Pourquoi certains volcans crachent-ils des ronds de fumée ?
Ces halos fantomatiques ont été observés au-dessus des régions volcaniques du monde entier mais jusqu'à présent, personne n'avait percé le secret de leur formation.
Un halo de fumée s'élève au-dessus de la bouche du volcan Yasur au Vanuatu. Cette image a été obtenue à l'aide d'une caméra infrarouge placée au sommet du volcan par des chercheurs de l'université d'Auckland, en Nouvelle Zélande. Des cercles de fumée similaires ont déjà été observés au sommet de volcans du monde entier mais leur formation a toujours été un mystère.
Des nuées ardentes dévalant leurs pentes aux rivières de lave incandescente, les volcans sont célèbres pour l'incroyable spectacle pyrotechnique qu'ils donnent à voir. Cela ne signifie pas pour autant qu'ils sont dénués d'intérêt dans leurs moments d'apaisement, comme le montrent les étranges anneaux de fumée qui s'élèvent dans le ciel de certains volcans encore frémissants.
Depuis quelques jours, ce phénomène est observé en Italie au sommet de l'Etna, où une myriade de volutes éphémères se détache du ciel azuré.
Naturellement, toute personne témoin de ce tour de magie souhaite des réponses : comment les volcans peuvent-ils bien créer ces ronds de fumée ? Et pourquoi seules certaines de ces furieuses montagnes sont-elles capables d'en produire ?
De telles apparitions éphémères ont été détectées au sommet de multiples volcans à travers le monde mais le processus qui mène à leur éclosion reste encore trouble. Même si leur diamètre peut atteindre plusieurs dizaines de mètres, ils ne persistent pas longtemps et sont imprévisibles, ce qui rend leur étude particulièrement difficile. En 2019, une équipe de scientifiques a donc décidé de s'intéresser à la question et de les simuler sur ordinateur sous la direction de Fabio Pulvirenti, directeur de recherche au Jet Propulsion Laboratory de la NASA à l'époque et désormais professeur à l'université polytechnique du Henan, en Chine.
Publiés dans la revue Scientific Reports en 2023, leurs résultats nous montrent que ces anneaux de gaz et de vapeur partagent de nombreux points communs avec les ronds de fumée crachés par les fumeurs à travers leur bouche ou par les canons-jouets à fumée à travers leur ouverture circulaire. Dans les trois cas, une quantité importante de vapeur doit être accumulée puis expulsée rapidement pour former un anneau digne de ce nom.
Aussi impressionnante soit-elle, la prouesse fait appel à des principes physiques plutôt élémentaires.
Qu'est-ce qu'un anneau de fumée volcanique ?
Malgré leur nom, ces cercles de fumée ne sont pas composés de fumée, indique Boris Behncke, volcanologue à l'Institut national de géophysique et de volcanologie en Italie, non impliqué dans l'étude de 2019. La version volcanique des anneaux de fumées est en fait principalement constituée de gaz condensés, en majeure partie de la vapeur d'eau, qui s'échappent du magma avant d'être propulsés par la cheminée du volcan.
Des vents forts peuvent empêcher les anneaux de se former ou de durer dans le temps. Dans le cas contraire, les anneaux formés à partir d'un volume suffisant de vapeur volcanique (plus chaude et moins dense que l'air ambiant) dérivent à la verticale en s'élargissant peu à peu. À mesure qu'ils s'élèvent, ils perdent de la vapeur et finissent par ne plus être visibles.
Cependant, seuls certains volcans semblent capables de souffler ces cercles de fumée et seulement à certains moments qui plus est. Lorsque Pulvirenti avait entendu parler d'eux pour la première fois en 2013, il avait remarqué que la littérature scientifique n'offrait aucune réponse substantive à leur sujet. Lorsqu'il ne put plus contenir sa curiosité, il décida de recruter des collègues pour se lancer à l'assaut de ce mystère volcanique.
Par la suite, l'équipe s'est intéressée aux nombreuses observations de ces anneaux de fumée pour voir comment ils s'élevaient, à quelle vitesse ils se déplaçaient, à quel rythme ils refroidissaient, à quel point leur composition variait et à quelle fréquence ils contenaient de la centre. Les scientifiques se sont également penchés sur la façon dont les gaz magmatiques migrent à travers les conduits volcaniques pour s'en échapper et se sont plongés dans les lois complexes de la physique des fluides qui régissent la formation des tourbillons par le biais d'expériences en laboratoire.
Ils ont ensuite intégré tous leurs résultats à un modèle informatique. En jouant avec l'accumulation de pression à l'intérieur du conduit et la géométrie de la cheminée volcanique virtuelle, l'équipe de scientifiques a pu définir les paramètres nécessaires à la formation d'anneaux de fumée.
Comment se forment les anneaux de fumée et pourquoi seuls certains volcans en sont capables ?
À mesure que le magma s'élève dans le conduit, la pression environnante chute, ce qui permet aux gaz dissous d'émerger sous forme de bulles. Si le magma n'est pas trop visqueux, ces bulles peuvent fusionner en différentes poches de gaz pressurisé. À l'approche de la cheminée, ces poches de gaz peuvent subir une violente dépressurisation et exploser en projetant de la vapeur chaude vers le haut, parfois à des vitesses proches de celle du son.
La vapeur éjectée de la cheminée interagit ensuite avec les parois rocheuses du volcan, la boule de gaz s'enroule autour des bords. On constate exactement le même phénomène sur les vidéos des canons à fumée au ralenti, indique Pulvirenti. Puis, lorsque le cercle enroulé de fumée entre en contact avec l'atmosphère plus froide, il refroidit, ralentit, se condense et devient visible, un peu comme les traînées de condensation laissées par les avions.
Pour créer ces anneaux, il est primordial que la cheminée du volcan soit suffisamment circulaire et que ses parois soient de la même hauteur. Si la forme de la cheminée est trop irrégulière ou si celle-ci est fracturée, le cercle sera altéré, instable ou ne se formera pas du tout.
Doctorant en volcanologie à l'université d'Auckland à l'époque où Pulvirenti présentait les résultats de son étude en 2019, Benjamin Simons a observé ces cercles de fumée sur plusieurs volcans toujours en activité, notamment celui du mont Yasur au Vanuatu. La plupart des cercles qu'il a eu l'occasion d'apercevoir émanaient de lucarnes, des ouvertures naturelles en forme de cercle situées au-dessus de fissures volcaniques qui « offrent une vue imprenable sur l'envoûtante lueur nocturne du magma », assure-t-il.
Lorsque de petites bouffées de gaz volcaniques étaient recrachées à travers ces ouvertures étroites, des cercles de fumée se formaient. Ils s'élevaient lentement, dit-il, et n'avaient que très rarement la puissance nécessaire pour dépasser le sommet du cratère avant de s'évanouir. Les résultats apportés par le nouveau modèle informatique correspondent aux observations faites par Simons ; plus l'ouverture est circulaire, « plus il y a de chances qu'elle produise un anneau de fumée, » indique-t-il.
Le modèle établi par Pulvirenti nous explique pourquoi ces anneaux de fumée n'apparaissent pas sur tous les volcans, puisqu'ils ont besoin de conditions spécifiques pour se former. Même lorsque ces conditions sont réunies, les anneaux de fumée n'apparaissent pas systématiquement, ce qui suggère que nos connaissances sur le désordre gazeux qui règne à l'intérieur des volcans présentent encore quelques lacunes.
Note de la rédaction : cet article a été initialement publié le 7 août 2019 en langue anglaise. Il a été mis à jour.