Le plus ancien dinosaure d’Afrique aurait vécu il y a 230 millions d’années
Découvert au Zimbabwe, le fossile de ce sauropode relativement petit nous en apprend davantage sur la façon dont les dinosaures se sont déplacés sur Terre.
Il y a 230 millions d’années, un cousin distant et ancestral des sauropodes, ces fameux dinosaures au long cou, pataugeait dans un réseau de rivières en tresses du nord du Zimbabwe. Les ossements de ce dinosaure nommé Mbiresaurus raathi sont les plus anciens fossiles de dinosaures jamais découverts en Afrique.
Les sauropodes, dinosaures au long cou, furent les animaux les plus imposants à avoir jamais foulé la Terre. Toutefois, un squelette étonnamment complet découvert dans le nord du Zimbabwe nous rappelle que ces géants (dont certains pesaient plus de soixante tonnes) connurent des débuts plutôt modestes.
Le fossile dont il est question a été dévoilé le 31 août dans la revue Nature. Il s’agit du plus ancien dinosaure découvert en Afrique. Ce dernier a vécu au Trias, il y a 230 millions d’années environ. L’animal est également l’un des ancêtres les plus primitifs des sauropodes, dont le groupe inclut des géants emblématiques au long cou tels que Brachiosaurus et Brontosaurus. Même si l’animal était quasiment arrivé à maturité au moment de sa mort, les experts estiment que ses hanches ne dépassaient les 60 centimètres de hauteur.
Le site de fouilles où l’on a découvert Mbiresaurus, saisi ici en 2019 alors que les paléontologues Sterling Nesbitt et Kudzie Madzana y effectuaient un travail minutieux, se trouve au sein des terres Dande au nord du Zimbabwe.
Doté d’une petite tête, de dents en forme de feuilles et d’un cou de longueur modeste, « on dirait presque un dinosaure générique qu’on aurait fait dessiner à un enfant et qui ne mangerait pas de viande », commente Chris Griffin, paléontologue de l’Université Yale ayant conduit les recherches alors qu’il était doctorant à Virginia Tech.
Son nom scientifique, Mbiresaurus raathi, est un hommage au Mbire, l’empire historique des Shonas du Zimbabwe qui embrassait autrefois le site archéologique où on a exhumé le fossile. La deuxième partie du nom scientifique du dinosaure est un hommage au paléontologue Michael Raath, dont le travail dans la région dans les années 1990 a permis sa découverte.
De par leur ancienneté, Mbiresaurus et d’autres fossiles découverts à ses côtés nous éclairent quant à la façon dont les dinosaures sont apparus et ont conquis la Terre au Trias, période s’étendant de 252 à 205 millions d’années avant le présent. Intercalé entre deux extinctions de masse et caractérisé par d’incessants bouleversements climatiques, le Trias fut une période de transition critique pour la vie sur Terre. Lors de cette période, les lignées ancestrales de plusieurs groupes de reptiles importants commencèrent à se séparer les unes des autres et donnèrent naissance aux dinosaures mais aussi aux crocodiliens et aux ptérosaures, ces fameux reptiles volants.
« C’est à ce moment-là que la magie s’est produite », déclare Kimi Chapelle, paléontologue et chercheuse postdoctorante de l’Université du Witwatersrand, en Afrique du Sud. Elle n’a pas pris part à la présente étude.
NOUVEAU SITE, DINOSAURES ANCIENS
La pléthore de fossiles découverts depuis des décennies nous apprend que les dinosaures sont apparus il y a environ 245 millions d’années dans les régions les plus septentrionales de la Pangée, ce supercontinent qui s’était formé au Carbonifère. Les masses continentales du sud de la Pangée, aujourd’hui réparties entre Afrique, Amérique du Sud et Inde, recèlent des fossiles qui nous apprennent que les premiers dinosaures n’étaient ni aussi gros, ni aussi divers qu’ils n’allaient le devenir un peu plus tard, loin de là. De stature modeste, peu nombreux et fuyants, ils ont survécu à grand-peine tout au long du Trias dans l’ombre d’un groupe cousin d’anciens crocodiles : les pseudosuchiens.
Si la Pangée était un continent unique, son climat était toutefois très varié. Les régions situées plus près des pôles étaient luxuriantes et hospitalières mais les ceintures tropicales au nord et au sud de l’équateur étaient hostiles : elles étaient caniculaires, arides et en proie aux incendies.
« Sur la Pangée, vous pouvez marcher du pôle Nord au pôle Sud. Il n’y a aucune barrière physique géante comme nous en avons, des chaînes de montagnes géantes par exemple », décrit Sterling Nesbitt, coauteur de l’étude, paléontologue à Viriginia Tech et ancien directeur de thèse de Chris Griffin. « Mais il y a certaines barrières climatiques. »
Dans un laboratoire de paléontologie de Virginia Tech, Christopher Griffin tient un des iliums de Mbiresaurus, petits quoique robustes, au-dessus d’un plateau contenant le squelette du dinosaure.
Reconstituer la façon qu’avait la vie de s’adapter à ces barrières est une chose délicate étant donné le peu d’indices que nous fournissent les rares sites fossiles recensés çà et là. En s’appuyant principalement sur des spécimens argentins et brésiliens du début du Trias, les paléontologues pensent que lorsque les dinosaures sont apparus, la faune était séparée par des déserts situés de part et d’autre de l’équateur. Chris Griffin s’est alors fait une réflexion : puisque l’on trouve dans le sud de l’Afrique des sédiments rocheux aussi anciens que ceux présents en Argentine et au Brésil, serait-il possible qu’ils renferment eux aussi des restes des plus anciens dinosaures du monde ?
Chris Griffin s’est donc rendu au Zimbabwe en 2015 et y a rencontré une équipe de paléontologues et d’employés de musées originaires du pays et prêts à collaborer avec lui pour le découvrir enfin. « Nous avions déjà travaillé dans la région mais avec des ressources limitées et également moins de savoir-faire », raconte Darlington Munyikwa des Musées et monuments nationaux du Zimbabwe, coauteur de l’étude. « C’était très important pour nous d’œuvrer ensemble. »
Lors de cette visite, Chris Griffin est tombé sur un article datant de 1992 dont le coauteur n’était autre que Michael Raath et qui décrivait des sites se trouvant sur les terres communales de Dande, une étendue tribale du nord du Zimbabwe sise près des frontières zambienne et mozambicaine. À la grande joie de Chris Griffin, les sites décrits par Raath abritaient les ossements d’un reptile du Trias à tête triangulaire : un rynchosaurien. Connaisseur des fossiles sud-américains, Chris Griffin savait que des roches assez anciennes pour renfermer des rhynchosauriens pouvaient tout à fait avoir immortalisé les plus anciens dinosaures du monde.
Pour découvrir quel âge avait ce spécimen de Mbiresaurus au moment de sa mort, les chercheurs ont ôté une petite section de tibia et l’ont polie jusqu’à ce qu’elle devienne translucide. À partir des marques de croissance présentes sur l’os et d’autres caractéristiques du squelette, ils ont déduit que le dinosaure avait quasiment atteint la maturité lorsqu’il est mort.
Notamment grâce à une bourse octroyée par la National Geographic Society, Chris Griffin a pu y retourner à la fin du mois de juillet 2017 pour marcher dans les pas de Michael Raath avec une équipe de paléontologues du pays. Il se souvient de la brise fraîche d’un matin d’hiver zimbabwéen qui faisait bruire le feuillage le long des lits secs des rivières ainsi que d’abeilles mopanes (Plebeina armata), une espèce sans dard faisant la taille d’un moucheron, qui bourdonnaient autour de leur tête alors qu’ils se mettaient au travail.
Presque aussitôt, ils ont tapé dans le bon filon. « Cette zone en particulier, lors de notre premier jour sur le terrain, a donné un nombre ahurissant de fossiles, des fossiles tombaient tout bonnement de la roche », se remémore-t-il.
Le premier jour des fouilles, Hazel Turavinga, paléontologue zimbabwéenne et coautrice de l’étude, a découvert un fragment d’os de jambe qui a permis à l’équipe de savoir qu’elle se trouvait sur la bonne voie. Le lendemain, avant le déjeuner, Chris Griffin a baissé les yeux et a aperçu un fémur fossilisé qui sortait de terre. En dégageant davantage l’os de l’argilite soyeuse, il s’est rendu compte que le fossile était celui d’un dinosaure, et que la hanche de l’animal était juste à côté de l’os de la jambe. Tout portait à croire que le reste de l’animal l’attendait un peu plus bas.
« À ce moment-là, il m’a fallu m’asseoir et respirer un peu », confie Chris Griffin.
DES ORIGINES MODESTES
Des fouilles minutieuses ont révélé un spécimen en excellent état qu’on finirait par dénommer Mbiresaurus. Entre le premier squelette et les restes partiels d’un second individu, il ne manque aux chercheurs que quelques vertèbres, des os de la main, un os de la cheville et quelques parties du crâne. Des parties du squelette, notamment des pieds, étaient encore articulées comme elles l’étaient lorsque l’animal était vivant. Le potentiel fossilifère du site bien établi, Chris Griffin et ses collègues y sont retournés en 2019 pour trois nouvelles semaines de fouilles, de nouveau financées par la National Geographic Society.
Mbiresaurus n’est pas le seul type de dinosaure découvert sur le site de fouilles : ici, Chris Griffin exhume des vertèbres de la queue d’un dinosaure prédateur, l’herrérasauridé.
Selon Kimi Chapelle, Mbiresaurus sort du lot parce qu’il nous permet de nous faire une idée de l’anatomie des premiers sauropodomorphes. Elle est spécialiste de ce groupe de dinosaures. Par exemple, elle trouve à sa hanche des aspects particulièrement primitifs si on la compare à celles des dinosaures qui sont venus ensuite.
En matière de dinosaures, les hanches sont assez importantes. Depuis les années 1880, c’est la forme de la hanche qui sert à caractériser la principale branche de l’arbre généalogique des dinosaures. C’est d’ailleurs dans la cavité de la hanche que l’on trouve un des aspects squelettiques qui distinguent les dinosaures. L’os iliaque de Mbiresaurus est pourvu d’assez de marqueurs d’ancienneté pour que l’on puisse placer l’animal à la base de l’arbre généalogique des dinosaures. « C’est un spécimen incroyable », se réjouit Kimi Chapelle.
Le site de fouilles a également permis aux paléontologues d’en apprendre davantage sur l’écosystème dans lequel évoluait Mbiresaurus : un réseau de rivières en tresses qui s’écoulait assez rapidement pour emporter des rochers et entraîner la formation des galets de la Formation de Pebbly Arkose, la formation rocheuse au sein duquel on a découvert Mbiresaurus.
Les plantes luxuriantes de la région nourrissaient un large éventail d’herbivores et d’omnivores à écailles, et notamment les rynchosauriens au crâne triangulaire, cousins cuirassés d’alligators connus sous le nom d’étosaures, et lointains cousins reptiliens de mammifères qu’on appelle cynodontes. L’équipe a même découvert certains ossements appartenant à un dinosaure prédateur, l’herrérasauridé, qui mesurait vraisemblablement plus de 2,10m à la hanche.
Les animaux de la Formation de Pebbly Arkose ressemblent étroitement à des fossiles du même âge découverts en Argentine et au Brésil. Cette correspondance suggère fortement que les régions de la Pangée septentrionale qui se trouvaient à des latitudes similaires étaient habitées par des animaux appartenant aux mêmes groupes quoique pas aux mêmes espèces. « C’est bizarre d’exhumer une ribambelle d’ossements en Afrique puis, deux ans plus tard, d’aller dans un musée et de voir tout ce que vous avez récupéré exposé dans un musée brésilien », plaisante Chris Griffin.
Les sédiments rocheux du Zimbabwe abritent différents types de fossiles de la période du Trias, dont ces feuilles découvertes dans un dépôt tourbeux qui s’est fossilisé il y a plus de 227 millions d’années.
À partir des fossiles de Mbiresaurus et d’autres fossiles du Trias, l’équipe de Chris Griffin a analysé la façon dont les dinosaures ont pu se disperser de par le monde. Leurs résultats appuient l’idée selon laquelle les dinosaures seraient apparus aux confins septentrionaux de la Pangée. Les chercheurs estiment que ceux-ci ont vraisemblablement commencé à s’étendre vers le nord à partir de 230 millions d’années avant le présent.
Les premiers à se disperser furent les théropodes, le groupe de dinosaures duquel sont issus des prédateurs bipèdes comme Tyrannosaurus ainsi que les oiseaux actuels. Il y a environ 220 millions d’années, ce fut au tour des cousins sauropodomorphes de Mbiresaurus d’aller voir ce qui se passait de par le monde.
Cette chronologie correspond bien à ce que nous savons sur le climat du Trias. Entre 235 et 230 millions d’années avant le présent, la Terre connut quelques millions d’années lors desquels les précipitations et l’humidité augmentèrent : c’est l’épisode pluvial du Carnien. À cette période, les déserts tropicaux de la Pangée rétrécirent et devinrent plus hospitaliers. Cela donna peut-être aux dinosaures l’occasion de migrer vers de nouvelles régions.
« Il semble très clair que les premiers dinosaures ne s’emparent pas de la planète d’emblée. Ils sont contraints, ils ne sont présents que dans certaines régions, uniquement dans un certain environnement, et ce n’est que plus tard au cours de leur évolution qu’ils envahissent le monde entier », explique Chris Griffin.
UN NOUVEL HÉRITAGE À CONSTRUIRE
Les fouilles dans la Formation de Pebbly Arkose ne font que commencer. Jusqu’ici, les chercheurs n’ont pu rendre compte en détail que des ossements de Mbiresaurus. Ils s’attendent à ce que certains autres reptiles découverts au même endroit soient les représentants de nouvelles espèces.
Les découvertes à venir rendent les chercheurs enthousiastes. Surtout maintenant qu’ils ont montré que l’Afrique abrite des fossiles racontant les premiers jours des dinosaures.
« L’Afrique est un endroit où l’on ne cesse de retourner pour ce qui a trait aux plus anciennes lignées d’humains et d’hominidés et ce genre de choses, mais on a laissé les dinosaures en dehors de ça tout simplement parce que cette période n’avait pas de représentant, déplore Nesbitt. Cela fait vraiment passer l’Afrique au premier plan en ce qui concerne l’origine des dinosaures. »
Il est important de noter que l’équipe prend des mesures pour faire en sorte que les fossiles découverts dans la Formation de Pebbly Arkose restent au Zimbabwe. Un certain nombre d’entre eux ont été prêtés à Virginia Tech pour qu’ils soient mis en état et scannés, mais une fois prêts, chaque fossile retournera au Musée d’histoire naturelle du Zimbabwe où ils demeureront.
« Pour faire court, c’est notre héritage, clame Darlington Munyikwa. Chacun devrait pouvoir y avoir accès, bien entendu, mais il faut que ce soit déposé au sein de notre institution. »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.