Le cancer a-t-il une odeur ? Pour ces animaux, la réponse est oui.
Les chiens, les vers ou encore les fourmis peuvent être entraînés à détecter des marqueurs associés à des maladies comme certains cancers ou la tuberculose.
Un beagle photographié dans une forêt. Les chiens ne sont qu'une des nombreuses créatures dotées d'un odorat incroyable, capable de flairer les signes de maladies humaines comme, entre autres, le cancer.
La prochaine fois que vous serez agacé parce que des fourmis se sont introduites dans votre cuisine, prenez un instant pour réfléchir aux pouvoirs extraordinaires de leur perception.
Ces minuscules animaux sont capables de détecter des marqueurs de maladies comme le cancer. D’ailleurs, les fourmis ne sont pas les seules à capter des signes de maladies humaines : les chiens, les rats, les abeilles et même de tout petits vers en sont capables.
Voici l’état de nos connaissances sur ces animaux et sur leurs capacités hors du commun.
FOURMIS OUVRIÈRES
La fourmi soyeuse (Formica fusca), espèce commune présente dans toute l’Europe, est capable d’apprendre à identifier l’odeur laissée par le cancer du sein dans l’urine.
Des recherches réalisées à l’Université Sorbonne Paris Nord publiées cette année dans la revue Proceedings of the Royal Society B montrent que les fourmis peuvent apprendre à distinguer l’odeur de l’urine de souris porteuses de tumeurs mammaires humaines de celle de l’urine de souris en bonne santé.
Les fourmis ainsi que d’autres animaux repèrent des signes de maladie en percevant divers composés organiques volatiles (COV). Ceux-ci sont produits de plusieurs manières et peuvent être présents dans le souffle, dans la transpiration, dans l’urine et dans le sang. Les maladies peuvent modifier les COV que nous émettons, ce qui a pour effet d’exhaler une odeur différente. En plaçant une récompense sucrée près de l’échantillon cancéreux, les fourmis apprennent à rechercher cette odeur, un processus nommé conditionnement opérant.
« Nous avons été surpris par la rapidité des fourmis. En l’espace de dix minutes à peine, une fourmi peut être éduquée », déclare Baptiste Piqueret, auteur principal de l’étude et désormais chercheur postdoctoral à l’Institut Max-Planck d’écologie chimique en Allemagne.
Après avoir éduqué les fourmis, les chercheurs les ont mises dans une boîte de Petri en compagnie d’échantillons urinaires prélevés sur des souris porteuses de tumeurs et sur des souris saines. Les insectes passaient 20 % de temps en plus près des échantillons cancéreux.
Les fourmis sentent les composés chimiques qui constituent les odeurs au moyen de récepteurs olfactifs situés sur leurs antennes. Selon Patrizia d’Ettore, éthologue à l’Université Sorbonne Paris Nord, l’odeur est leur principale forme de communication.
« Elles se reconnaissent entre membres du même groupe en détectant leur odeur corporelle », et elles se servent de phéromones, souvent en concentrations infimes, afin de transmettre un éventail ahurissant de signaux complexes.
En outre, ces fourmis ne piquent pas, « sont bon marché et leur entretien est peu coûteux ». « Du miel et des insectes morts, et les fourmis sont heureuses », explique Baptiste Piqueret. Cela en fait d’excellentes candidates pour des tâches de ce type.
Toutefois, selon Patrizia d’Ettore, on ignore l’identité exacte des composés chimiques que les fourmis sentent, ce qui est souvent le cas avec les autres animaux capables de dépister le cancer.
LE MEILLEUR AMI DE L’HOMME
Les chiens sont capables d’apprendre à renifler plusieurs types de cancers (mélanomes, cancers du sein et gastro-intestinaux) et certaines maladies infectieuses des humains (paludisme, maladie de Parkinson). Aux États-Unis, on a pu voir, dans des écoles californiennes, dans plusieurs villes du Massachussetts et lors de rencontres de basketball des Heat de Miami, des chiens travailler sur le terrain afin de dépister des cas de COVID-19.
Ils peuvent également renifler des maladies infectieuses chez d’autres animaux, par exemple l’encéphalopathie des cervidés, qui affecte le cerveau des cerfs et qui peut être fatale.
« C’est dévastateur pour le cerf et la seule façon de la détecter est lors d’une autopsie », déplore Cynthia Otto, membre de l’École vétérinaire de l’Université de Pennsylvanie.
Cependant, selon une étude publiée dans la revue Prion à laquelle Cynthia Otto a participé, il est possible d’éduquer les chiens de sorte qu’ils détectent cette maladie dans les excréments des cerfs. Selon elle, les chercheurs pensent que les chiens parviendraient à sentir l’agent infectieux lui-même, dans ce cas comme dans d’autres.
« Nous avons réalisé des études pilotes ayant pour objet des infections bactériennes et si nous éduquons les chiens sur la bactérie elle-même, ils arrivent à réagir à des échantillons prélevés sur des sujets infectés », explique-t-elle. Medical Detection Dogs, œuvre de bienfaisance britannique, a formé des chiens de sorte qu’ils puissent détecter vingt-huit maladies, dont certaines bactéries spécifiques, un record.
La différence avec le dépistage traditionnel du cancer pourrait résider dans le fait que ce que les chiens détectent est « la façon dont le corps réagit aux cellules cancéreuses », et plus particulièrement les odeurs dérivant de réponses immunitaires ou d’autres facteurs. « Ou bien il pourrait s’agir du cancer en personne, nous ne pouvons pas l’affirmer avec certitude », concède Cynthia Otto.
Il est également possible qu’ils détectent plus d’une odeur ou bien que des chiens différents relèvent des odeurs différentes. Pour une étude sur le cancer ovarien dans le cadre de laquelle les odeurs étaient réparties en plusieurs cohortes, « des chiens différents ont réagi à des fragments différents », indique Cynthia Otto.
LES DÉTECTIVES MURIDÉS
Le cricétome des savanes (Cricetomis gambianus) est un autre animal dont on se sert notamment pour détecter les explosifs.
En 2004, l’association belge APOPO s’est servie de cricétomes des savanes au Mozambique « quand les rats ont pour la première fois reçu une accréditation externe de conformité aux Normes internationales relatives à l’action contre les mines », se souvient Cindy Fast, directrice de la formation et de l’innovation de l’organisme. Depuis, ils ont permis à sept pays de se débarrasser de plus de 150 000 mines.
Si la Tanzanie, où se trouve le siège de l’APOPO, ne compte pas de mines terrestres, c’est toutefois l’un des trente pays où la tuberculose est la plus incidente.
« D’après les recherches [de l’APOPO], ils détecteraient un bouquet d’odeurs […] propres à Mycobacterium tuberculosis », la bactérie responsable de la tuberculose, selon Lily Shallom, en charge de la communication de l’association.
De même que les fourmis, les rats obtiennent une récompense sous la forme de nourriture lorsqu’ils identifient des échantillons tuberculeux dans des crachats humains lors de leur période de formation. Après cette dernière, ils servent de filet de sécurité, de solution de secours, aux techniciens humains.
Chaque rat dépiste « plus d’une centaine d’échantillons de patients en l’espace d’une vingtaine de minutes », chose qu’un chercheur humain mettrait plus de quatre jours à accomplir, explique Cindy Fast. Ils sont récompensés quand ils repèrent un échantillon déjà identifié comme étant positif. Toutefois, si le rat attire l’attention sur un échantillon que l’on pensait négatif, on évalue ce dernier à l’aide d’un test de dépistage plus onéreux.
Selon l’APOPO, depuis la mise en œuvre du programme, les rats ont détecté plus de 23 000 cas manqués par les cliniques locales.
« Ils ont permis d’accroître le taux de dépistage de cas de 50 % environ dans les cliniques partenaires », se réjouit Cindy Fast, manifestement fière de ces diagnosticiens en peluche.
UNE ABEILLE POUR AIDER À DÉPISTER LE COVID
Comme si les abeilles mellifères n’en avaient pas déjà assez fait pour nous, des chercheurs néerlandais ont montré que les abeilles sont particulièrement douées pour reconnaître l’odeur du SARS-CoV-2, le virus à l’origine du COVID-19.
À l’instar des fourmis, les abeilles mellifères sentent au moyen de leurs antennes et sont particulièrement sensibles aux odeurs.
Des scientifiques du Laboratoire de recherche biovétérinaire Wageningen de Lelystad, aux Pays-Bas, sont allés prélever des abeilles de la région et les ont placées dans des « récipients à abeilles » spéciaux, des boîtes en plastique conçues pour que leur tête dépasse tout en leur laissant la place de bouger les ailes et le corps. Ils leur ont présenté des odeurs issues d’échantillons divers et variés et les récompensaient avec une friandise quand elles déroulaient leur langue en réaction à un échantillon positif au COVID-19. Avec le temps, elles finissaient par effectuer cette action sans nécessiter de récompense.
Autre point commun avec les fourmis, l’éducation des abeilles n’était l’affaire que de quelques minutes et la réalisation d’un dépistage une affaire de secondes.
On ne sait pas ce que les abeilles sentent exactement dans les échantillons infectés par le SARS-CoV-2. Selon les chercheurs, les abeilles pourraient se montrer utiles dans les communautés reculées où les dépistages traditionnels pourraient s’avérer difficiles.
UN VER INTELLIGENT
Plus petit encore que l’abeille mellifère, Caenorhabditis elegans, un nématode mesurant approximativement la taille d’un grain de riz, est fréquemment utilisé dans la recherche en laboratoire. Ses maladies génétiques sont tout à fait semblables aux nôtres, ce qui en fait un organisme modèle précieux pour la recherche. De plus, il est transparent. Ses processus biologiques sont donc facilement visibles au microscope.
Il a également été prouvé que cet organisme est capable de détecter certains cancers. Une étude japonaise a montré qu’il est en mesure de détecter des cellules pancréatiques cancéreuses et une étude italienne a révélé qu’il sait reconnaître des cellules caractéristiques du cancer du sein.
Dans les deux cas et sous certaines conditions, les vers se dirigeaient vers les échantillons contenant les cellules cancéreuses et évitaient ceux qui étaient sains. Une entreprise japonaise du secteur de la biotechnologie propose d’ailleurs un test de dépistage précoce du cancer, N-Nose, grâce auquel un particulier peut envoyer un échantillon d’urine et le faire tester par des vers.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.