L’endotest va-t-il vraiment révolutionner le diagnostic de l'endométriose ?
Le premier test pour diagnostiquer toute forme d’endométriose par prélèvement salivaire a été mis au point par des scientifiques français. Sa future mise en vente suscite des réactions très variées dans la communauté scientifique.
L'endométriose est maladie gynécologique chronique qui démarre dans la sphère utérine, qui peut récidiver dans certains cas et générer des douleurs chroniques.
Huit ans. C’est le temps moyen qu’une femme passe dans l’errance médicale avant d’être diagnostiquée comme souffrant d’endométriose. Dans une stratégie nationale de lutte contre cette pathologie, le Ministre des Solidarités et de la Santé Olivier Véran, souhaite accroître les connaissances et la recherche autour de l’endométriose afin de faciliter la détection de la maladie et le suivi des patientes.
Pour la première fois dans le monde, des scientifiques français ont étudié les biomarqueurs de la salive pour étudier les microARN pouvant révéler la présence d’endométriose. Après avoir identifié ces biomarqueurs, les scientifiques ont utilisé l’intelligence artificielle afin d’analyser, traiter et combiner ces nombreuses données. Ils en ont fait un test salivaire, capable de détecter « toutes les formes d’endométriose, même les plus complexes ».
L’« Endotest » a été mis au point par une équipe d’experts et ingénieurs en intelligence artificielle financés par l’entreprise française Ziwig et le conseil régional d’Île-de-France. Ces travaux ont été rendus possibles par un partenariat public-privé avec l’Institut du Cerveau à Paris, selon Gilles Doumer, le vice-président de la start-up Lyonnaise.
Afin de développer ce test salivaire, les chercheurs ont étudié 200 patientes qui présentaient des symptômes douloureux évoquant l'endométriose. Le docteur Sofiane Bendifallah, enseignant chercheur à la Sorbonne Université et soignant dans le cadre d’un centre expert endométriose le rappelle, « l’endométriose, ce n’est pas une maladie, mais des maladies. Ce n’est pas une expression, ce sont des expressions, terriblement hétérogènes ».
« Pour cette étude, on a regardé ce qui a été fait. Des gens ont déjà travaillé dessus, des auteurs belges, américains. Le point qu’ils ont oublié de traiter dans cette prise en charge, c’est la salive. Tout le monde s’est focalisé sur un biomarqueur, là où nous nous sommes focalisés sur des milliers de biomarqueurs » précise le docteur Bendifallah, co-auteur de l’étude d’abord publiée dans la revue scientifique Journal of Clinical Medicine, puis relayée sur PubMed.
« Les Américains avaient extrait du sang. Mais nous avons été rapidement confrontés à des soucis de stabilité avec le sang. Contrairement à ce que l’on peut croire, c’est un liquide qui contient beaucoup de choses. Plaquettes, globules blancs, globules rouges, enzymes, c’est assez compliqué à travailler. Surtout, c’est quelque chose que l’on ne peut pas conserver longtemps, deux heures maximum » explique Gilles Doumer.
La salive est un liquide biologique « au bout de la chaîne » précise le vice-président de Ziwig. « Elle a déjà été épurée par le foie, on a un liquide beaucoup plus concentré et plus simple à travailler lorsque l’on cherche des éléments à l’intérieur. On est la première équipe au monde à avoir séquencé la salive ».
Au final, 109 microARN ont été isolés parce qu’ils étaient impliqués dans toutes les formes d’endométrioses représentées par les patientes et 153 patientes sur 200 se sont avérées être atteintes d’une endométriose. « Dans tous les liquides biologiques, on a ce que l’on appelle le génome, qui est l’ADN. Et puis, on a le transcriptome, qui est le reflet du gène dans un environnement donné, correspondant à une maladie ou pas de maladie. Au sein du transcriptome, il y a l’ARN codant et l'ARN non-codant » explique en détail le chercheur. Les scientifiques se sont intéressés à l’ARN non-codant, dans laquelle se trouve les fameux microARN « qui sont des biomarqueurs connus depuis maintenant presque 20 ans ».
« Utiliser un séquençage de nouvelle génération pour pouvoir analyser 2 600 microARN par personne, ça n’avait jamais été fait. À chaque fois, on utilisait 1 à 6 biomarqueurs maximum » ajoute Léa Delbos, médecin gynécologue au CHU d’Angers.
La prochaine étape a été celle de l’utilisation de l’intelligence artificielle. « Ce n’est pas possible avec un cerveau humain de distinguer celles qui ont l’endométriose, de celles qui ne l’ont pas, tant il y a de données » affirme le vice-président de Ziwig. « Finalement, c’est la combinaison de ces deux technologies de rupture qui a permis d’avoir la signature de l’endométriose. On a une spécificité de 100 %, ça veut dire que toutes les femmes qui présentent une endométriose, ont une endométriose. […] La biologie moléculaire, avec les microARN, c’est l’expression de ce que vous avez au plus près de la pathologie ».
APPEL À LA PRUDENCE
« Nous avons accueilli avec beaucoup de satisfaction et d'espoirs la création de l'Endotest par l'équipe de Ziwig. Dans l'intérêt des patientes, nous ne pouvons que nous réjouir de l'avancée que constitue une telle innovation dans un domaine qui a été totalement passé sous silence et mésestimé pendant de trop nombreuses années » affirme la vice-présidente de l’association Endomind, Céline Ferrara.
L’association a suivi avec assiduité l’évolution des travaux de recherche de la start-up lyonnaise. « Il s'agit d'une innovation très importante qui pourra contribuer à réduire l'errance diagnostique. […] Bien entendu, elle n'efface pas l'utilité des travaux qu'il reste à mener en matière de prise en charge de l'endométriose. »
Pourtant, la communauté scientifique française n’est pas unanime. Le mode opératoire, le manque de validation externe et le nombre de patientes observées pendant l’étude font réagir. Dans un article pour le média Slate, Ludivine Doridot, chercheuse en épigénétique à l'Institut Cochin et maîtresse de conférence à l'Université de Paris V, s’inquiète de la méthode utilisée. Selon elle, le test pourrait ne pas fonctionner avec de nouvelles patientes. « Normalement, un algorithme “apprend” à partir d'un jeu de données partiel. Par exemple, 30 patientes sans endométriose et 100 avec. Puis, le modèle proposé est testé sur le reste des données que l'algorithme ne connaît pas : les 17 autres patientes sans endométriose et les 53 avec endométriose, afin de valider le modèle ».
Depuis janvier 2022, une nouvelle étude de recherche sur 1 000 patientes est en cours, afin d’affiner les informations obtenues lors de la première étude. « C’est-à-dire, faire le tour de tous les phénotypes, avoir encore plus de données, avoir une précision encore plus fine sur l’endométriose, le type d’endométriose, les conséquences de la pathologie selon l’âge. Plus on a d’informations, plus le diagnostic est fin, en termes de biologie moléculaire » éclaire le vice-président de Ziwig.
Léa Beldos, au contact régulier des patientes, témoigne d’une volonté générale de la part des personnes menstruées, enjouées de contribuer à un test « non-invasif » précise l’experte, qui ne fera « qu’aider la science ».
Les maladies touchant les femmes exclusivement ont longtemps été mises de côté par la recherche scientifique. « Quel que soit l’aspect de la prise en charge de l’endométriose, on en est à la préhistoire en réalité » déplore le professeur Bendifallah. C’est pourquoi cette innovation promet une source importante d’espoir aux patientes encore en errance médicale.
« L'annonce de ce test, qui promet de faire passer de plusieurs années d'errance à seulement quelques jours peut surprendre et nous le comprenons. Néanmoins, si ENDOmind a souhaité participer à cette annonce, c'est parce que nous avons pu en amont nous assurer du sérieux, de la fiabilité et de la rigueur de la démarche de Ziwig et des professionnels de santé qui y ont contribué » affirme la vice-présidente de l’association.
Les scientifiques entendent et reçoivent les critiques de leurs confrères et consœurs. Léa Delbos précise qu’il n’y a « pas de problème à être prudent », face à une innovation technologique. « On est sur une technologie nouvelle qui a montré des résultats vraiment impressionnants, puisque nous avons une signature parfaite de la trace de l’endométriose ».
« Nous sommes à une ère moderne avec des avancées technologiques majeures, donc restreindre la limitation de cette étude au nombre de sujets, c’est une méconnaissance complète, notamment du nombre de variables qui ont été analysées. Pour faire simple : il n’y a pas que les microARN qui sont analysables et analysés. Dans les non codants, il y a des dizaines de formes d’ARN différents » affirme le docteur Bendifallah.
Enfin, face aux critiques, Gilles Doumer constate un problème « d’éthique et de non-sens » s’il faut chercher à obtenir « davantage de robustesse d’un point de vue statistique ». Le vice-président de Ziwig refuse d'opérer « 5 000 patientes qui n’ont rien, pour contrôler, parce qu’on a besoin de le faire dans le cadre d’une étude alors que l’on sait qu’elles n’ont pas l’endométriose ».
Ziwig est actuellement en négociations avec la Haute Autorité de Santé (HAS) pour tenter de faire rembourser l’Endotest, qui a déjà obtenu le label européen CE. « On est une petite entreprise, mais on a des vertus et on est des acteurs responsables dans la santé. On ne va pas proposer un test accessible simplement à celles qui peuvent se le payer et pas aux autres. En santé publique, ça n’a pas de sens » conclut Gilles Doumer.
S’il est commercialisé, l’auto-prélèvement sera accessible facilement dans toute la France grâce à un kit. Une certaine quantité de salive sera à déposer dans un tube à agiter pour faire réagir le liquide de conservation inclus dans le capuchon. Une fois envoyé au laboratoire de séquençage, le diagnostic pourra être fourni en moins d’une semaine.
Léa Delbos conclut en insistant sur le fait qu’il ne s’agit pas là d’un autotest, uniquement d’un auto-prélèvement, « il doit rentrer dans le cadre d’un projet de soins avec une prescription médicale et un rendu de résultats par le médecin ».