L'éruption en Islande pourrait marquer le début de plusieurs décennies d'activité volcanique
Première éruption sur la péninsule de Reykjanes depuis environ 800 ans, elle ne présente aucun danger pour les centres de population voisins mais offre une occasion unique d'étudier les mystères géologiques de la région.
L'éruption a commencé le vendredi 19 mars dans la région de Geldingadalur, sur la péninsule de Reykjanes, et pourrait marquer le début d'une nouvelle période d'intense activité volcanique dans la région.
Après avoir subi une série de séismes à l'intensité croissante au cours des quinze derniers mois, dont 50 000 ces trois dernières semaines, la péninsule islandaise de Reykjanes connaît enfin l'éruption volcanique que de nombreux géologues avaient anticipée. C'est la première en près de 800 ans pour cette région située au sud-ouest de l'état insulaire et d'après les experts, les coulées de lave qui parcourent actuellement son paysage se font attendre depuis bien longtemps.
Le vendredi 19 mars, vers 8 h 45 heure locale, la roche fondue s'est déversée en surface dans une vallée voisine du mont Fagradalsfjall, dans la région de Geldingadalur, à environ 10 km de la ville la plus proche. Des projections incandescentes ont émergé d'une entaille dans la terre en brûlant le sol tandis que de petites fontaines de laves illuminaient le paysage plongé dans l'obscurité.
L'éruption ne concerne qu'une quantité relativement faible de lave cantonnée à quelques vallées, ce qui rend peu probable une éventuelle menace pour les centres de population voisins. Ce type de roche fondue est très fluide et les gaz pris au piège s'en échappent donc facilement ; en l'absence d'eau ou de glace, l'éruption ne risque pas de devenir particulièrement explosive, de générer un nuage durable de cendres ou de projeter des blocs volcaniques massifs à travers la région. Les scientifiques pensent que l'éruption va durer encore quelques jours ou semaines avant de s'estomper.
Aussi modeste soit-elle, cette éruption pourrait être le point de départ d'un phénomène de plus grande envergure. Les preuves tirées à la fois de récits historiques et des anciennes coulées de lave montrent que chaque poussée de l'activité sismique dans la région a été suivie d'éruptions ponctuelles pendant une centaine d'années environ.
« Tout porte à croire que la région se réveille, » déclare Dave McGarvie, volcanologue à l'université de Lancaster.
L'éruption de Geldingadalur offre donc une occasion inédite d'étudier l'activité volcanique du sud-ouest de l'île au long terme. Les scientifiques se pressent désormais pour surveiller ce qui pourrait bien être la première salve d'une série de volées volcaniques et peut-être comprendre ce qui pousse la péninsule à se réveiller une fois tous les huit siècles.
L'AFFAIRE DU MAGMA DISPARU
À cheval sur une section terrestre de la dorsale médio-atlantique qui ne cesse de s'écarter, la péninsule de Reykjanes n'est pas étrangère aux séismes. Cependant, depuis fin 2019 la région située à une trentaine de kilomètres de la capitale Reykjavik a enregistré une hausse de la fréquence et de l'intensité des secousses. Plus récemment, les Islandais vivant sur la péninsule ont vu leur sommeil perturbé par les secousses permanentes, notamment ceux de la ville côtière de Grindavik.
Cette hausse de l'activité sismique refléterait le passage d'une ouverture progressive de la dorsale à une phase plus dynamique durant laquelle les deux côtés de la péninsule s'éloignent rapidement l'un de l'autre. Lorsqu'une dorsale écarte précipitamment la terre de cette façon, un espace vide se crée et le magma s'empresse de le combler.
Le 3 mars, des signaux acoustiques associés à une injection de magma dans la croûte à faible profondeur ont émané de la zone comprise entre le mont Fagradalsfjall et un ensemble de fissures entrées en éruption il y a bien longtemps. Il semblait alors évident qu'une nouvelle éruption allait se produire, mais aucun signe de lave, puis les signaux acoustiques se sont évanouis, indique Thorbjörg Ágústsdóttir, sismologue pour Iceland GeoSurvey.
Au lieu de s'écouler en surface, la couche de magma, appelée dyke, est restée sous terre au cours des semaines qui ont suivi. L'activité sismique et la variation de forme du sol ont permis aux scientifiques de suivre grossièrement ses mouvements. Ils ont capturé ses oscillations entre le nord-est et le sud-ouest de la péninsule, un phénomène qui a provoqué des fissures en surface.
« Je l'ai surnommé "le dyke hésitant" parce qu'il semblait ne pas savoir quoi faire, » plaisante McGarvie. Il paraissait chercher, en vain, un endroit où percer la surface.
Ces dernières semaines, l'activité sismique de la région a diminué. La plupart des dykes se refroidissent et se solidifient avant d'avoir une chance d'entrer en éruption. Face à cette évolution, les scientifiques ont alors pensé qu'il n'y aurait pas d'éruption.
Cependant, en Islande la partie supérieure de la croûte est particulière, avec une certaine élasticité, plus proche du caramel que du bonbon à sucer. Dans cette région, la croûte peut s'étirer légèrement de façon à laisser de la place au magma, ce qui a permis au dyke d'infiltrer la roche superficielle sans provoquer de violentes fractures et en produisant tout de même ces signaux acoustiques caractéristiques.
Cette discrétion est typique des éruptions qui se produisent le long de fissures, comme celles de la péninsule. Des scientifiques en Islande « venaient tout juste d'arriver sur le terrain et tout à coup, le sol s'est ouvert, » raconte Ágústsdóttir. Il semblerait qu'au lieu d'être le signe d'une accalmie à venir, la décroissance de l'activité sismique dans la région serait en fait annonciateur d'une éruption.
UNE ÉRUPTION ATTENDUE
Le 19 mars, l'Office météorologique islandais a détecté plusieurs séismes basse fréquence probablement causés par la remontée du magma vers la surface, mais ces événements étaient très furtifs, précise Ágústsdóttir. Sans moyen de savoir où et quand l'éruption se produirait, les autorités locales ont continué à recommander aux habitants de se tenir à l'écart des zones criblées de fissures.
Ce soir-là, la lave a commencé à jaillir à proximité du mont Fagradalsfjall, à l'intérieur de Geldingadalur, une dépression naturelle dont le nom signifie vallée des Eunuques, peut-être en référence aux premiers habitants de la région qui avaient pour habitude de castrer les animaux. Faute d'avoir trouvé une échappatoire au nord-est et au sud-ouest, le dyke aurait apparemment « émergé au milieu, car les deux directions étaient, semble-t-il, bouchées, » explique Tobias Dürig, volcanologue à l'université d'Islande.
Une webcam installée sur une crête voisine a été la première à apercevoir la lave. Un hélicoptère de la garde côtière a ensuite été dépêché sur le site et le pilote n'a pas mis longtemps à repérer la lave projetée en sifflant vers le ciel.
Dans un premier temps, la lave s'est écoulée d'une fissure sinueuse longue de 500 m puis au fil du week-end, l'éruption s'est concentrée en un seul point où s'est formé un imposant cône de roche fraîchement solidifiée. Des rivières de lave lisse se sont ensuite déversées autour de cette lave plus dense. Le flux soutenu de lave a provoqué quelques effondrements partiels du cône à mesure que la roche fondue enflammait les alentours.
Avec une longueur de 6 km, le dyke de magma est relativement petit et l'éruption se limite à une vallée entourée d'autres vallées, ce qui devrait empêcher la lave d'échapper à la zone et de menacer les centres de population. L'éruption dégage tout de même du dioxyde soufre, un gaz volcanique courant qui même en petites quantités peut irriter les poumons des personnes souffrant de maladies respiratoires comme l'asthme. Néanmoins, à ce stade le vent éloigne les gaz volcaniques des zones peuplées.
L'une des préoccupations des scientifiques est l'apparition soudaine et inattendue d'une nouvelle fissure à proximité de celle qui existe déjà, un véritable piège pour quiconque se trouverait dans la zone. « C'est une possibilité, ça pourrait aller vite et il vaudrait mieux ne pas y être, » indique Dürig.
FACE À L'ENFER
Quoi qu'il en soit, les scientifiques restent convaincus dans l'ensemble que cette éruption ne présentera pas de danger particulier. Grâce à un accès facile à la zone, les chercheurs ont pu déployer l'intégralité de leur boîte à outils afin d'étudier l'éruption qu'ils considèrent comme une chance inouïe de comprendre la tectonique et le volcanisme si particuliers de la région.
Certains ont prélevé de la lave et se sont empressés de l'expédier à un laboratoire dans l'espoir de lever le voile sur la composition chimique spécifique de ce matériau. Dürig a effectué plusieurs survols de l'éruption en utilisant des radars pour déterminer l'épaisseur des coulées de lave et ainsi estimer le volume de lave déversé.
La volcanologue de l'université de Leeds Evgenia Ilyinskaya s'est rendue sur le site de l'éruption ce week-end avec un sac à dos rempli d'instruments visant à analyser les substances qui émergent de la faille.
« S'approcher d'une éruption, c'est un moment très particulier, » déclare Ilyinskaya. Au début de l'éruption, elle a été accueillie par la cacophonie d'explosions et de sifflements qui se déroulaient juste sous ses pieds. « Ça vous prend aux tripes, » témoigne-t-elle. « C'est quelque chose de très puissant. On se sent tout petit et totalement insignifiant. »
Bravant les recommandations des autorités, plusieurs milliers d'habitants de la péninsule se sont rassemblés autour de l'éruption en faisant des crêtes leur amphithéâtre. Après avoir admiré trop longtemps le spectacle, une poignée d'entre eux se sont perdus en cherchant leurs voitures dans la nuit. Un autre spectateur a été surpris alors qu'il tentait de cuire des œufs et du bacon sur la lave, sans grand succès comme l'on pourrait s'y attendre.
À l'heure où les volcanologues saisissent l'opportunité d'étudier le phénomène, les archéologues s'empressent d'évaluer la menace de la lave pour des sites d'importance majeure. En s'appuyant sur des récits historiques, les experts pensent qu'un site funéraire vieux de plus d'un millénaire et appartenant peut-être à une figure notable pourrait être directement situé sur le chemin de l'éruption. D'après les médias locaux, l'archéologue Oddgeir Isaksen de l'Agence du patrimoine culturel de l'Islande se serait précipité sur les lieux à bord d'un hélicoptère peu de temps après le début de l'éruption, mais il n'a pas été en mesure de localiser des traces du site funéraire avant que la lave ne recouvre la zone.
UN SIÈCLE D'ACTIVITÉ ?
L'éruption va probablement s'essouffler dans les jours ou semaines à venir et les séismes les plus intenses qui empêchaient les locaux de trouver le sommeil devraient également disparaître pour un temps. « Une éruption, même petite, évacue la pression, » indique Ágústsdóttir.
Cependant, certains indices laissent penser que le spectacle pyrotechnique est loin d'être terminé. « La libération d'énergie sismique pour cette petite éruption est disproportionnellement élevée, » souligne McGarvie. Les mouvements tectoniques à travers la péninsule ont pu être importants et d'autres poches de magma pourraient donc se frayer un chemin jusqu'en surface.
D'après l'histoire géologique de la région et les études menées sur des éruptions similaires en Islande, la possibilité d'une nouvelle éruption émanant d'une fissure différente sur la péninsule de Reykjanes est bien réelle, affirme Ilyinskaya. Cela pourrait toutefois mettre plusieurs jours, semaines, mois ou années à se manifester. Le volume de lave alors libéré pourrait être similaire à celui de l'actuelle éruption ou nettement plus important.
La probabilité de futures éruptions est renforcée par le fait que le type de secousses sismiques qui a mené à l'éruption de la semaine dernière s'est déjà produit par le passé, à trois reprises pour être précis au cours des derniers millénaires. D'après les récits historiques et les anciennes couches de roche volcanique, chaque fois que la région a connu une hausse significative de l'activité sismique, celle-ci a donné lieu à plusieurs décennies d'éruptions d'une fissure à l'autre à travers la péninsule.
L'éruption modeste et relativement sûre qui se produit à l'heure actuelle offre donc aux scientifiques et aux responsables des services d'urgence une occasion en or de se préparer aux potentiels déversements de lave à venir. « Si ce n'est que le début, » conclut Ágústsdóttir, « c'est un bon entraînement. »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.