"Laver son sang" peut-il soulager les symptômes du COVID long ?
Des patients du monde entier dépensent des milliers d'euros pour essayer des traitements par aphérèse qui, malgré un manque de preuves, semblent efficaces pour atténuer les symptômes débilitants liés à l'affection encore méconnue qu'est le COVID long.
Un technicien de laboratoire s'occupe du transfert du sang d'un patient dans une machine d'aphérèse, dont le rôle est de séparer le plasma du sang.
Depuis qu’elle a ressenti ses premiers symptômes caractéristiques du COVID-19, tels que la fièvre, l’essoufflement et les douleurs musculaires, en mars 2020, Miriam, 39 ans, n’a cessé de souffrir. En 2021, son état de santé s’est considérablement aggravé : ses problèmes respiratoires sont réapparus, elle avait du mal à marcher, souffrait de malaises après l’effort et de problèmes gastro-intestinaux, et elle a commencé à bégayer.
La famille de Miriam supposait qu’elle était atteinte du COVID long, et son médecin de Zurich, en Suisse, a qualifié son cas de « trop complexe » pour pouvoir continuer à la traiter lui-même. Miriam, qui a demandé à rester anonyme en raison de la stigmatisation relative au COVID long, s’est alors lancée dans la recherche d’un autre spécialiste. Alors que son état se détériorait, il s’est toutefois avéré insupportable pour la patiente d’enchaîner les rencontres et d’attendre des mois pour obtenir des rendez-vous.
« J’ai donc commencé à chercher des alternatives. J’étais assez désespérée », se souvient-elle.
C’est alors qu’elle a appris l’existence d’une procédure médicale similaire à la dialyse : l’aphérèse H.E.L.P (précipitation extracorporelle des LDL induite par héparine), dont l’objectif est de « nettoyer » le sang des patients. Son père avait regardé un documentaire sur le COVID long dans lequel un médecin britannique qui souffrait de cette pathologie se rendait dans une clinique à Mülheim, en Allemagne, pour se soumettre à une aphérèse.
Après plusieurs séances, le médecin, qui devait jusqu’alors utiliser un fauteuil roulant, avait recommencé à marcher. Beate Jaeger, une spécialiste de médecine interne qui dirige la clinique, suggérait dans ce même documentaire que l’aphérèse H.E.L.P. pouvait fonctionner en éliminant les minuscules caillots de sang dans les petits vaisseaux, soupçonnés d’être à l’origine des symptômes du COVID long, ainsi que d’autres éléments induisant la maladie. Jaeger et d'autres cliniciens n'ont toutefois pas publié de données montrant si ce traitement était efficace et, si oui, dans quelle mesure.
« Selon leur théorie, ce processus pourrait avoir une influence sur la maladie », commente Jeffery Winters, expert en aphérèse à la Mayo Clinic de Rochester, dans le Minnesota. « Ils ont peut-être raison, c’est peut-être un excellent traitement, mais ce qui est frustrant pour moi en tant que praticien, c’est qu’aucune preuve quantifiable ne permet d’affirmer qu’il modifie réellement l’issue de la maladie. »
APHÉRÈSE H.E.L.P. : FONCTIONNEMENT ET DÉFIS
L’aphérèse est une procédure médicale qui consiste à prélever du sang, à en retirer les éléments déclencheurs de maladies (tels que les cellules anormales ou les protéines riches en cholestérol), puis à rendre ce sang « filtré » au patient. Dans certains cas, les éléments extraits peuvent être remplacés par des équivalents sains fournis par un donneur de sang.
La Food and Drug Administration (FDA) américaine a approuvé l’aphérèse H.E.L.P. en 1996 afin de traiter les patients souffrant de troubles cardiovasculaires qui, pour des raisons génétiques, ont un taux de cholestérol LDL (qualifié de « mauvais » cholestérol) très élevé, ou qui ne tolèrent pas ou ne répondent pas aux médicaments hypocholestérolémiants.
La première étape du processus consiste à séparer le plasma, qui est le composant liquide du sang, des cellules. Les protéines qui obstruent les artères sont éliminées du plasma à l’aide de l’héparine, un anticoagulant, puis le plasma et les cellules sanguines « nettoyés » sont réinjectés dans le corps du patient.
Une seule procédure d'aphérèse, souvent associée à des médicaments contre l’hypercholestérolémie, peut réduire de 50 à 80 % environ la quantité de mauvais cholestérol. Cependant, le taux de cholestérol finit généralement par remonter, raison pour laquelle le processus doit être répété chaque semaine, ou toutes les deux semaines.
Lors d’une étude japonaise menée sur six ans, des scientifiques ont noté une réduction de 58 % du mauvais cholestérol chez quarante-trois patients souffrant d’hypercholestérolémie qui ont été traités par aphérèse et par des médicaments, contre une baisse de 28 % chez quatre-vingt-sept patients qui n’ont pris que des médicaments. Certaines études sur l’aphérèse ont également démontré une réduction de la protéine C-réactive et de l’interleukine-6 qui, à des niveaux élevés, indiquent une inflammation, mais aussi du fibrinogène, une protéine clé de la coagulation sanguine liée à un risque accru de maladie cardiovasculaire lorsqu’elle est présente à des niveaux élevés.
L’envergure de ces études est toutefois limitée, et peu d’essais cliniques randomisés, qui constituent une référence dans l’évaluation de l’efficacité d’une intervention, ont été effectués. « Le problème, c’est que bon nombre des maladies que nous traitons [par aphérèse] sont extrêmement rares », explique Winters. « Nous ne pouvons donc pas réunir suffisamment de patients pour participer à un essai clinique randomisé. »
En outre, certains patients présentent des effets secondaires tels que la fatigue, les nausées, les vomissements, l’hypotension artérielle et les douleurs thoraciques, causées par la réduction du flux sanguin vers le cœur. L’utilisation d’anticoagulants augmente également les risques de saignement en cas de contusion. Chaque séance d’aphérèse peut durer entre deux et quatre heures et avoir un coût élevé, ce qui représente un défi supplémentaire.
« Dans les vingt dernières années, un grand nombre de professionnels de santé proposant l’aphérèse se sont efforcés de pratiquer une médecine fondée sur les faits, ce qui signifie que nous souhaitons nous assurer que les raisons pour lesquelles nous réalisons le traitement sont adaptées », poursuit Winters.
LES BIENFAITS DE L’APHÉRÈSE
Jaeger utilise l’aphérèse depuis près de trente ans pour traiter certaines affections cardiovasculaires potentiellement mortelles. Dans un article paru dans Frontiers in Cardiovascular Medicine, Jaeger et ses collègues indiquent que les traitements par aphérèse H.E.L.P. pourraient également aider les patients atteints de COVID long. Cette suggestion repose sur une hypothèse selon laquelle les niveaux élevés de protéines inflammatoires et de particules virales persistantes du SARS-CoV-2 pourraient causer des lésions tissulaires dans l’organisme, qui déclencheraient une inflammation, l’attaque des cellules saines par le système immunitaire, ou la formation de minuscules caillots dans les petits vaisseaux sanguins qui entravent ainsi l’apport d’oxygène.
Pour Jaeger et son équipe, l’aphérèse a le potentiel d’éliminer les particules persistantes des protéines de spicule du SARS-CoV-2, ainsi que des quantités substantielles de fibrinogène, qui est l’un des composants clés des microcaillots observés chez les patients atteints de COVID long. Les scientifiques affirment également que la procédure pourrait permettre d’éliminer les molécules impliquées dans l’inflammation post-COVID, mais aussi celles qui ciblent les cellules saines du patient.
Depuis 2021, l’équipe de Jaeger a travaillé avec plus de 1 000 patients souffrant d’un COVID long (et environ 50 000 sont actuellement sur la liste d’attente). En moyenne, chaque individu a subi quatre à cinq séances d’aphérèse. Plusieurs autres cliniques allemandes, suisses et chypriotes utilisent elles aussi l’aphérèse pour traiter les patients souffrant d’un COVID long. Selon l’état de chaque patient, les spécialistes utilisent également, en combinaison avec l’aphérèse, des anticoagulants et des antiplaquettaires ainsi que des antihistaminiques ou des antiviraux, qui pourraient atténuer les symptômes de cette pathologie.
En février 2022, Miriam s’est rendue à la clinique de Mülheim, et son analyse de sang a révélé la présence de microcaillots accompagnés de plaquettes collantes, un phénomène caractéristique du COVID-19 qui déclenche une coagulation excessive. Dans les mois qui ont suivi, la patiente a subi vingt séances d’aphérèse en Allemagne, puis en Suisse, et dépensé plus de 33 000 euros. « J’avais vraiment peur, mais je ne savais pas quoi faire d'autre. »
UN SOULAGEMENT, MAIS PAS UN REMÈDE
De nombreux patients, qui cherchent désespérément à soulager leur souffrance, décident d’opter pour l’aphérèse, et ce malgré l’absence d’essais cliniques ou de données scientifiques confirmées pour étayer son utilisation dans le cas du COVID long. À la clinique de Mülheim, avant de commencer l’aphérèse, Jaeger et son équipe évaluent plusieurs facteurs : ils mesurent notamment la viscosité du sang du patient, enregistrent les taux d’oxygène et de fibrinogène, et recherchent des microcaillots.
Après quelques séances, la spécialiste réexamine ces marqueurs et recherche des améliorations dans les symptômes cliniques du patient. Le COVID long n’est toutefois pas une seule et unique maladie : selon Patrick Moriarty, expert en aphérèse au centre médical de l’Université du Kansas, les scientifiques découvrent encore les biomarqueurs associés à cette affection.
Bien que, après plus d’un an d’utilisation de l’aphérèse H.E.L.P., Jaeger n’ait pas encore publié de rapports de cas ou d’études, elle travaille avec ses collaborateurs pour analyser les données qu’elle accumule au fil de ses recherches. Dans certains cas, elle a pu constater un grand succès après seulement une, deux ou trois séances d’aphérèse, et « ils sont toujours en bonne santé aujourd’hui. Mais cela ne s’applique pas à tous les patients. »
Miriam, par exemple, estime que l’aphérèse lui a sauvé la vie. Alors qu’elle était incapable de se lever d’une chaise sans aide et de se préparer à manger, souffrait de tremblements et de bégaiements, et avait du mal à faire des calculs simples et à rester en contact avec ses amis et sa famille, elle peut désormais faire de petites courses en utilisant son fauteuil roulant électrique, écrire des e-mails ou encore parler au téléphone pendant une trentaine de minutes. Elle ne bégaie plus et n’a plus de tremblements. Miriam est toujours confinée chez et dans son lit, et un effort mental ou physique même minime l’épuise, mais elle se réjouit de voir que sa « qualité de vie est déjà bien meilleure qu’il y a un an ».
Son état de santé s’étant stabilisé, Miriam cherche désormais d’autres traitements pour améliorer ses symptômes ou cibler la cause profonde du COVID long, qui n’est toujours pas claire. « De toute évidence, je préférerais ne pas continuer à faire de l’aphérèse, mais je le ferai pour m’entretenir. Ce n’est pas un remède. »
Kate Stott, une Écossaise de 36 ans, a subi quatre séances d’aphérèse à Mülheim en novembre 2022. Elle dit s’être sentie un peu plus forte et plus alerte après le traitement, même si elle a été freinée en janvier par une infection thoracique.
Pour Oonagh Carr, 47 ans, qui habite à Dublin, deux séances en novembre lui ont permis de fonctionner un peu mieux, en comparaison à son état avant le traitement. « Je suis toujours très fatiguée, j’ai des vertiges et des malaises après l’effort. Ce n’est pas un médicament magique », précise-t-elle. Elle se rendra à Mülheim pour effectuer trois nouvelles séances cette année.
Pamela Bishop, qui vit dans le Tennessee et a subi six séances d’aphérèse dans une clinique de Chypre en novembre, dit quant à elle avoir plus d’énergie. Elle se sent néanmoins toujours nauséeuse, souffre de problèmes cognitifs, de maux de tête et de migraines quotidiennement, et du syndrome de tachycardie orthostatique posturale : une affection observée chez de nombreux patients atteints du COVID long, qui perturbe la respiration, et provoque des palpitations cardiaques et des vertiges en se levant. Avant l’aphérèse, elle était principalement alitée. « Pour le moment, je peux me lever et interagir davantage avec ma famille, je peux aider davantage mes enfants. Mais je suis très consciente que ces améliorations ne dureront pas dans le temps. »
Moriarty a utilisé une technique d’aphérèse similaire à H.E.L.P. pour traiter trois patients atteints de COVID long aux États-Unis. Le cas de l’un d’entre eux a semblé s’améliorer après seulement une séance, mais pour les deux autres, la situation n’a pas évolué même après deux séries d’aphérèses.
« Personne ne sait pourquoi et comment certaines personnes vont mieux, et d’autres n’obtiennent aucun résultat », affirme Bishop. Si l’aphérèse semble avoir quelque peu atténué la souffrance de certains, ce processus « fait partie de l’expérience collective que nous essayons sur nous-mêmes ».
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.