Connaître l'histoire de votre famille est plus important que vous ne le pensez

Bien que les documents et la généalogie soient des ressources importantes, rien ne vaut les souvenirs personnels de vos parents ou grands-parents pour comprendre l'histoire de votre famille.

De Jordan Salama
Publication 28 nov. 2024, 14:49 CET
Les documents et les généalogies constituent des ressources importantes, mais rien ne vaut les souvenirs personnels.

Les documents et les généalogies constituent des ressources importantes, mais rien ne vaut les souvenirs personnels.

Illustration de Florencia Gavilan

Le classeur semblait me fixer. Des papiers jaunis et des photographies en noir et blanc dépassaient sur les côtés. Écrit à la main sur l’étiquette collée sur la tranche : « Historia Antigua », ou histoire ancienne en espagnol. Je l’ai ouvert à la première page et ai commencé à le lire.

Je ne sais pas exactement ce que je me m’apprête à écrire, mais j’ai cette idée en tête depuis un certain nombre d’années maintenant, depuis une conversation que j’ai eue avec mon père lorsque j’ai eu 13 ans et que j’ai fait ma bar-mitzvah…

Cela ne faisait aucun doute, il s’agissait de l’écriture de mon grand-père, une écriture argentine caractéristique marquée par des majuscules irrégulières. Nous fêtions Thanksgiving ce jour-là, et je me trouvais dans la cave de mes grands-parents, dans la banlieue de New York. Tandis que je lisais, en silence, j’entendais les pas de ma famille à l’étage. Dans les premières pages du classeur, Abuelo racontait plusieurs siècles de l’histoire de notre famille, de la Mésopotamie à l’Espagne médiévale, en passant par la Syrie ottomane, l’Amérique latine et les États-Unis, telle qu’elle lui avait été racontée par son père. Ce que j’avais entre les mains était le fruit d’une longue histoire orale qu’Abuelo avait été le premier à retranscrire sur le papier. En feuilletant doucement la suite, j’ai découvert des pages de journaux intimes, des carnets de voyage, des lettres et des coupures de presse datant de la jeunesse d’Abuelo, un véritable trésor de souvenirs, d’histoire et de recherche.

Pendant des mois, je ne lui ai pas avoué ce que j’avais mis au jour dans sa cave. Au lieu de cela, j’attendais avec impatience chaque période de vacances pour pouvoir passer du temps chez mes grands-parents et m’éclipser discrètement afin de poursuivre ma lecture. Un après-midi, des mois après ma découverte, Abuelo m’a rejoint dans la cuisine et m’a fait signe de le suivre. « Je veux te montrer quelque chose », m’a-t-il dit, avant de me conduire dans la cave. Alors que nous tournions à gauche vers sa bibliothèque, je me suis aperçu que l’Historia Antigua était posée sur le bureau, déjà ouverte. Mon visage s’est empourpré.

« Tu as regardé mes écrits. » Lorsqu’il parlait en anglais, mon grand-père s’exprimait toujours de manière très factuelle, en choisissant soigneusement ses mots.

« Oui, tout à fait », ai-je confirmé. « Abuelo, c’est très intéressant. »

Son visage s’est illuminé d’un large sourire. Il s’est mis à rire, et ses yeux se sont remplis de larmes. « Est-ce que tu as beaucoup lu ? »

« Pas tant que ça », ai-je menti, puis nous nous sommes assis à son bureau. Abuelo s’est alors mis à feuilleter le classeur devant moi, laissant ainsi entrevoir d’anciens documents religieux (une ketouba, un contrat de mariage juif) et civils (un registre défraîchi de Buenos Aires), et a commencé à me raconter l’histoire de notre famille. À partir de ce jour, nous nous sommes mis à lire l’Historia Antigua ensemble afin qu’Abuelo puisse m’expliquer les parties que je ne comprenais pas : les noms, les lieux ainsi que certains mots et expressions en espagnol, en arabe et en hébreu. Nous avons discuté de langue, d’identité et d’histoire. 

Nous avons dessiné et redessiné des arbres généalogiques et revu les noms et les histoires de nos ancêtres, comme s’ils pouvaient nous rejoindre d’un moment à l’autre. Après un certain temps, nos conversations ont fini par dériver entièrement vers l’espagnol, car il était plus facile pour Abuelo de parler de sa vie, tout particulièrement de son enfance à Buenos Aires, dans sa langue maternelle. Quant à moi, ce détail apportait un sentiment d’excitation, et même de mystère à la conversation, un peu comme si je découvrais un tout nouveau monde. J’essayais, aussi bien en tant que petit-fils que journaliste, de poser des questions pour apporter encore plus de couleur et de nuance à ces récits. 

Puisque l’Historia Antigua couvrait déjà l’essentiel du « quoi », du « où » et du « quand » de l’histoire, du moins dans les grandes lignes, je pouvais me concentrer sur le « pourquoi » et le « comment » pour dresser le meilleur portrait possible de notre famille. Pourquoi mes arrière-grands-parents juifs avaient-ils quitté Damas si précipitamment au début du 20e siècle pour se rendre en Argentine ? Pourquoi mon arrière-grand-père avait-il décidé de travailler comme vendeur itinérant avec une charrette tirée par des chevaux dans la lointaine cordillère des Andes, et comment s’y prenait-il pour voyager ? À quoi ressemblaient les journées dans les quartiers populaires de Buenos Aires durant l’enfance d’Abuelo et Abuela ? Et pourquoi notre famille avait-elle fini par émigrer à nouveau, cette fois-ci vers les Amériques ?

Sharing Family History

Moisés Salama a passé des décennies à compiler la riche histoire de sa famille. Lorsque son petit-fils est tombé sur le fruit de son travail, une porte vers leur passé familial commun s'est ouverte devant eux.

PHOTOGRAPHIE DE Ismail Ferdous

Il est peut-être difficile de croire qu’Abuelo n’ait pas partagé ces histoires avec moi avant ce moment, mais je n’étais pas nécessairement surpris. Mon grand-père n’était pas du genre à se lancer dans une histoire de famille s’il n’y était pas invité, et de mon côté, je n’avais jamais pris le temps de le lui demander. À chaque fois que je parle de nos conversations autour de moi, on me confie partager le même sentiment. « C’est génial que tu aies pris le temps de demander », me disait-on, tout en déplorant de ne pas avoir encore fait la même chose, de ne pas avoir pensé à le faire avant qu’il ne soit trop tard.

J’ai récemment commencé à animer des ateliers sur le sujet de l’histoire familiale et à parcourir le pays pour parler de mon livre, qui raconte ma recherche, à travers l’Argentine, de traces du père d’Abuelo, ce vendeur itinérant juif syrien qui parcourait la cordillère des Andes. En discutant avec d’autres personnes, j’ai réalisé que le temps et l’inertie restaient les plus grands obstacles à la découverte de nos propres histoires. Lorsque les seules personnes qui détenaient encore les réponses à nos questions ne sont plus là, il ne nous reste que des tas de documents, de certificats de naissance, de résultats ADN et de photographies sans description à tenter d'examiner, plutôt que de véritables heures d’histoires détaillées. Nous nous retrouvons donc avec le « où » et le « quand », mais sans le « pourquoi » ni le « comment ».

Pour celles et ceux d’entre nous qui ont encore la chance de pouvoir le faire, nous nous devons de poser ces questions à nos parents et grands-parents dès aujourd’hui, avant qu’il ne soit trop tard. Tenez un journal, écrivez des lettres, immortalisez des détails sensoriels. Posez des questions sur les objets ordinaires de la maison susceptibles de contenir des indices sur le passé. Enregistrez et transcrivez ces conversations, et si elles ne se font pas naturellement, organisez des interviews des membres plus âgés de votre famille, et faites-le devant les plus jeunes. Si vous appartenez à la génération des plus âgés, c’est à vous de prendre la parole : réfléchissez à la manière dont vous pourriez donner vie à ces histoires familiales et aux outils que vous pourriez utiliser, comme la mystérieuse Historia Antigua d’Abuelo, pour éveiller l’intérêt des jeunes, mais aussi le vôtre.

Les histoires familiales nous permettent de laisser une trace. Elles sont ancrées dans les traditions que nous adoptons tout au long de notre vie. Elles sont les identités que nous créons dans des mondes étrangers et familiers, dont nous nous souvenons aujourd’hui, mais qui risquent toujours d’être oubliées.

Peu de temps après qu’Abuelo et moi avons commencé à discuter de l’Historia Antigua, Abuela a révélé sa propre collection secrète d’histoires, de nouvelles inspirées de son enfance, qu’elle avait rangées tout au fond de son classeur de recettes. Aujourd’hui, en famille, nous lisons et discutons souvent de ces histoires.

les plus populaires

    voir plus

    Jordan Salama est un écrivain, journaliste et producteur argentino-américain. Son dernier livre, Stranger in the Desert: A Family Story, a inspiré l'écriture de cet article. Retrouvez-le sur Instagram.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

    les plus populaires

      voir plus
      loading

      Découvrez National Geographic

      • Animaux
      • Environnement
      • Histoire
      • Sciences
      • Voyage® & Adventure
      • Photographie
      • Espace

      À propos de National Geographic

      S'Abonner

      • Magazines
      • Livres
      • Disney+

      Nous suivre

      Copyright © 1996-2015 National Geographic Society. Copyright © 2015-2024 National Geographic Partners, LLC. Tous droits réservés.