Les futurs vaccins contre la COVID-19 pourraient se passer de la chaîne du froid

La nécessité de stocker les vaccins dans des congélateurs spéciaux limite leur disponibilité, mais on entrevoit déjà des solutions prometteuses.

De Maya Wei-Haas
Publication 10 mai 2021, 18:23 CEST
mRNA vaccine

Un employé de Bexen Medical ouvre l'un des supercongélateurs d'une chambre froide sur le site de Hernani, au Pays basque espagnol.

PHOTOGRAPHIE DE Ander Gillenea, AFP via Getty Images

L'acte n'avait rien de volontaire : alors qu'il assurait le nettoyage de l'hôpital Veterans Affairs de Boston en janvier dernier, un sous-traitant a débranché par mégarde le câble d'un congélateur. Cette simple erreur a mené à la perte des près de 2 000 doses du vaccin Moderna entreposées dans le congélateur privé d'électricité. Bien que la perte soit anecdotique à l'échelle de la vaccination mondiale, elle reste emblématique d'un problème plus général pour de nombreux vaccins contre la COVID-19 : leur stockage à des températures bien au-dessous de zéro.

Deux des principaux vaccins actuellement autorisés aux en Europe, ceux de Moderna et de Pfizer/BioNTech, reposent sur la chaîne du froid, c'est-à-dire une série de solutions de transport et de stockage à température contrôlée, pour acheminer les vaccins des fabricants aux centres de vaccination. De telles exigences de température constituent un obstacle à la distribution équitable des vaccins, elles augmentent le coût et la complexité du transport tout en privant d'accès les communautés isolées dont les systèmes d'électricité et de réfrigération manquent de fiabilité.

Si les vaccins nécessitent de telles conditions de stockage, c'est parce que leur principal ingrédient, l'ARN messager (ARNm), est extrêmement fragile et les basses températures permettent de ralentir les réactions chimiques risquant de l'endommager. C'est pourquoi des chercheurs s'efforcent actuellement de trouver des solutions qui nous libéreraient de ce fardeau glacé, allant de la modification de la structure de l'ARNm à l'expédition des vaccins sous forme solide grâce à une protection en sucre.

De telles initiatives sont cruciales, non seulement pour endiguer l'actuelle pandémie, mais aussi parce que les chercheurs voient dans les vaccins à ARNm un remède potentiel pour soigner d'autres maladies, car ils peuvent être facilement adaptés à de nouveaux variants ou virus.

« Tous ces progrès seront très importants dans les années à venir, » déclare Rein Verbeke, pharmacologue spécialiste des vaccins à ARNm à l'université de Gand en Belgique.

 

DES MOLÉCULES AUTODESTRUCTRICES

La nécessité du stockage à froid provient du fonctionnement même de ces vaccins, l'ARN messager. Ces brins de code génétique intégrés aux vaccins contre la COVID-19 transportent des instructions utilisées par les cellules humaines pour fabriquer la protéine Spike (S) caractéristique du SARS-CoV-2. Cette imitation de la protéine permet au système immunitaire de se familiariser avec le virus afin de le reconnaître en cas d'invasion réelle.

L'ARN messager s'apparente à un brin unique d'ADN, mais sa structure est porteuse d'une différence cruciale : un groupe chimique supplémentaire composé d'hydrogène et d'oxygène, appelé hydroxyle.

En cas de mauvais positionnement du brin d'ARN, ce groupe hydroxyle peut interagir avec une autre partie de la structure et déclencher une réaction capable de sectionner la chaîne génétique, explique Hannah Wayment-Steele, doctorante à l'université de Stanford spécialisée dans la structure de l'ARN.

« Le message se retrouve tronqué, » ajoute-t-elle. Et ces messages écourtés ne peuvent pas façonner une protéine complète. « Une simple coupure dans le brin d'ARNm peut suffire à lui faire perdre sa fonction, » indique Verbeke, le pharmacologue.

Afin d'entraver cette dégradation, les compagnies pharmaceutiques ont opté pour le stockage à basse température. Plus la température est faible, plus les molécules se déplacent lentement et moins il y a de risques de provoquer des réactions néfastes, explique Verbeke. Le vaccin de Pfizer/BioNtech doit être expédié à des températures inférieures à -80 °C. Il peut être stocké jusqu'à deux semaines dans un congélateur standard, cinq jours dans un réfrigérateur et seulement six heures à température ambiante. Le vaccin de Moderna est légèrement moins exigeant. Il reste stable jusqu'à six mois dans un congélateur standard, trente jours dans un réfrigérateur et douze heures à température ambiante.

Un autre ingrédient majeur des vaccins vient lui aussi compliquer leur stockage : les lipides. Les vaccins de Pfizer/BioNTech et Moderna sont tous deux enveloppés dans des capsules de graisse appelées nanoparticules lipidiques. Ces capsules servent à transporter l'ARNm jusque dans les cellules où les mécanismes cellulaires peuvent alors prendre le relais et produire la protéine S encodée.

Les nanoparticules lipidiques assurent également la stabilité de l'ARNm en le protégeant des enzymes présentes en abondance au sein de notre organisme et dans l'environnement. Néanmoins, au fil du temps, les nanoparticules lipidiques peuvent elles aussi se dégrader ou s'agréger, et pour qu'un vaccin fonctionne la structure des lipides et de l'ARNm doivent être intactes lors de l'injection. « C'est difficile à réaliser, » témoigne Verbeke.

 

ORIGAMI GÉNÉTIQUE

Certaines formes naturelles d'ARN peuvent survivre plus de 12 heures au sein de notre organisme, indique Rhiju Das, biochimiste numéricien à l'université de Stanford. « Cela montre bien que l'ARN devrait être capable de résister plus longtemps qu'il ne le fait dans ces vaccins, » ajoute-t-il. Ces molécules d'ARN robustes ont un point commun : une structure élaborée qui comprime le brin et l'empêche de prendre une position dans laquelle il risquerait de se sectionner.

« Les industriels avaient essayé d'utiliser un tas d'autres techniques, » indique Das. Ils ont essayé de modifier les formules lipidiques, de jouer sur l'acidité des solutions. « Mais ils n'ont jamais résolu le problème, » dit-il. Néanmoins, les chercheurs n'ont pas encore exploré la voie offerte par ces structures de l'ARN aux repliements sophistiqués.

C'est une stratégie potentiellement utile pour le développement des vaccins car différentes séquences d'ARNm peuvent coder pour la même protéine et chacune se replie de façon différente. Ainsi, si les scientifiques peuvent identifier la séquence qui se replie dans la forme la plus stable, ils pourront produire un vaccin moins exigeant en termes de température de stockage et d'expédition.

Qu'est-ce qu'un virus ?

Cela dit, l'identification de l'origami génétique optimale constitue un réel défi. « On est face à un nombre astronomique de séquences possibles, » témoigne Wayment-Steele, ce qui mène à « des galaxies entières de structures possibles pour une molécule donnée. » Afin de réduire les possibilités, Wayment-Steele et ses collègues se sont tournés vers un jeu en ligne, baptisé Eterna, qui met la puissance des sciences participatives au service de l'ARN à travers des puzzles.

Das et son collègue Adrien Treuille de l'université de Carnegie Mellon ont mis au point ce jeu il y a environ dix ans alors qu'ils se heurtaient sans cesse à des problèmes que l'intelligence artificielle était bien incapable de résoudre. « C'est presque par désespoir que nous avons tenté ce type d'approche participative, » se souvient Das, également conseiller académique de Wayment-Steele. « Eterna a fini par résoudre les problèmes les plus épineux les uns après les autres. »

Les utilisateurs d'Eterna manipulent des unités du code génétique, les bases, puis le jeu prédit la forme repliée et estime sa stabilité. « Parfois, le simple fait de changer une base peut modifier la structure entière de l'ARNm, » indique Amy Barish, chimiste à la retraite et joueuse d'Eterna installée à Cumming, en Géorgie, aux États-Unis. Les scientifiques travaillent ensuite avec les joueurs pour développer l'intelligence artificielle en utilisant leurs structures comme modèles pour entraîner un ordinateur à identifier les formes d'ARN les plus stables.

Grâce à leur travail avec les joueurs d'Eterna, l'équipe de chercheurs a identifié une série de séquences d'ARNm codant pour la protéine Spike des variants B.1.351, P.1 et B.1.1.7 du SARS-CoV-2, respectivement identifiés en Afrique du Sud, au Brésil et au Royaume-Uni, qui seraient deux fois plus stables que les séquences obtenues par les méthodes conventionnelles. Ces séquences ont été mises gratuitement à la disposition des fabricants de vaccins, précise Das.

« C'est vraiment génial de pouvoir travailler sur ce jeu aussi amusant et complexe tout en se donnant la possibilité d'aider le monde, » déclare Barish, qui a travaillé sur certains puzzles de la protéine Spike.

Bien entendu, de plus amples recherches seront nécessaires avant de pouvoir injecter ces ARNm « super-replieurs » dans le bras des patients. Certains craignent notamment que leur structure n'empêche les mécanismes cellulaires, appelés ribosomes, de lire et de traduire les instructions de l'ARNm aux protéines, explique Maria Barna, généticienne à l'université de Stanford. Elle a collaboré avec le laboratoire de Das pour tester la traduction des super-replieurs porteurs d'ARNm codant pour des protéines faciles à analyser, notamment la protéine fluorescente verte (GFP, pour Green Fluorescent Protein). Ils ont été à la fois ravis et surpris de découvrir non seulement que les ribosomes pouvaient lire les structures des super-replieurs pour produire un grand nombre de protéines, mais aussi que les super-replieurs généraient une plus grande quantité de protéines que les structures d'ARN moins stables.

« Ces ARNm super-replieurs ne sont pas qu'un rêve, ils fonctionnent réellement et ils fonctionnent très bien, au-delà de nos espérances, » témoigne Barna.

Quant à savoir comment cela se traduira en termes de stabilité pour les vaccins contre la COVID-19, des incertitudes subsistent, mais Barna indique espérer produire des vaccins pouvant être stockés à température ambiante pendant plusieurs semaines, voire plus. L'équipe collabore actuellement avec un laboratoire pharmaceutique pour tester les structures de la protéine Spike des super-replieurs en situation réelle.

 

LYOPHILISATION 

Une alternative pour stabiliser les vaccins serait de les lyophiliser afin de pouvoir les stocker à température ambiante sous forme solide. Cependant, extraire l'eau tout en gardant intacte la structure de l'ARN n'est pas une mince affaire. En gelant, la cristallisation de la glace pourrait broyer la molécule et entraîner un effondrement de la structure suite aux mouvements de l'eau.

Il est possible d'éviter ces dégâts en ajoutant du sucre. L'ingénieur chimiste de l'université McMaster, Carlos Filipe, et ses collègues ont testé différentes recettes pour assécher les vaccins et leur formule actuelle repose sur deux types de sucres : le tréhalose et le pullulane.

Le tréhalose permet de combler les vides créés dans la molécule par l'assèchement de l'eau, comme un échafaudage qui renforce la structure. Quant au pullulane, il encapsule la molécule pour éviter qu'elle se replie, ce qui empêche le sectionnement de la structure.

« C'est un peu comme Han Solo pris au piège de la carbonite, » illustre Filipe, en prenant la pose du personnage de Star Wars les bras levés et la bouche grande ouverte.

Avant la pandémie de COVID-19, l'équipe de chercheurs avait démontré l'efficacité de cet ajout de sucres pour lyophiliser les vaccins contre le virus de la grippe A et le virus Herpes simplex de type 2, en testant les vaccins ainsi reconstitués sur des souris. Avec son collègue Robert DeWitte, Filipe est le cofondateur de l'entreprise Elarex destinée à mettre cette technologie sur le marché. Ils travaillent actuellement à l'utilisation de ce mélange pour assécher l'ARNm encapsulé dans les nanoparticules lipidiques.

Différentes combinaisons de sucres pourraient fonctionner, indique Daan Crommelin, pharmacologue à l'université d'Utrecht, aux Pays-Bas. Néanmoins, même avec des sucres, la lyophilisation des vaccins risque de se heurter à certains obstacles. Tout d'abord, le processus pourrait augmenter le temps et les coûts de production, mais ces coûts seraient largement compensés par la suppression de la chaîne du froid, précise DeWitte, le PDG d'Elarex.

Quoi qu'il en soit, les pistes à explorer sont multiples, comme le dit Crommelin : « Plusieurs chemins mènent à Rome. » Il note cependant que ce vieil adage a dû être reformulé car dans la situation qui nous intéresse, tous les chemins ne se valent pas. Une combinaison d'efforts sera nécessaire pour assurer la distribution des vaccins contre la COVID-19 à toutes les populations, quelle que soit leur situation géographique.

 

VACCINS NOUVELLE GÉNÉRATION

Il semble donc que des versions plus stables des vaccins à ARNm contre la COVID-19 se profilent à l'horizon. Pfizer et BioNTech recrutent actuellement les participants à la phase 3 des essais cliniques pour une version lyophilisée de leur vaccin contre le SARS-CoV-2. Ils attendent des résultats pour la seconde moitié de l'année 2021, après quoi ils pourront soumettre leurs données aux agences de réglementation pour évaluation.

D'autres entreprises ont mis au point de nouvelles versions d'un vaccin à ARNm liquide contre la COVID-19 qui pourrait être stocké dans un réfrigérateur au lieu d'un congélateur. Cependant, peu de détails ont pour le moment été dévoilés sur les raisons de cette stabilité. Moderna a lancé la phase 1 des essais cliniques de sa nouvelle génération de vaccins qui seraient stables au réfrigérateur. Mais après plusieurs tentatives, l'entreprise n'a pas souhaité communiquer sur les techniques employées pour assurer la stabilité de la nouvelle formule.

La société allemande Curevac revendique également la stabilité de son vaccin dans un réfrigérateur pendant six mois et à température ambiante pendant 24 heures. À l'instar des autres vaccins sur le marché, celui de Curevac est encapsulé dans des nanoparticules lipidiques et doit être protégé pour qu'il ne se sectionne pas lui-même. « Nous pensons avoir accompli cela en enrobant étroitement l'ARNm des nanoparticules lipidiques, » a indiqué par e-mail à National Geographic le porte-parole de l'entreprise, Thorsten Schüller. « Selon notre théorie, plus l'ARNm est encapsulé de manière compacte, moins il y a de surface d'attaque. » Interrogée sur les détails du processus, l'entreprise a répondu : « il est difficile d'associer les différences de stabilité à un seul aspect. »

Quoi qu'il en soit, la diversité des possibilités est un signe encourageant pour les améliorations potentielles des vaccins à ARNm actuellement sur le marché. « C'était une prouesse incroyable, » relève Verbeke en parlant de la rapidité avec laquelle des vaccins sûrs et efficaces contre la COVID-19 ont pu être déployés. « Je suis sûr qu'il y a encore une marge de progression. »

 

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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