Découverte de fuites océaniques qui pourraient expliquer la tectonique des plaques
Une étonnante découverte de fuites de liquides chauds, en provenance des profondeurs océaniques, au niveau de la côte nord-ouest des États-Unis, pourrait expliquer le fonctionnement de la tectonique des plaques.
Image sonar de panaches de bulles dans l’oasis de la Pythie, au niveau de la faille de Cascadia. Cette modélisation orientée nord-est, représente les fuites s’élevant au-dessus de cette section de la zone de subduction qui menace le Nord des Etats Unis d’un risque sismique élevé.
Le 25 janvier 2023, une étude réalisée en domaine océanographique publiée dans la revue scientifique Science Advances menée par des chercheurs des universités américaines de Washington Oregon et du Maryland, révèle un étonnant échappement de fluides chauds en provenance des fonds océaniques.
Ces fuites se situent au niveau de la faille de Cascadia, à 80 kilomètres au large de Newport, dans l’Oregon. Cette zone de subduction, qui présente l’une des activités tectoniques les plus fortes de la planète, se trouve sur la trajectoire de la ceinture de feu, une région comportant un fort volcanisme et une importante sismicité, laquelle longe notamment la côte ouest de l’Amérique du Nord, depuis l’Île de Vancouver jusqu'au Nord de la Californie.
L’OASIS DE LA PYTHIE
En 2014, une équipe de chercheurs qui effectuait un transit de routine à bord du R/V Thomas G. Thompson a découvert pour la première fois une zone d’émission de sources liquides émanant du fond marin, au large des côtes de l’Oregon, sur la côte ouest des États-Unis. « Cette découverte a été faite par un étudiant, Brendan Philip, qui travaillait dans mon laboratoire », explique Evan Solomon, géochimiste et géologue marin à l’université de Washington Oregon. « J’étais son superviseur avec ma collègue Deborah Kelly », ajoute-t-il.
« Nous avons vu de l’eau remonter des fonds marins, sur des distances que je n’avais encore jamais observées. Brendan a appelé ces liquides Pythia’s Oasis », en référence à la prêtresse d’Apollon, Pythie, qui dans la Grèce antique interprétait les oracles dans une salle sous-terraine du sanctuaire de Delphes, laquelle reposait au-dessus d’une fosse d’où sortaient des émanations issues des profondeurs de la Terre.
Cette découverte a été étudiée pour la première fois en 2015, à l’aide du ROPOS, un ROV, petit véhicule sous-marin téléguidé.
La fuite de l’Oasis de la Pythie jaillit à une température de 12°C par un étroit conduit de cinq centimètres de diamètre, situé à 380 mètres de distance de la zone de subduction.
Ces fuites se trouvent au niveau d’une zone de subduction qui présente d’importantes activités sismiques, lesquelles sont amplifiées par de forts mouvements de convection et de frottement entre la plaque plongeante et la plaque chevauchante. La forte activité géologique de Cascadia, marquée par la zone de subduction, et la rupture entre les deux plaques lithosphériques convergentes de Juan Fuca et de l’Amérique du Nord, fait encourir un risque de séisme majeur, potentiellement de magnitude supérieure à 9, à une grande partie de la côte ouest des États-Unis, dans les décennies ou siècles à venir.
Le risque sismique majeur au niveau de la faille de Cascadia est avéré depuis plusieurs siècles. En l’an 1700, suite à la rupture d’une section de cette faille de chevauchement, les côtes nord-ouest américaines et canadiennes ont été balayées par un violent raz-de-marée, causé par l’un des plus importants séismes jamais répertoriés. La « forêt fantôme » dans l’État américain de l’Oregon témoigne de l’évènement, qui aurait été ressenti jusqu’au Japon.
La zone active de l’Oasis de la Pythie est marquée d’un promontoire formé de couches sédimentaires de 1,5 kilomètre de long, à 1 040 mètres au-dessous du niveau de la mer. Ces fuites sont détectées « grâce aux gaz émis par les bulles qu’elles produisent [lesquelles sont captées par] un sonar à multi-faisceaux, depuis un navire », explique Evan Solomon. « Le son se répercute alors sur ces bulles », ce qui permet de modéliser une image de leur trajectoire. Les panaches de bulles émanant de cette zone de fuite s’élèvent en points distincts, sur plus de 575 mètres vers la surface.
L’analyse de la composition des fluides qui sortent de la faille, 9°C au-dessus de la température de l’océan, indique qu’ils présentent un enrichissement extrême en bore et en lithium, mais un appauvrissement en chlorure, potassium et magnésium, se distinguant de la composition chimique de l’eau de mer. La température, la composition, la pression de ces liquides, et la localisation de leur zone de fuite en font une découverte tout à fait unique, dans la mesure où ces caractéristiques de fuites océaniques ne correspondent à aucune autre donnée connue.
UN "LUBRIFIANT" TECTONIQUE
Il n’est pas rare d’observer des remontées de liquides chauds dans le contexte océanique. Cependant, ils sont plutôt produits au niveau de zones volcaniques, notamment proches des dorsales. Les remontées de magma y produisent une nouvelle croûte, laquelle est progressivement charriée, au fil des temps géologiques vers les fosses océaniques, avant de plonger profondément, par mouvements de subduction dans les couches du manteau terrestre. Or la particularité des fluides étudiés est qu’ils proviendraient directement des fosses, là où l'on observe des mouvements de subduction.
Représentation schématique des tremblements de terre de Cascadia.
« Si l’on se balade le long de la zone de Cascadia, on peut constater d’importantes émissions de gaz en provenance des profondeurs », explique le géologue. « Il y a beaucoup d’activités sismiques au large des côtes de Washington, dans l'Oregon », et de nombreuses études ont permis de répertorier près de « 350 points d’émissions de liquides sous-marins, [lesquels] ont été cartographiés grâce aux sonars. [...] On ne s’attendait alors à rien de particulier », ajoute-t-il.
Or, à mesure que le ROV s’approchait de la zone d’émission, l’appareil a commencé à détecter une diminution de la salinité et une augmentation de la température de l’eau. Ce qui n’est pas normal. Au niveau des dorsales océaniques, on trouve des émissions de liquides à températures très élevées, qui proviennent d’une activité magmatique. De plus, elles contiennent du sel, qui est un minéral très perméable. « Or, dans une zone de subduction, on ne s’attend pas à voir de tels évènements. On n’y trouve pas de chambres magmatiques », appuie Evan Solomon.
Les fuites observées sont composées de substances très peu perméables. Or la plaque subduite est recouverte de sédiments, lesquels contiennent des nombreux « pores », où l’eau de mer se retrouve piégée. À mesure que le plateau océanique plonge, la plaque supérieure écrase les sédiments. Avec cette importante pression, l’eau qui y était logée, « tente alors de sortir, comme quand on presse une éponge », explique Evan Solomon. « Mais étant donné que les sédiments sont imperméables, l’eau rencontre des difficultés à sortir ». Il n’y a en effet pas d’espaces interconnectés permettant à l’eau de remonter. « C’est un peu comme un ballon », décrit-il. Mais certains liquides arrivent à se frayer un chemin jusqu’à la surface.
L’eau enfermée dans la zone de subduction est capable de s’échapper car elle est située sur la région « forearc », terme faisant référence à une région dans une zone de subduction entre une tranchée océanique et l'arc volcanique associé. À Cascadia, la zone de fuite comprend des sédiments plus perméables que ceux du reste du plateau océanique. La forte pression améliore la porosité des roches, ce qui permet aux liquides de remonter des profondeurs vers la surface. Cependant, seules de petites quantités d’eau s’échappent chaque année. Ils ressortent froids étant donné les longues distances parcourues le long des limites de plaques. Or, « dans le cas de Cascadia, les fluides sont bien plus chauds que la température ambiante car le débit de sortie est très élevé ».
Les fluides semblent provenir de la limite entre le plateau océanique et le plateau continental et migrent verticalement, sur une assez longue distance. La découverte de cette fuite rend compte du fait que c’est « la pression de l’eau qui permet [aux deux plaques engagées dans une interaction de subduction] qui leur permet de glisser plus facilement ».
Il apparaît que la pression exercée sur les fluides interstitiels joue un rôle sur la mécanique des failles. Le processus de subduction, au cours duquel la plaque océanique plonge sous la plaque continentale, provoque un effet de charriage qui est régulé par un équilibre entre les apports en eau qui sont intégrés avec la plaque subduite, et le débit de sortie des fluides. Ces interactions de liquides jouent un rôle de régulateur dans la pression des fluides au niveau des zones de subduction. Cette découverte apporte donc des précisions quant au fonctionnement de la tectonique des plaques, mais ne peuvent en aucun cas, du moins pour l'instant, permettre de prévenir un séisme.