La Corse et la Sardaigne n'ont pas toujours été des îles. Le resteront-elles ?

Il y a 32 millions d'années, la Corse et la Sardaigne étaient rattachées à la Provence-Alpes-Côte d'Azur. La phase de compression dans laquelle nous sommes entrés il y a 7 à 8 millions d'années pourrait les rapprocher à nouveau du continent.

De Nadège Lucas, National Geographic
Publication 8 mars 2025, 10:51 CET
Ruines du village de Nonza avec le Monte Cinto en arrière-plan, au Cap Corse, en Corse.

Ruines du village de Nonza avec le Monte Cinto en arrière-plan, au Cap Corse, en Corse.

PHOTOGRAPHIE DE Delphotos, Alamy Banque d'Images

Un continent englouti en Méditerranée ? Cette théorie a été définitivement abandonnée dans les années 1960, laissant place à une réalité bien différente : celle de la fragmentation progressive de la Pangée, ce supercontinent qui, il y a 200 à 300 millions d'années, rassemblait toutes les terres émergées.

Les mouvements des plaques tectoniques ont progressivement séparé les continents, créant de nouveaux espaces maritimes. Cette dynamique a été mise en évidence dès les années 1970 par des géologues, parmi lesquels John Dewey et Émile Argand, un éminent tectonicien suisse reconnu pour ses contributions à la compréhension des dynamiques géologiques. Il fut le premier à décrire la rotation des îles comme la Corse et la Sardaigne, et à expliquer, en 1924, la formation complexe des Alpes. Dewey et Argand furent par ailleurs les premiers à évoquer la découverte d’un continent disparu, le Grand Adria, confirmée en 2019 par Douwe van Hinsbergen.

Laurent Jolivet, professeur émérite à la Sorbonne Université et président de la Société géologique de France, explique que pour comprendre l’histoire de ce morceau de croûte continentale et les événements naturels qui l’ont façonné, il est essentiel d'explorer d'abord l’histoire géologique de la Méditerranée.

La Méditerranée se divise en deux bassins, occidental et oriental, séparés par des hauts-fonds situés entre la Sicile et l'Afrique du Nord. Sur le plan géologique, cette mer se trouve entre les plaques tectoniques africaine et eurasienne, dont le rapprochement entraîne une intense activité sismique et volcanique.

C'est sous l’effet d’une faille maritime et de la tectonique des plaques découpant la lithosphère terrestre que la séparation de la Corse et de la Sardaigne a débuté il y a 32 millions d'années. Ce processus a suivi deux phases : d’abord, la formation d’un rift, suivie d’une rotation rapide de 40 à 50 degrés dans le sens antihoraire, qui s’est produite pendant le Miocène inférieur et moyen (il y a 24 à 15 millions d’années), avec un pôle de rotation situé vers la mer Ligure, près de l’actuelle région de Nice.

Représentation schématique du mouvement des continents et de la formation des montagnes.

Représentation schématique du mouvement des continents et de la formation des montagnes.

PHOTOGRAPHIE DE Artur Balytskyi / Alamy Banque d’images vectorielles

Un changement majeur dans la dynamique des plaques tectoniques s’est alors produit en Méditerranée. La subduction peut présenter deux modes différents : soit la fosse avance vers la plaque supérieure, entraînant une compression et la formation d’une chaîne de montagnes dans la plaque supérieure (comme les Andes dans l’est du Pacifique), soit la fosse recule, entraînant au contraire une extension et la formation d’un rift, puis d’un bassin océanique. La subduction méditerranéenne est passée d’une dynamique à l’autre, déplaçant alors les chaînes de montagnes formées au début dans un contexte extensif, avec le recul rapide de la fosse.

Ce mouvement a provoqué la séparation du bloc corso-sarde de l’Europe, un processus qui s'est poursuivi jusqu’à une époque relativement récente. En effet, « la rotation de la Corse et de la Sardaigne ne s’est achevée qu'il y a 14 à 15 millions d’années » précise Laurent Jolivet. Parallèlement, les zones de subduction situées à l’est et au sud-est ont continué de reculer, formant ainsi les Apennins et la mer Tyrrhénienne que nous connaissons aujourd’hui.

La raison principale du détachement de la Corse à cet endroit précis est probablement liée à l’existence d’un arc volcanique avant la séparation, car la subduction engendre des volcans. On retrouve des roches volcaniques en Provence datant de l’Oligocène, ainsi qu’en Sardaigne, plus à l’ouest. Cet arc volcanique favorise la remontée du manteau chaud, ce qui affaiblit la lithosphère ; celle-ci devient plus fine, moins résistante à la déformation, et c’est probablement pour cette raison que la rupture se produit à cet endroit.

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    UN HÉRITAGE PARTAGÉ

    En replaçant la Corse et la Sardaigne à leur position d’origine, on constate que la Corse, composée de granite et de roches métamorphiques hercyniennes, se trouvait en face de la Provence et du Massif des Maures, qui abritaient également un socle paléozoïque. Les roches qu’on retrouve en Corse, héritées de l’orogenèse hercynienne, présentent des similitudes frappantes avec celles de la chaîne hercynienne continentale.

    La Corse abrite plusieurs types de calcaire, notamment des calcaires mésozoïques datant du Crétacé. Au fur et à mesure du développement du rift, la mer a progressivement envahi les terres, permettant aux calcaires riches en fragments de coraux et en restes d’organismes vivants de s’accumuler dans des eaux peu profondes mais agitées. Cette dynamique a sans doute contribué à la formation des structures si particulières que l’on peut observer sur les falaises de Bonifacio. Très prisées des touristes aujourd’hui, elles ne sont pas sans rappeler celles que l’on trouve sur le continent, notamment entre Marseille et Cassis, bien que les calcaires des Calanques soient beaucoup plus anciens.

    Au nord de l’île voisine, on retrouve des sédiments qui se seraient déposés à la même époque, ainsi que des roches volcaniques présentant une structure légèrement différente. « Avant la rotation rapide de la Corse et de la Sardaigne, ces deux îles faisaient partie d’une chaîne de montagnes qui prolongeait les Pyrénées vers l’est et dont les chaînons provençaux (Sainte-Victoire, Sainte-Baume…) sont les vestiges », précise Laurent Jolivet.

    Cette évolution géologique est si précise qu’aujourd’hui encore, on peut observer que certains contours de ces îles s’emboîtent parfaitement dans le découpage des côtes provençales. « Lors des reconstructions géologiques, on a constaté qu’il subsiste un petit trou qu’on ne sait trop comment combler ; c’est là l’unique débat entre spécialistes, mais cela n’altère en rien notre compréhension de cette rotation et notre certitude de l’endroit précis du détachement du bloc corso-sarde », précise Laurent Jolivet.

     

    COMPRENDRE LE PASSÉ, LE PRÉSENT ET L’AVENIR

    Des équipes françaises et italiennes se rendent régulièrement en Corse et en Sardaigne, mais plus particulièrement en Corse, où la géologie est remarquablement riche. Les études ont montré que certaines des roches qu'on peut y étudier sont identiques à celles observées dans les Alpes à 2 000 ou 3 000 mètres d’altitude. Ces recherches permettent également de comprendre les liens entre la Provence, la Corse, la mer Tyrrhénienne et les Apennins, une histoire géologique de plus de 30 millions d’années qui continue d’évoluer.

    Vue sur la Corse depuis les formations de roches calcaires sédimentaires, à Capo Testa, Sardaigne.

    Vue sur la Corse depuis les formations de roches calcaires sédimentaires, à Capo Testa, Sardaigne.

    PHOTOGRAPHIE DE Konrad Wothe / imageBROKER.com / Alamy Banque D'Images

    « Nous savons que les mouvements des plaques continuent à l’est, notamment dans la mer Égée ; c'est un scénario identique à celui que connaît la Méditerranée occidentale. La séparation de la Crète du reste de la Grèce répond à la même dynamique et aux mêmes causes », souligne le professeur Jolivet.

    Depuis 7 à 8 millions d’années, nous sommes entrés à nouveau dans une période de compression. Cette compression se manifeste aujourd’hui entre l’Andalousie et le Maroc, avec une extension vers l’ouest du bassin liguro-provençal, dans ce qu’on appelle la mer d’Alboran, qui s’est formée et ouverte de la même manière que la Méditerranée et qui a commencé à se refermer. Tous ces bassins arrière-arc, formés à la même époque, sont situés derrière la zone de subduction. Cette zone est un élément clé de la tectonique des plaques, permettant de comprendre les mécanismes de déformation de la croûte terrestre ainsi que les interactions entre la plaque tectonique plongeante et la plaque sus-jacente.

    Les mouvements tectoniques continuent d’affecter la région et cette dynamique devrait se poursuivre durant quelques millions d’années. Si elle se poursuit, comme cela a commencé au nord de la Sicile et au nord du Maroc et de l’Algérie, nous pourrions observer une fréquence accrue de séismes compressifs, parfois très violents. La partie occidentale de la Méditerranée a commencé à se refermer, mais cela nécessitera probablement autant de temps qu’elle en a mis pour s’ouvrir. Des événements sismiques pourraient survenir dans quelques millions d’années non seulement en Méditerranée, mais aussi dans des régions comme l’Atlantique ou la mer Rouge, avec des effets potentiellement dévastateurs. La surveillance rigoureuse de l'activité sismique et du volcanisme est désormais cruciale, car ces phénomènes peuvent également déclencher des tsunamis destructeurs.

    Pour comprendre le passé et l’avenir de la Corse et de la Sardaigne, il est essentiel d’explorer leur géologie à travers le temps. La position actuelle de la Corse et de la Sardaigne est le résultat d’événements naturels qui remontent à des millions d’années, confirmant ainsi la théorie d’Alfred Wegener sur la tectonique des plaques et le mouvement continu des continents. Cette dynamique, qui transforme en permanence la croûte terrestre et océanique, soulève les chaînes de montagnes et réorganise les espaces. Et pourrait bien entraîner le rattachement de la Corse et de la Sardaigne au continent européen, voire conduire à la formation d’un nouveau supercontinent.

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