Le fossile du dinosaure Ubirajara jubatus va être restitué au Brésil
Après des mois de controverse, le fossile de l'étrange créature préhistorique qui avait été exporté en Allemagne dans des circonstances potentiellement contraires à l'éthique, voire illégales, sera finalement rendu au pays dans lequel il a été découvert.
Un petit dinosaure à plumes qui vivait au Brésil à l'époque du Crétacé est devenu le centre d'une campagne visant à restituer d'importants fossiles qui ont été exportés de leur pays d'origine.
Dans ce qui pourrait s’avérer être une décision historique pour la paléontologie, des responsables allemands ont annoncé cette semaine qu’ils allaient restituer le fossile d’un dinosaure à plumes unique en son genre au Brésil, le pays où il avait été découvert.
Connu sous le nom d’Ubirajara jubatus, ce dinosaure a vécu il y a plus de 100 millions d’années. Contrairement à toutes les autres créatures préhistoriques, Ubirajara avait de longues plumes ressemblant à des lances qui dépassaient de ses épaules, et qu’il utilisait très probablement pour se disputer un statut social ou pour courtiser ses partenaires, comme le font certains oiseaux modernes. Ce sont ses plumes proéminentes qui ont donné son nom au dinosaure : Ubirajara signifie « seigneur de la lance » dans la langue native brésilienne tupi.
La découverte a été saluée lorsqu’elle a été officiellement décrite dans un article scientifique fin 2020. Mais dès que la nouvelle est tombée, des experts ont exprimé leur inquiétude quant à l’exportation du fossile du Brésil vers le Musée national d’histoire naturelle de Karlsruhe (SMNK), en Allemagne, où il se trouve actuellement, exportation qui serait contraire à l’éthique, voire illégale.
Depuis un an et demi, un groupe de paléontologues brésiliens engagés a pris la tête d’un mouvement mondial visant à rapatrier les fossiles et à dénoncer l’impact de longue date du colonialisme sur la paléontologie moderne. Ubirajara, le premier dinosaure non aviaire à plumes découvert en Amérique du Sud, est alors devenu l’un des principaux fossiles au centre de ces débats.
Ce mardi, le cabinet du Land allemand de Bade-Wurtemberg, où se trouve le SMNK, a approuvé une proposition de Theresia Bauer, ministre de la Science du Land, visant à restituer Ubirajara au Brésil. Dans sa décision, le gouvernement invoque des doutes sur la manière dont le fossile a été importé en Allemagne et sur la légalité de son acquisition.
« Nous avons une position claire, qui s’exprime par des actions cohérentes : s’il y a des objets dans les collections de nos musées qui ont été acquis dans des conditions légalement ou éthiquement inacceptables, un retour doit être envisagé », a déclaré Bauer dans un e-mail envoyé à National Geographic. « Ubirajara, compte tenu de sa grande importance et des circonstances douteuses de son acquisition, devrait donc être retourné là où il appartient : au Brésil. »
En plus de clarifier le sort d’Ubirajara, la décision marque également un nouveau chapitre pour le mouvement que l’étrange dinosaure a contribué à inspirer.
Depuis que la controverse au sujet du statut juridique du fossile a éclaté, de nombreux articles universitaires mettent des chiffres sur les inégalités inhérentes à la paléontologie, une tendance souvent influencée par l’histoire du colonialisme. Une étude réalisée en 2021 a révélé que 97 % des données d’une importante base de données paléontologiques avaient été saisies par des scientifiques de pays riches et de pays à revenu intermédiaire, ce qui constitue une source de partialité dans les archives fossiles créées par l’inégalité économique. Une autre étude de 2021 a permis de découvrir des dizaines de fossiles brésiliens majeurs dans des musées allemands, et d’autres fossiles dans d’autres pays riches.
« Avec cela, nous envoyons un message puissant au monde que nous souhaitons une science différente, libérée des comportements du siècle dernier », affirme Aline Ghilardi, paléontologue à l’Université fédérale de Rio Grande do Norte au Brésil, qui a aidé à diriger la campagne de rapatriement, dans un e-mail. « Puisse une nouvelle ère de collaborations plus équitables s’ouvrir, dans laquelle des échanges justes se produiront entre les chercheurs du monde entier. »
La campagne suscite également d’autres actions mondiales pour le retour d’autres fossiles brésiliens. L’année dernière, l’Université du Kansas a volontairement restitué trente-six fossiles brésiliens qu’elle avait dans ses collections, dont une nouvelle espèce d’araignée fossile nommée d’après la célèbre drag queen brésilienne Pabllo Vittar. En mai 2022, la douane française a restitué 998 fossiles brésiliens volés qui avaient été saisis à des trafiquants en 2013.
« Ubirajara s’est transformé en un symbole de la cause des fossiles brésiliens », selon le paléontologue Allysson Pinheiro, directeur du musée paléontologique Plácido Cidade Nuvens à Santana do Cariri, au Brésil.
UNE SITUATION RARE
Les exportations de fossiles du Brésil sont réglementées depuis 1942 par un décret présidentiel qui désigne les fossiles comme « propriété de la Nation ». Le décret exige que les travaux des musées nationaux et étrangers menés dans le pays soient approuvés par les organismes de réglementation minière. En 1990, le Brésil a publié des règles obligeant les scientifiques étrangers à renvoyer au Brésil les spécimens exportés, y compris les fossiles, s’ils sont utilisés pour définir une nouvelle espèce. Ces règles exigent également que les exportations de fossiles soient approuvées par des responsables scientifiques brésiliens, et que les scientifiques étrangers collaborent avec des universitaires brésiliens.
L’étude décrivant Ubirajara, qui ne comptait aucun coauteur brésilien, a été publiée en décembre 2020 dans la revue Cretaceous Research. Les chercheurs y affirmaient qu’un régulateur minier brésilien avait signé l’exportation de deux caisses de fossiles, dont les restes d’Ubirajara, en 1995.
En septembre 2021, après une campagne de plusieurs mois menée sur les réseaux sociaux, la revue a officiellement rétracté l’étude d’Ubirajara en raison de préoccupations concernant le statut juridique du fossile, une situation extrêmement rare en paléontologie. Dans un article paru à l’époque dans Science, le paléontologue Eberhard Frey du SMNK, coauteur de l’étude, a dénoncé cette décision en la qualifiant de « seconde extinction » pour l’espèce. Frey, qui a pris sa retraite en février 2022, a refusé tout commentaire pour cette histoire, tout comme les représentants de SMNK.
« C’est la première fois qu’ils [vont] rapatrier un fossile du Brésil, et c’est aussi la première fois que nous avons réussi à rétracter une publication en raison de ces arguments », commente Juan Carlos Cisneros, paléontologue à l’Université fédérale de Piauí à Teresina, au Brésil, et l’un des leaders de la campagne de rapatriement d’Ubirajara. « Il deviendra un symbole. »
RÉPARER UNE ERREUR
Dans ses premières déclarations, le gouvernement du Bade-Wurtemberg a repris les affirmations de SMNK selon lesquelles le fossile avait été obtenu en toute légalité, en se fondant sur la date d’importation de 1995. Dans un article paru en septembre 2021, un porte-parole du ministère de la Science de l’État a toutefois indiqué à Rodrigo Pérez Ortega, journaliste de Science, que le fossile avait été importé en 2006 et que le SMNK l’avait acquis en 2009.
Dans sa nouvelle déclaration à National Geographic, le ministère de la Science du Bade-Wurtemberg a révélé que l’étude de 2020 qui décrivait Ubirajara contenait « des informations manifestement fausses sur la date d’importation du fossile ». Le ministère a également confirmé que le SMNK avait acquis le fossile en 2009. Il n’a toutefois pas été en mesure de vérifier l’importation du fossile en 2006 en Allemagne. « À cet égard, la déclaration faite à Science à l’époque doit être revue », selon le ministère.
Cette incertitude a eu des implications juridiques majeures pour Ubirajara. Selon la loi allemande sur les biens culturels, si l’Allemagne importe certains types d’artéfacts, tels que des fossiles, depuis un pays qui en interdit l’exportation, ces objets doivent être renvoyés dans le pays d’origine si la date d’importation est postérieure au 26 avril 2007. Si la date d’importation d’un objet n’est pas claire, la loi allemande penche en faveur d’une date d’importation ultérieure et du retour de l’objet dans son pays d’origine.
« Il est important qu’avec ce retour, nous envoyions un signal clair sur la bonne manipulation des objets de collection, sur leur provenance ainsi que sur l’honnêteté scientifique », commente Bauer.
La décision de rapatrier Ubirajara peut également résoudre une énigme scientifique inhabituelle : le retrait de l’article original par Cretaceous Research a impliqué que, désormais, aucune étude publiée n’étayait le nom Ubirajara ; le dinosaure est donc dans un flou taxonomique. Selon Pinheiro, maintenant que le fossile rentre chez lui, il est possible que l’étude originale soit simplement republiée.
« Peut-être que le nom reviendra tout simplement », dit Pinheiro. « C’est une question qui pourrait, ou devrait, être résolue par la revue. »
UN TRÉSOR CULTUREL
Les scientifiques brésiliens cherchent désormais à récupérer d’autres fossiles conservés en Allemagne et dans d’autres pays. Le SMNK, par exemple, abrite d’autres restes majeurs d’espèces déterrés au Brésil, dont les premiers fossiles connus des ptérosaures Unwindia et Arthurdactylus, l’ancien crocodile Susisuchus et le dinosaure Mirischia.
Mais tandis que les rouages diplomatiques s’activent pour le retour d’Ubirajara, le lieu de résidence permanent du fossile reste incertain.
Le Bade-Wurtemberg a indiqué dans sa déclaration que le musée national du Brésil, situé à Rio de Janeiro, est « considéré comme un lieu possible pour la présentation du fossile ». Ce dernier est en pleine reconstruction de ses collections à la suite d’un incendie dévastateur en 2018.
Cependant, pour Cisneros et Pinheiro, il devrait aller au musée paléontologique Plácido Cidade Nuvens, dirigé par Pinheiro. Ce musée est le plus proche du site du nord-est du Brésil où Ubirajara a été découvert, une formation rocheuse riche en fossiles, qui est un « géoparc mondial » de l’UNESCO appelé le bassin d’Araripe.
« Le Brésil n’est pas un petit pays, c’est un pays continental », rappelle Cisneros. « S’ils vont dans un musée situé dans une ville éloignée de la communauté locale… c’est toujours mieux, bien sûr ; c’est plus proche que l’Allemagne. Mais on prive quand même la communauté locale. »
Pinheiro ajoute que le bassin d’Araripe est socioéconomiquement défavorisé, et que les sites fossiles et les musées de la région peuvent encourager le tourisme, fournissant des emplois et des opportunités aux personnes qui vivent aujourd’hui là où Ubirajara marchait autrefois.
« Nous travaillons […] pour que la communauté sache ce qu’elle possède. Elle possède un trésor. Avant tout, ces trésors leur appartiennent. Ces trésors ont le pouvoir de changer leurs vies, de les rendre meilleures. »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.