La fin de vie des Médicis, une certaine idée de l'au-delà

L'analyse des intestins desséchés d'une grande-duchesse de Médicis a révélé d'étonnants indices sur ses derniers instants.

De Maya Wei-Haas
Les restes des Médicis ont été enterrés dans la Sagrestia Vecchia, la Vieille Sacristie en français, ...
Les restes des Médicis ont été enterrés dans la Sagrestia Vecchia, la Vieille Sacristie en français, de la Basilique San Lorenzo.
Photography by B.O'Kane

Quelle boisson souhaiteriez-vous consommer sur votre lit de mort ? Le choix de la grande-duchesse Vittoria della Rovere s'est porté sur un breuvage épicé. L'analyse d'échantillons de son intestin desséché et conservé dans une jarre d'embaumement en céramique a révélé que cette dernière avait consommé une importante quantité de clous de girofle les jours précédant son décès.

Ce membre de la famille des Médicis ne buvait certainement pas de vin épicé par plaisir. Selon une nouvelle étude publiée dans la revue Journal of Archaeological Science: Reports, l'infusion de clous de girofle avait probablement pour objectif d'essayer de soigner la grande-duchesse dont l'état de santé se détériorait. Cette analyse a donné aux chercheurs un aperçu inattendu des instants précédant la mort de Vittoria et de ses tentatives pour soigner ses nombreux maux avant qu'ils ne l'emportent en 1694. 

« L'étude de viscères conservées hors du corps du défunt, dans des jarres, n'est pas répandue car de telles restes sont rarement découverts », explique dans un email Rémi Corbineau de l'Université d'Aix-Marseille, qui n'a pas pris part à l'étude. « Les résultats présentés dans l'étude mettent en lumière des techniques médicinales grâce à la palynologie », c'est-à-dire l'étude des grains de pollen et des spores.

 

UNE VIE ET UNE MORT DIGNE DE L'ÉLITE

Vittoria della Rovere appartenait à la famille des Médicis, qui, grâce à leurs succès dans les domaines commercial et bancaire, sont arrivés au pouvoir au cours du 14e siècle. Ils furent à la tête de Florence, puis de la Toscane pendant trois siècles.

Portrait de Vittoria della Rovere, membre de la famille des Médicis, réalisé par Sustermans Justus.
Photography by Sergio Anelli, Electa, Mondadori Portfolio, Getty

À chaque fois qu'un noble décédait, il était embaumé pour empêcher l'odeur inévitable de la décomposition avant l'enterrement. Ce dernier avait généralement lieu des mois après le décès, comme l'a indiqué dans un email l'auteur de l'étude, Donatella Lippi, de l'Université de Florence. Les viscères étaient retirées, le corps lavé puis rempli de résines, de gommes, de balsamines et de parfums. Chaque corps était ensuite habillé à nouveau, pour permettre aux gens de leur rendre hommage.

Au fur et à mesure de l'embaumement réalisé avec minutie pour la famille des Médicis, les embaumeurs plaçaient les organes internes dans de grandes jarres en terre cuite avec les linges et les éponges qui avaient probablement servi à nettoyer le corps. Le tout était ensuite fermé par un couvercle.

L'utilisation de telles jarres n'était pas nouvelle. Dans l'Égypte antique, les organes internes étaient conservés pour l'au-delà dans des récipients similaires appelés vases canopes. D'après une étude publiée dans la revue Nuncius, lorsque la pratique de l'embaumement fait son retour au 12e siècle, la conservation des nobles et de leurs viscères servait à démontrer le pouvoir et la vertu du monarque, révélant que ce membre de la royauté « pouvait survivre à la mort et à la décomposition du corps physique. »

 

« ENTENDRE LES VOIX DES MÉDICIS »

Donatella Lippi explique qu'une fois l'embaumement du membre de la famille Médicis achevé, les jarres furent placées dans un petit trou situé sous un autel au milieu de la Vieille Sacristie de la basilique San Lorenzo, avec les cercueils des Médicis et restèrent ainsi pendant des siècles.

En 2010, dans le cadre d'un vaste projet de recherches sur la vie et la mort de la famille des Médicis, des scientifiques mirent au jour les jarres. L'équipe espère utiliser les preuves scientifiques pour renforcer les récits historiques relatifs aux débuts de la médecine et corriger les témoignages « très optimistes. »

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    « J'oserais dire que le but du projet Médicis était de voyager dans le temps et d'entendre les voix des Médicis, les grands-ducs de Toscane, lorsqu'ils était souffrants, afin de débuter un dialogue entre un médecin moderne et son homologue de la Renaissance », écrit Donatella Lippi dans son email.

    Sur les 10 jarres mises au jour par les chercheurs, seules deux étaient dotées d'étiquettes lisibles. L'une d'elles portait le nom d'Anna Maria Luisa de Médicis, la dernière descendante des Médicis ; l'autre mentionnait sa grand-mère, Vittoria della Rovere. Les scientifiques ont prélevé des échantillons des viscères desséchées, qui avaient la couleur et la texture de fins morceaux de viande séchée, et les ont rapporté avec eux à l'Université du Nebraska-Lincoln pour les analyser.

     

    UN RÉGIME À BASE DE CLOUS DE GIROFLE

    À l'aide de microscopes optiques, les scientifiques ont découvert une grande quantité de pollen, environ 20 574 graines par gramme. L'analyse du pollen issu des restes a été menée par Karl Reinhard de l'Université du Nebraska-Lincoln. Ce dernier confie qu'au début, ils n'étaient pas sûrs de savoir de quoi il s'agissait.

    « La famille des clous de girofle produit du pollen de très, très petite taille », explique Karl Reinhard. Mesurant moins de 30 micromètres de large, le pollen pouvait facilement tenir sur la pointe d'un cheveu humain et sa taille est à la limite de ce qu'un microscope standard peut permettre d'observer. Afin d'identifier précisément les plantes, Karl Reinhard a eu recours à un microscope électronique à balayage. Celui-ci crée des images incroyablement détaillées en utilisant un faisceau d'électrons.

    Le microscope a ainsi révélé que les graines étaient bien des clous de girofle.

    Toutefois, les clous de girofle étaient présents uniquement sous la forme de pollen. Il n'y avait de pas de fragments semblables à du bois comme on peut le voir sur les bourgeons séchés. Cela laissait penser que les clous de girofle n'avaient pas été utilisés comme éventuel parfum, additif ou conservateur symbolique, comme cela était souvent le cas pour les embaumements de l'époque, indique Rémy Corbineau, qui a étudié la façon dont était effectuée cette pratique au Moyen-Âge. De plus, il y avait peu d'aliments dans l'intestin, suggérant donc que la grande-duchesse n'avait pas mangé de jambons épicés avant sa mort.

    Au vu de ces deux informations, les auteurs de l'étude ont conclu que Vittoria avait bu une boisson riche en clous de girofle dans les jours précédant sa mort. Reste une dernière question : cette boisson fut-elle consommée à des fins médicales ou bien uniquement culinaires ?

     

    LES DERNIERS JOURS DE VITTORIA

    Si l'on en croit les récits historiques, Vittoria della Rovere n'a jamais été en parfaite santé. La nouvelle étude indique qu'elle était léthargique et « adorait dormir depuis un jeune âge ». Les jours précédant sa mort, elle a souffert de problèmes cardiaques et d'une insuffisance rénale. Cela a provoqué un gonflement anormal de ces membres inférieurs, appelé œdème, la contraignant à rester alitée.

    Il est probable que les médecins de Vittoria aient essayé de soigner ces maux. À cette époque, la pratique de la médecine était centrée sur les quatre humeurs, à savoir le sang, le mucus, la bile jaune et la bile noire. Anne Stobart, auteur du livre Household Medicine in Seventeenth-Century England (Médecine maison dans l'Angleterre du 17e siècle), explique que pour être en bonne santé, un équilibre de ces humeurs était nécessaire, et la digestion jouait un rôle essentiel à cet équilibre. 

    « En cas de digestion insuffisante, il y aurait alors eu une putréfaction ou une altération, laissant des substances potentiellement toxiques dans le corps », indique-t-elle.

    Les épices étaient un remède courant à cela. Dario Piombino-Mascali, auteur de l'étude, bioarchéologiste à l'Université de Vilnus et Explorateur National Geographic, explique que les clous de girofle peuvent soigner de nombreuses affections, comme les maux d'estomac, les problèmes cardiaques ou hépatiques. Toutefois, comme le souligne Anne Stobart, les clous de girofle constituaient un traitement coûteux : s'ils étaient trop exotiques et leur prix trop élevé pour la majorité du peuple de l'époque, ils étaient à la portée de l'affluente famille des Médicis.

    Bien qu'il n'y ait aucun moyen de savoir exactement dans quelle boisson les clous de girofle thérapeutiques ont été ajoutés, Anne Stobart précise que ces épices étaient souvent réduites en poudre puis mélangées à une boisson comme le vin.

    Du vin épicé sur son lit de mort, ce n'est pas si mal pour passer de l'autre côté.

     

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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