Lac Tulare : le lac fantôme est réapparu 130 ans après

Imaginez un lac qui disparaît puis réapparaît au fil des années. Imaginez maintenant un lac qui réapparaît après 130 ans, bouleversant les écosystèmes alentours.

De Amandine Venot
Publication 18 févr. 2025, 14:12 CET
Le lac Tulare était autrefois la plus grande étendue d'eau douce de l'Ouest américain. Il s'est ...

Le lac Tulare était autrefois la plus grande étendue d'eau douce de l'Ouest américain. Il s'est asséché il y a un siècle après que ses affluents ont été endigués, détournés et que le lit du lac a été transformé en l'une des terres agricoles les plus fertiles et les plus productives de Californie. En 2023, le lac Tulare a fait une réapparition surprise après un hiver de pluies exceptionnellement fortes.

PHOTOGRAPHIE DE Scott London / Alamy Banque d'Images

Le lac Tulare, situé dans la vallée de San Joaquin en Californie, qualifié de « lac fantôme », existe bel et bien. « Avant l’arrivée des colons européens, la dynamique et l’expression géographique du lac Tulare étaient régies par le volume d’eau et la topographie de la région », amorce William L. Preston, professeur au département des sciences sociales de l’Université de Californie, spécialiste de l’impact humain sur l’écologie en Californie et du régime foncier dans la vallée de San Joaquin. « Le volume du lac était déterminé par les précipitations variables, d’une année sur l’autre et par les cycles climatiques de longue durée. Il était alimenté à l’est par les fortes pluies et les chutes de neige, dans le bassin versant de la Sierra Nevada », explique-t-il. 

Ces cycles de plusieurs années pouvaient être extrêmement humides ou à l’inverse, incroyablement secs. Ainsi, le lac pouvait mesurer 1968 km² à son maximum ou a contrario, être totalement asséché. « Les Yokuts, peuple autochtone vivant autour du lac, ont rapporté que celui-ci disparaissait parfois, bien que rarement », commente le professeur. « Des textes de la période chaude médiévale, de 800 à 1350, suggèrent également que le lit du lac était dépourvu d’eau pendant de longues périodes ». 

Ce qui rend la superficie du lac Tulare si dynamique, c’est sa profondeur. « À son point le plus profond, le lac ne mesurait que douze mètres, la profondeur moyenne étant bien moindre », explique William Preston. Ainsi, lorsque les précipitations étaient puissantes, la topographie douce qui caractérise le lit du lac et des terrains adjacents était rapidement submergée.

Sa localisation aussi, dans le sud de la vallée de San Joaquin, bordée au nord par le cône de dépôt de la Kings River, « empêche le lac de se drainer vers le nord, à l’exception des années particulièrement humides », ajoute le professeur. L'excès d'eau du lac ne peut par conséquent que s'éliminer dans le sol.

 

L’ARRIVÉE DES COLONS ET DE L’INGÉNIERIE HUMAINE

L’arrivée des colons européens sur le territoire américain dans les années 1850 a drastiquement influencé les facteurs d’évolution du lac Tulare. « À partir des années 1860, des canaux ont été construits pour détourner les eaux de ruissellement des rivières et, avec le temps, des barrages ont été construits pour faciliter la retenue et le détournement de l’eau pour l’irrigation agricole », rapporte William Preston. Le processus, qui a duré plus d’un siècle, a considérablement accéléré la dynamique naturelle du lac.

Dès les années 1870, les effets se sont fait ressentir. Les constructions humaines ont modifié la géographie naturelle du lac de telle sorte que ses rives ont rapidement diminué par rapport à celles d’antan. Depuis, c’est la géométrie imposée par l’Homme qui triomphe sur la géographie naturelle du lac, tout du moins jusqu’à la période contemporaine et les effets du changement climatique. 

 

LA NATURE REPREND SES DROITS 

Aujoud’hui, le changement climatique s’ajoute aux nombreux facteurs qui déterminent la topographie du lac Tulare. Dans la vallée de San Joaquin, « nous savons que les températures de l’air augmentent, que l’atmosphère transporte plus d’humidité et d’énergie, que davantage de précipitations tombent sous forme de pluie au détriment de la neige et que le pic de fonte des neiges se produit plus tôt dans l’année », souligne M. Preston. Certains signes indiquent aussi que « le calendrier saisonnier des tempêtes se modifie et que ces dernières se renforcent ». 

Tous ces événements climatiques ont des effets sur le lac. L’apparition plus précoce du pic de ruissellement des montagnes de la Sierra Nevada par exemple, rend plus difficile la gestion des infrastructures hydrauliques (barrages, bassins versants). À cela, s’ajoutent les ruissellements d’eau causés par des tempêtes toujours plus puissantes et plus nombreuses. 

Le lac Tulare cartographié en 1874.

Le lac Tulare cartographié en 1874.

PHOTOGRAPHIE DE The History Collection / Alamy Banque D'Images

Pour William Preston, les précédents modèles de réchauffement climatique, notamment la période chaude médiévale, « suggèrent qu’un climat plus chaud entraînerait de plus longues périodes de sécheresse ponctuées d’intervalles exceptionnellement humides ». Selon lui, « les conséquences sur la dynamique du lac seraient exceptionnelles […]. Le lac pourrait être privé d’eau pendant des décennies, pour ensuite être plein à craquer pendant des années ». Les répercussions sur les Hommes et leurs activités autour du lac seraient dévastatrices. « Il sera très difficile d’y faire face », alerte William Preston. 

Les risques environnementaux dans la région créent des tensions entre les ONG écologistes et les locaux qui prônent leurs propres intérêts, souvent économiques. Les écologistes se concentrent principalement sur la restauration d’une partie du lac et le rétablissement de sa biodiversité. Un élargissement de la superficie du lac bénéficierait à l’avifaune, qui utilise le lac comme un point de repère sur le chemin migratoire du Pacifique. « D’autant plus que la plupart des zones humides du côté ouest de la vallée ont été supprimées depuis longtemps », commente le professeur.

En revanche, lorsque le lac s’étend au cours des années particulièrement humides, les agricultures en pâtissent et par extension, les infrastructures associées et les populations environnantes aussi. Même les lignes ferroviaires seraient menacées. Les coûts financiers seraient également conséquents. « Une grande partie de l’agriculture productive serait mise hors service, les cultivateurs et travailleurs seraient mis en péril, une composante importante de l’assiette fiscale dans la région serait réduite », prévient William Preston.

 

LA FIN DE L’ÉVANESCENCE ?

Plusieurs tentatives de réconciliation ont été proposées au cours des quarante dernières années. Des études ont été faites sur la possibilité d’aménager un plan d’eau pour une partie du lac Tulare. Certains groupes de résidents ont préconisé de retenir davantage d’eau afin de reconstituer les nappes phréatiques entre le lac et les contreforts de la Sierra ». Reconstituer ces nappes phréatiques permettrait de reconstruire des habitats naturels tels que le Pixley National Wildlife Refuge

Mais le lac sera-t-il suffisamment permanent pour qu’un plan de répartition de l’eau voit le jour ? Selon William Preston, « avec les efforts actuellement déployés pour restaurer une partie du lac, il est tout à fait possible que dans un avenir proche, le lac, ou une partie de ce dernier, ait une présence à long terme ». 

Il reste urgent d’agir face aux pénuries d’eau et à la forte probabilité d’inondations futures. Des mesures réglementaires ont donc été envisagées. « Il a été suggéré de construire d'autres barrages et de rehausser les structures existantes pour retenir une plus grande partie des eaux de ruissellement de la Sierra », informe le professeur. Durant les périodes humides, l’excédent d’eau serait intentionnellement déversé dans le lac afin de reconstruire les réserves d’eau souterraine qui s’amenuisent. 

Avec le changement climatique, les cycles climatiques humides seraient aussi plus longs. Ainsi, il pourrait absorber des quantités substantielles d’eau pendant de longues périodes, indépendamment de l’intention humaine. Mais là encore, le revers de la médaille serait des périodes de sécheresse à long terme, qui engendreraient à nouveau la résorption du lac. L’avenir du lac Tulare et de son bassin reste donc incertain.

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