de chercheurs a soumis un ensemble de symptômes cliniques susceptibles d’être associés au syndrome de l’encéphalopathie traumatique. Pour l’heure, cela ne sert qu’à des fins de recherche. « Aucun médecin ne devrait diagnostiquer ses patients à partir de cet ensemble de symptômes », explique Kristen Dams-O'Connor, neuropsychologue et directrice du Centre de recherche pour les traumatismes crâniens de Mount Sinai qui n’a pas pris part à l’étude. Ce sont des critères de recherche provisoires destinés à être utilisés par des chercheurs ».

Les symptômes du syndrome de l’encéphalopathie traumatique seraient des signes avant-coureurs de l’ETC. Les chercheurs espèrent à terme qu’en identifiant les patients atteints de ce syndrome, ils pourront établir un diagnostic et soigner les personnes souffrant d’ETC. « Notre souhait, c’est qu’avec le temps, nous pourrons apporter des modifications à ces critères pour les rendre plus précis et exacts », indique Charles Bernick, neurologue à la clinique de Cleveland et l’un des auteurs de l’étude.

Comme le souligne Kristen Dams-O'Connor, de nombreux troubles neurodégénératifs se ressemblent, mais nécessiteront vraisemblablement des options de traitements différentes. Pour mettre au point des thérapies efficaces pour l’ETC, les chercheurs doivent d’abord identifier quels patients souffrent du syndrome de l’encéphalopathie traumatique et non pas d’un autre trouble neurodégénératif. L’une des premières étapes de ce processus consiste à identifier les personnes susceptibles de développer l’ETC, dans le but de suivre leur évolution au fil du temps, afin de déterminer ce qui différencie un trouble d’un autre.

 

DES SCHÉMAS DE CHANGEMENTS CÉRÉBRAUX SIMILAIRES

50 des 130 boxeurs professionnels présentaient des changements cérébraux similaires au fil du temps. Ces changements incluaient des variations du volume de certaines régions du cerveau et un déclin des aptitudes cognitives. Pour ce qui est des changements du volume du cerveau, les boxeurs qui répondaient aux critères du syndrome de l’encéphalopathie traumatique présentaient des schémas similaires dans différentes régions du cerveau. Ces schémas peuvent aider les chercheurs à déterminer la forme que prend l’ETC à un stade précoce et de prédire quels boxeurs sont les plus à risque. « C’est un processus dégénératif de substitution », décrit Charles Bernick.

Les boxeurs qui répondent aux critères du syndrome de l’encéphalopathie traumatique ne développent pas forcément l’ETC, souligne Kyle Womack, neurologue à l’université de Washington, mais ils ont plus de chances de développer une forme de trouble neurodégénératif.

L'objectif est d'identifier un biomarqueur qui puisse indiquer que les problèmes qui se développent sont liés au syndrome de l’encéphalopathie traumatique, plutôt qu'à un trouble similaire, avant que les symptômes n’apparaissent. « L'apparition de symptômes n'est que la partie émergée de l'iceberg de ce qui s'est passé au fil du temps, explique Kyle Womack, qui n'a pas pris part à l'étude. Si les symptômes sont déjà apparus, il est peut-être trop tard ».

 

DES ÉTUDES COMPLÉMENTAIRES NÉCESSAIRES

À son lancement, l’étude sur la santé cérébrale des sportifs professionnels était uniquement réservée aux boxeurs professionnels. Mais au cours de la dernière décennie, elle s’est ouverte aux autres athlètes professionnels pratiquant des sports de contact, comme la course automobile et le rodéo. « Nous ignorons si les séquelles à long terme sont différentes pour ce qui est des chocs à la tête », précise Charles Bernick. Rien n’exclut en effet que les joueurs de football américain professionnels soient plus susceptibles que les boxeurs professionnels ou les combattants de MMA de souffrir d’un type spécifique de trouble neurodégénératif.

Les six années de tests subis par Austin Trout n’ont révélé aucun déclin de ses aptitudes cognitives ni aucune modification du volume de son cerveau. Le boxeur s’estime donc plus chanceux que la plupart de ses collègues. Il pratique désormais la boxe à mains nues, discipline où le risque de traumatisme crânien est plus faible, et a prévu de retourner à la clinique de Cleveland à l’automne pour continuer à participer à l’étude. « La raison pour laquelle je peux me battre à ce niveau, à mon âge, c’est ma défense, indique Austin Trout. Il y a beaucoup de boxeurs qui prennent un coup pour en donner un. Moi, c’est le contraire, je frappe pour ne pas être frappé ».

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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