Le mystère des icebergs vert émeraude (enfin) élucidé ?

Les icebergs verts, que l’on trouve uniquement en Antarctique fascinent depuis des dizaines d’années. Mais percer à jour le secret de leur couleur a demandé du temps, et un soupçon de chance.

De Robin George Andrews
Comme les icebergs bleus, les icebergs verts se parent souvent d'une transparence bluffante, synonyme d'une faible ...
Comme les icebergs bleus, les icebergs verts se parent souvent d'une transparence bluffante, synonyme d'une faible présence de bulles d'air.
PHOTOGRAPHIE DE Doug Mcveigh, Australian Antarctic Division

Véritables vedettes des splendides clichés des régions polaires, les icebergs sont la plupart du temps de couleur bleue ou blanche. Pourtant, à la manière d’un artiste qui travaille chaque ressource qui l’entoure, la nature est capable de donner naissance à des icebergs d’un vert éclatant, des spécimens exclusivement réservés à l’Antarctique.

Bien que la littérature scientifique déborde de témoignages centenaires de ces blocs de glace vert émeraude, personne n’était en mesure d’expliquer leur origine jusqu'alors. Une équipe de scientifiques pourrait bien avoir résolu le mystère.

D'après leurs travaux, cette teinte inhabituelle serait due à la combinaison de deux processus distincts. Premièrement, l’iceberg doit être formé sans bulle d’air à la base des plateformes glaciaires qui s’avancent sur l’océan Austral. Simultanément, le jeune iceberg doit emporter de la poussière glaciaire jaune-rouge issue de l’érosion du substrat rocheux d’Antarctique.

« C’est un peu la version pôle sud du mélange de peintures bleue et jaune pour obtenir du vert, » illustre James Lea, glaciologue à l’université de Liverpool, non impliqué dans l’étude.

 

COULEUR MENTHE À L'EAU

Nombreux sont les journalistes qui aiment appeler ces curiosités icebergs émeraudes, indique Steve Warren, professeur émérite à l’université de Washington et passionné par l’Antarctique depuis bien longtemps. Ils se souviennent peut-être du poème La Complainte du vieux marin dans lequel le poète Samuel Taylor parle d’un matelot qui aperçoit « des blocs de glace hauts comme les mâts et verts comme des émeraudes. » Les scientifiques, régulièrement témoins de ces étranges objets, leur préfèrent quant à eux le nom de « jade bergs. » 

Quoi qu'il en soit, les chercheurs savaient que cette couleur était l’expression de leurs propriétés physiques et chimiques. La glace tire vers le bleu car elle absorbe les longueurs d’onde élevées, qui correspondent aux couleurs plus rouges, et laissent donc s’échapper les longueurs d’onde plus courtes, les couleurs bleutées, qui sont ensuite captées par nos yeux.

Cependant, si la glace contient des bulles d’air, la lumière qui la traverse est constamment forcée à changer de direction et peut donc réapparaître plus rapidement à la surface. Cela réduit l’absorption, la glace apparaît donc plus blanche. A contrario, dans certaines régions du continent austral, la glace est tellement comprimée qu’elle ne laisse aucune bulle se former. Le parcours emprunté par la lumière à travers la glace est donc plus long, ce qui se traduit à nos yeux par une incroyable clarté et un bleu intense.

D’après les témoignages, les icebergs verts sont eux aussi remarquablement translucides. Grâce à cet élément, les chercheurs ont pu conclure qu’ils ne contenaient pas de bulles d’air, un premier indice quant à leur origine.

Bien qu’aujourd’hui la fonte des glaciers soit le sujet prédominant, l’eau de mer peut également geler sous la plateforme glaciaire de l’Antarctique. La glace ainsi formée est épaisse et porte le nom de glace marine. Contrairement au piège à air que constitue la glace formée en surface, la glace marine se forme à des pressions élevées pour lesquelles l’air est plus soluble. Ainsi formés, les icebergs ne contiennent donc pas de bulle d’air.

Ces icebergs translucides au vert intense doivent donc être formés à partir de glace marine. Cette première hypothèse fut confirmée dans les années 1980, grâce à des carottes extraites de la barrière d’Amery en Est-Antarctique par Warren et ses collègues. La couleur verte, quant à elle, restait encore un mystère.

 

RETOUR SUR UNE AFFAIRE GLACÉE

Pour l’équipe de Warren, le coupable était le carbone organique dissout, les restes microscopiques de la vie marine dont la couleur tire sur le jaune. Il y a donc fort à parier qu’une fois associé au bleu immaculé de la glace, une teinte verte fasse son apparition. À l’époque, ils n’étaient pas en mesure de quantifier le carbone organique dissout dans les carottes de glace, ils ont donc utilisé des techniques pour le rendre fluorescent afin de confirmer son existence.

Les résultats de leur étude de 1993 avaient fait l’objet de toutes les attentions, mais cet air de victoire fut de courte durée. En 1996, lors de la seconde excursion en eaux glacées de Warren dans le cadre de l’Australian Antarctic Program, son équipe croisa de nouveau le chemin de cette glace marine aux lueurs vertes. Cette fois, elle disposait des moyens nécessaires pour prélever adéquatement des échantillons de carbone organique dissout. Ils découvrirent alors que les quantités de carbone organique dans les glaces bleues et vertes étaient non seulement similaires, mais également trop faibles pour avoir une quelconque influence sur la couleur apparente.

“Cette étude suggère que la création de cette flotte couleur émeraude pourrait bien offrir un festin de roi aux algues qui manquent cruellement de ce nutriment essentiel à leur survie. ”

de James Lea
Université de Liverpool

« Nous ne savions pas quoi faire de cette information et nous n’avions pas assez d’échantillons pour revérifier les analyses, » confie Warren. « Nous l’avons donc mise de côté et nous avons décidé de ne rien publier. »

Vint ensuite en 2016 l’étude de l’océanographe physicienne Laura Herraiz-Borreguero rattachée à l’époque à l’université de Tasmanie et aujourd'hui à celle de Southampton, qui, grâce à un concours de circonstances, tomba sur la pièce manquante du puzzle. Après avoir prélevé des carottes dans la barrière d’Amery, elle avait découvert que la glace marine contenait 500 fois plus de composés ferriques que la glace de glacier qui la surplombait.

Les oxydes de fer sont communément présents dans le sol et les roches. Le travail des scientifiques suggère qu’ils se détachent suite à l’érosion provoquée par les mouvements de la glace sur le substrat rocheux d’Antarctique. La poudre de sédiments qui en résulte, connue sous le nom de farine glaciaire, finit par se frayer un chemin jusqu’à la mer. Par la suite, cette substance semblable à la rouille gèle à la base des plateformes glaciaires et se retrouve prisonnière de la glace marine qui finit elle-même par se détacher de la calotte pour former les icebergs. En outre, les oxydes de fer sont de couleur rouge-jaune, coïncidence ?

« La glace absorbe la lumière rouge et les oxydes de fer absorbent la lumière bleue, ne reste donc que la lumière verte lorsque les rayons du soleils réfractés émergent de leur passage dans l’iceberg, » explique Warren.

Dans une étude récente publiée dans le Journal of Geophysical Research: Oceans, son équipe a calculé la quantité de fer nécessaire pour faire passer la couleur de la glace du bleu au vert et ils ont découvert que la quantité décelée dans la glace marine de la barrière d’Amery était suffisante.

 

VIRTUOSES DE L'OCÉAN AUSTRAL

Même si ces éléments ne constituent qu’une preuve indirecte et bien que davantage de travail sur le terrain soit nécessaire, Lea estime que ce mécanisme reste une « idée remarquable qui explique les observations réalisées à ce jour. »

Ce tapis roulant d’icebergs verts a des conséquences sérieuses pour l’environnement de la région, ajoute Lea. Les lignes d’échouage des glaciers, ces frontières entre la glace fixée au substrat rocheux et la glace flottant sur l’océan, ont tout récemment commencé à reculer de part et d’autre de l’Antarctique. Cette migration peut entraîner la déstabilisation et la fragmentation des plateformes glaciaires qu’elles précèdent, pouvant potentiellement donner naissance à une armada de jade bergs.

Une conséquence malheureuse de la formation de ces icebergs verts est l’effondrement de la glace terrestre qui contribue à la hausse du niveau des mers. D’un autre côté, ces icebergs riches en composés ferriques « pourraient offrir un festin de roi aux algues qui manquent cruellement de ce nutriment essentiel à leur survie, » précise-t-il.

En d’autres termes, les algues qui peuplent les eaux de la barrière d’Amery pourraient bien se targuer d'avoir à leur disposition le meilleur service de restauration à emporter de tout l’océan Austral.

 

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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