Islande : découverte de poches de magma cachées autour des volcans
Ces poches pourraient représenter de véritables bombes de lave à retardement.
Le volcan Krafla en éruption. Du magma collecté récemment de ce volcan correspond à celui récupéré lors de son éruption en 1724. Cette découverte signifie que le magma n’avait pas été détecté depuis trois-cents ans, malgré les grandes avancées en matière d’outils de détection.
Alors que des ingénieurs commençaient à forer autour d’un volcan islandais du nom de Krafla, les choses ont pris une tournure étrange. L’objectif de l’équipe était d’atteindre les frontières d’une chambre magmatique située à 4 kilomètres de la surface. Ils souhaitaient ensuite puiser dans ces fluides extrêmement chauds, capables de produire de l’énergie géothermique. Seulement, après un peu plus d’un kilomètre de forage, de la roche en fusion a commencé à remonter du sillon.
En cette fraîche journée du printemps 2009, les ingénieurs avaient accidentellement atteint une poche de magma située juste en-dessous de la surface, dont personne ne soupçonnait la présence.
Le Krafla est « l’un des volcans les mieux étudiés de la planète », assure Hugh Tuffen, volcanologue à l’université de Lancaster au Royaume-Uni. Il n’était pas impliqué dans la nouvelle étude. Il a été fréquemment surveillé grâce à de nombreuses techniques. Les scientifiques pensaient donc bien connaître les mécanismes à l'oeuvre sous cette montagne. « C’est incroyable que ce magma ait réussi à se cacher. »
L’incident du Krafla fait partie des trois rencontres inopinées récentes avec des poches de magma situées dans la croûte la plus superficielle de la Terre. Des projets de forage similaires avaient permis de découvrir des chambres magmatiques insoupçonnées au volcan Kilauea à Hawaï et celui de Menengai au Kenya.
Aujourd’hui, des chercheurs ont publié une étude dans la revue Geology selon laquelle des poches de magma cachées pourraient se trouver autour des centres volcaniques actifs du monde entier. Ces poches sont relativement petites, par conséquent les techniques généralement utilisées par les scientifiques pour localiser les corps magmatiques ne peuvent pas les détecter.
Cette nouvelle étude prouve également que ces poches de magma secrètes peuvent passer inaperçues pendant de nombreuses années. Selon des analyses chimiques, le magma extrait correspond à la lave de l’éruption du volcan Krafla de 1724. Cette trouvaille signifie que la poche n’a pas été détectée au cours de ces trois derniers siècles, malgré les avancées de la géophysique.
Si du magma en fusion ou des gaz volcaniques réussissent à s’introduire dans une telle poche par le dessous, elle peut se réveiller de nouveau. Ce processus peut ensuite donner lieu à une éruption. Puisque certains corps magmatiques cachés, tels que celui du Krafla, sont composés d’un magma plus visqueux, qui piège les gaz, l’éruption pourrait s’avérer encore plus explosive.
L’objectif de l’étude est de « tirer doucement la sonnette d’alarme », explique Shane Rooyakkers, directeur de l’étude et chercheur postdoctoral pour GNS Science en Nouvelle-Zélande. Ces masses de magma dissimulées viennent ajouter à l’imprévisibilité d’un volcan. Il est donc impératif de les détecter.
« Si ces petites poches de [masse] en fusion potentiellement éruptives constituent une norme plutôt qu’une exception, alors ce sont des petites bombes à retardement », avertit Emma Liu, volcanologue à l’University College de Londres, qui n’a pas pris part à la nouvelle étude.
DU MAGMA CAMOUFLÉ
Les chambres magmatiques peuvent être détectées grâce à de nombreuses méthodes. Les ondes sismiques sont notamment efficaces. Elles changent de vitesse de propagation et de trajectoire en fonction des matériaux qu’elles traversent. La roche en fusion est un liquide. Elle se différencie donc des parois solides qui la contiennent.
Seul hic : le magma n’est pas totalement liquide. Il se compose d’une phase solide, composée de cristaux, et d’une phase liquide, composée de roches en fusion. Si une chambre magmatique a fortement refroidi, elle contiendra bien plus de cristaux que de roche en fusion. Les relevés sismiques la confondront donc avec de la croûte terrestre.
Autre problème : les longueurs d’onde des ondes sismiques utilisées sont particulièrement étendues. Toute structure plus petite que ces longueurs d’onde, dont ces petites poches de magma, ne peuvent pas être visualisées correctement. De même, les études permettant de détecter les éléments souterrains via la recherche de conductivité électrique ne réussissent pas non plus à détecter ces petites poches. Cette technique permet normalement de repérer la présence de fluides, dont le magma. Personne ne sait vraiment pourquoi elle n’est pas efficace dans le cas des poches de magma.
« C’est comme s’il s’agissait d’un filet », déclare Mme Liu. Plus les chambres magmatiques sont grandes et liquides, plus elles sont faciles à détecter mais « tout élément plus petit passe à travers les mailles ».
Krafla est un véritable chaudron de plus de 9 kilomètres de large traversé par des fissures volcaniques qui, ensemble, mesurent ensemble près de 96 kilomètres. Les travaux de surveillance avaient estimé que la frontière de sa chambre magmatique se situait entre 3 et 6 kilomètres de la surface, bien plus éloignée que les profondeurs de forage. Pourtant, la compagnie nationale d’électricité islandaise a découvert des fragments de magma bien au-dessus de cette profondeur lors du forage d’un puits en 2008. Aussi, en 2009, le tout premier puits foré dans le cadre du Iceland Deep Drilling Project a perforé une chambre magmatique en fusion à plus de 898 °C alors située à tout juste 2 kilomètres de la surface.
« Je dirais que c’était plus qu’une surprise. Ils étaient vraiment choqués », se souvient John Stix, coauteur de l’étude et géoscientifique à l’université McGill.
UNE BOMBE À RETARDEMENT
Le magma dissimulé est particulièrement difficile à comprendre pour les scientifiques en raison même de sa nature secrète. Afin de mieux comprendre ses propriétés, M. Rooyakkers a prélevé des échantillons du magma foré par hasard en 2009. Il s’agit de rhyolite, un type de magma visqueux. Il l’a comparé avec des débris de rhyolite provenant d’anciennes éruptions du volcan. Il a trouvé une correspondance géochimique avec des débris issus des feux de Mývatn, une succession d’éruptions qui a eu lieu de 1724 à 1729.
Un cratère de plus de 300 mètres, dénommé Víti, a été formé après une explosion en 1724. En s’appuyant sur les données des débris issus de ce phénomène et sur la composition du magma de cette époque, M. Rooyakkers et ses collègues ont pu reconstituer la scène. Une couche de magma fluide composé de basalte est remontée à la surface, croisant sur son chemin ce qui aurait pu être une poche cachée de rhyolite dans la croûte superficielle. Par ce fait, la rhyolite disposait de la chaleur, du gaz et de l’élan nécessaires pour s’élever, après quoi elle est entrée en contact avec une poche où de la vapeur était emprisonnée, provoquant ainsi une violente explosion.
Dans ce cas-ci, la présence de vapeur a joué un rôle-clé dans la création de l’explosion. Toutefois, comme les géologues ont pu le constater lors d’éruptions plus classiques, la présence même de rhyolite augmente à elle seule les risques d’explosion. En effet, sa nature visqueuse bloque le passage des gaz vers la surface.
En 2005, l’éruption du volcan Dabbahu en Éthiopie a engendré une explosion assez importante pour évacuer près de six-mille habitants des villages avoisinants. Cet épisode explosif a été provoqué par un afflux de basalte dans une poche de magma rhyolitique cachée, située juste au-dessus. En l’occurrence, c’est comme si l’on plaçait une mèche déjà allumée au milieu de charges explosives.
Néanmoins, la réactivation de la rhyolite ne signifie pas nécessairement un regain d’activité volcanique violente. Prenons l’exemple de l’éruption du volcan islandais Eyjafjallajökull en 2010, une catastrophe naturelle qui a entraîné la plus importante fermeture des couloirs aériens européens depuis la Seconde Guerre mondiale. Certes, du basalte en fusion a, là aussi, été en contact avec de la rhyolite, ce qui l’a poussée vers la surface. Toutefois, il ne semble pas que cette conjoncture ait intensifié la puissance de l’éruption.
DES POCHES PLUS PETITES, UN RISQUE PLUS FAIBLE
La bonne nouvelle, c’est que ces corps de magma dissimulés sont relativement petits, « donc le risque va [lui aussi] être petit », assure Dave McGarvie, volcanologue à l’université de Lancaster, qui n’a pas pris part à la nouvelle étude. Comme un soda qui perd ses bulles, si rien ne vient perturber les poches cachées pendant des années, elles pourraient elles aussi perdre en pression. Les risques d’une explosion seraient alors amoindris si elles venaient à être percées.
Bien qu’elles soient petites comparées à de nombreuses chambres magmatiques déjà connues, d'environ 1 km3, leur éruption pourrait avoir des conséquences dramatiques si elles restaient sous pression. En 1875, moins d’un tiers de ce volume a donné lieu à l’éruption du volcan Askja en Islande. Pourtant, cette explosion a déchargé des débris dans tout le pays et des chutes de cendres ont atteint l’Europe continentale.
Il est également probable que la croûte terrestre abrite des corps magmatiques encore plus grands mais qui ne seraient composés que de petites zones de matériau en fusion. De fait, elles aussi passeraient inaperçues face aux relevés géophysiques. Si un élément venait à les réveiller, alors « la situation sera complètement différente », selon M. McGarvie.
Malgré tout, les petits corps magmatiques cachés pourraient être plus nombreux qu’on ne le croit, mais heureusement, les scientifiques savent où les chercher. Ils se cachent sûrement dans des zones où la croûte terrestre est étirée, comme dans certaines régions d’Islande ou aux abords du rift est-africain. Ce sont « les principaux suspects ... », selon Mme Liu. Il est également fort probable qu’ils se trouvent dans ou autour des caldeiras. C’est sûrement le cas pour l’immense volcan des champs Phlégréens en Italie, qui recouvre en partie la ville de Naples.
La question reste de savoir comment localiser ces poches de magma alors qu’elles sont, pour le moment, essentiellement invisibles.
« C’est une question à laquelle nous ne pouvons pas répondre », déclare Hugh Tuffen. « Et il s’agit de la question à laquelle nous devons répondre. »
Un des moyens qui semblerait efficace pour les détecter serait de placer un grand nombre d’instruments de mesure à l’endroit suspecté. Qu’une éruption ait lieu ou non, il est déjà certain qu’une poche de magma se trouve sous Krafla, ce qui offre une parfaite opportunité pour tester ces méthodes.
L’initiative connue sous le nom de Krafla Magma Testbed espère étudier cette poche de magma cachée en réexaminant le puits formé en 2009. Les scientifiques souhaitent forer plus en profondeur dans le magma pour y faire passer des instruments scientifiques. « Nous pourrions avoir une fenêtre directe afin d’observer le comportement du magma dans le temps », s’enthousiasme M. Tuffen.
Si le projet reçoit les fonds nécessaires, il deviendra le premier observatoire de magma du monde. Il permettrait aux volcanologues de mieux appréhender ce magma dissimulé et d’apporter leurs lumières sur le monde obscur de la géologie souterraine.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.