Les bruits de bouche vous mettent hors de vous ? Vous êtes peut-être misophone

La misophonie, ce n’est pas être agacé par les bruits de bouche. C’est ne pas pouvoir les supporter. Les scientifiques dévoilent ce qui se cache derrière cette intense aversion.

De Katie Wright
Publication 6 mars 2025, 18:26 CET
Pour les personnes qui souffrent de misophonie, les bruits de la vie quotidienne, comme les bruits ...

Pour les personnes qui souffrent de misophonie, les bruits de la vie quotidienne, comme les bruits de bouche, peuvent déclencher une réponse de combat-fuite. Les scientifiques tentent de découvrir pourquoi.

PHOTOGRAPHIE DE Jennifer Tang

Tout le monde peut être agacé par certains bruits. On grince des dents à la rétroaction d’un micro, on peut râler contre l’ouvrier qui se sert de son marteau-piqueur juste sous notre fenêtre. Pour certaines personnes en revanche, les bruits les moins bruyants sont les plus horripilants.

Quand on souffre de misophonie, les petits bruits de quotidien, comme les bruits de bouche, les tapotements, les reniflements, ne sont pas simplement ennuyants, ils déclenchent une intense réponse de combat-fuite. Cette aversion, dont le nom signifie « la haine du bruit » en grec, implique le système nerveux et rend même le plus petit des bruits totalement insupportable. Selon les estimations des scientifiques, c’est entre 5 et 20 % des adultes qui sont concernés par cette hypersensibilité. Malgré cela, la misophonie reste très peu comprise.

« Lorsque j’étais plus jeune, le roucoulement répétitif des pigeons me mettait mal à l’aise », confie Jane Gregory, psychologue à l’Université d’Oxford et autrice du livre Sounds Like Misophonia, paru en anglais et non traduit en français, qui souffre elle-même de ce dégoût. « Ils nichaient sur le bord de la fenêtre, dans la chambre où je travaillais : je n’arrivais pas à me concentrer. Les clics des stylos me posaient également de gros problèmes à l’école, comme avec ces stylos quatre couleurs que les gens faisaient cliquer toutes les deux secondes. Ça me rendait folle. »

Même si les psychologues ne reconnaissent pas officiellement la misophonie, les professionnels de santé y sont de plus en plus sensibilisés. En octobre 2024, le Misophonia Research Fund (le fonds de recherche de la misophonie) a annoncé investir dans des projets à hauteur de 2,5 millions de dollars américains (soit 2,3 millions d'euros). « La misophonie est un état qui est longtemps resté incompris et pour lequel peu de travaux de recherche ont été entrepris. Cela a laissé beaucoup de personnes concernées sans réponse ou soutien », explique le directeur général du fonds de recherche, Lauren Harte-Hargrove.

Voici ce que les scientifiques entreprennent afin de découvrir pourquoi certains bruits déclenchent des réactions extrêmes, et ce qui peut être fait pour venir en aide aux personnes concernées.

 

PAR QUOI EST CAUSÉE LA MISOPHONIE ?

Les scientifiques travaillent toujours à découvrir les causes de la misophonie mais une théorie laisse penser que cette réaction provient de l’instinct qu’a notre cerveau de détecter des menaces cachées. Par exemple, durant l’ère où nous étions encore des chasseurs-cueilleurs, entendre le moindre petit bruit était une question de vie ou de mort, explique la psychologue et chercheuse Jennifer Brout, à l’origine du Misophonia Research Network (le réseau de recherche sur la misophonie) qui fait dorénavant partie de l’organisation de défense soQuiet.

« Si vous entendiez une personne mâcher, alors que d’autres ne le remarquaient pas, cela pouvait vouloir dire que quelqu’un avait volé votre nourriture ou qu’un prédateur rôdait et que vous pouviez être le prochain sur son menu », continue la chercheuse.

Elle ajoute que « d’un point de vue de psychologie évolutionniste, le fait de tousser, d’éternuer, de renifler et de se râcler la gorge [peut indiquer la présence de] pathogènes ».

De nos jours cependant, cette connexion neurologique peut rendre insupportables des bruits insignifiants. « C’est comme si votre cerveau n’interprétait pas correctement ces bruits et les considérait comme toxiques, dangereux et, ainsi, il retient votre attention. Vous ne pouvez pas les reléguer au second plan comme d’autres personnes le peuvent ».

Au-delà de ses origines évolutives, la misophonie semble avoir une relation complexe avec d’autres maux. Les résultats d’une étude de 2022 ont révélé que la misophonie survient en même temps qu’un large panel d’autres pathologies, comme la dépression, l’anxiété, l’autisme, les troubles de l’attention et les troubles obsessionnels-compulsifs. Il reste cependant à déterminer si la misophonie est un symptôme de ces conditions, une pathologie distincte ou un entre-deux.

Certains cas surviennent des suites d’un événement traumatique, ce qui pousse à se demander si les facteurs environnementaux peuvent déclencher la misophonie. Dans le même ordre d’idée, les cas de misophonie au sein d’une même famille laissent penser qu’un composant génétique pourrait être impliqué, bien qu’aucun gène n’ait été identifié.

 

LES DIAGNOSTICS ET TRAITEMENTS DE LA MISOPHONIE

Il n’existe pas de test standard pour déceler la misophonie. Les docteurs utilisent néanmoins des outils pour en mesurer la gravité. L’un des plus communs, le questionnaire de Duke (DMQ, Duke misophonia questionnaire), vise à déterminer si la sensibilité sonore d’une personne est grave au point d’interférer avec sa vie au quotidien, affectant le travail, le cursus scolaire, l’estime de soi ou encore les relations sociales.

« La plupart des personnes expliquent avoir vécu leur première expérience de misophonie entre huit et douze ans », explique Jennifer Brout, c’est la raison pour laquelle l’échelle appelée Amsterdam Misophonia Scale a été développée pour mesurer la misophonie chez l’enfant.

Bien que les professionnels reconnaissent de plus en plus cette intense aversion, elle est aux abonnés absents du DSM-5, le plus grand manuel de diagnostic des pathologies psychiatriques. Les chercheurs espèrent l’y voir un jour mentionnée, mais leur but immédiat reste d'obtenir un code CIM (classification internationale des maladies) afin que son traitement puisse être remboursé par les organismes privés de mutuelle de santé.

« C’est extrêmement important car c’est un premier pas vers une plus grande reconnaissance de la misophonie », insiste Lauren Harte-Hargrove. « [Les personnes] pourront vraiment aller consulter un spécialiste et ce sera couvert par leur mutuelle de santé. »

Puisqu’il n’existe aucun remède à la misophonie, les traitements se concentrent principalement sur la gestion des symptômes. La plupart des patients ont recours à des casques à réduction de bruit ou à des bruits blancs afin de bloquer leurs déclencheurs. Cependant, des approches psychologiques peuvent également être bénéfiques.

La thérapie cognitivo-comportementale (TCC) est l’intervention la plus courante. Il s’agit d’une thérapie par la parole qui entraîne le cerveau à repenser sa réponse aux bruits qui déclenchent une réaction.

« Le principe, c’est de reprendre le contrôle des bruits et d’interagir avec eux de différentes manières afin d’aider le cerveau à apprendre et découvrir que ses bruits sont certes agaçants mais pas dangereux », explique Jane Gregory.

Contrairement à la désensibilisation, qui force les personnes à confronter leurs peurs, la TCC pour aider à traiter la misophonie est adaptée au seuil de tolérance du patient. « C’est également pensé de manière à minimiser l’autoflagellation, tout particulièrement pour les personnes qui se disent qu’elles sont, au fond, des personnes colériques qui ne devraient pas se sentir ainsi ou qui pensent que tout le monde fait exprès de faire un bruit, signifiant qu’ils n’en ont rien à faire d’eux. Il faut changer ce discours », ajoute la psychologue.

Les recherches sur la TCC sont prometteuses, avec des études menées aux Pays-Bas et aux États-Unis, qui montrent que cette thérapie aide à une réduction significative des symptômes pour environ un tiers des patients. Les scientifiques sont également en train de tester de nouvelles possibilités de traitement, comme des techniques de stimulation du cerveau, qui sont utilisées dans le traitement d’autres pathologies neurologiques.

« Nous espérons avoir bientôt des traitements plus efficaces et en plus grand nombre pour aider les personnes atteintes de misophonie », conclut Lauren Harte-Hargrove.

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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