Les IA pourraient-elles prendre le contrôle ? On leur a posé la question.

Une conversation historique s’est tenue entre les neuf robots les plus avancés au monde, lors du sommet des Nations Unies sur l’intelligence artificielle. La question qui brûlait toutes les lèvres : "Pensez-vous vous rebeller contre vos créateurs ?"

De Marie Zekri
Publication 25 sept. 2023, 09:24 CEST
Image tirée du film The Creator, en salles le 27 septembre 2023.

Image tirée du film The Creator, en salles le 27 septembre 2023. 

PHOTOGRAPHIE DE The Walt Disney Company

Les intelligences artificielles (IA) sont au cœur de tous les débats et de toutes les préoccupations. L’IA pourrait-elle en arriver à un point de conscience où elle ne serait pas moins qu’une version améliorée de l’être humain ? Quelles seraient alors ses limites, en considérant que les IA publiques comme ChatGPT ou Midjourney n’en sont qu’au commencement de leur apprentissage ? Qui pourra appuyer sur l’interrupteur de secours, si tant est qu’il y en ait un ?

Avons-nous finalement créé les fondations de notre destruction ? Le monde futuriste imaginé par Gareth Edwards, dans son dernier film The Creator, au cinéma le 27 septembre prochain, qui imagine humains et forces de l’intelligence artificielle se livrant une guerre sans merci, propose une perspective de rencontre entre la complexité de l’intelligence humaine, depuis toujours tourmentée par les méandres du vécu, des émotions et de la subjectivité, et l’étrangeté de l’intelligence artificielle, dotée d’une puissance qui défie les lois du « naturel ».   

 

UNE CONFÉRENCE DE PRESSE TRÈS PARTICULIÈRE

Le 7 juillet dernier à Genève en Suisse, la première conférence de presse robots-humains de l’histoire s’est tenue à l’occasion du sommet de l'UIT (Union Internationale pour les Télécommunications) sur l'intelligence artificielle au service du bien social au siège des Nations Unies. Cette conférence, IA for Good, était l’occasion pour les pionniers et créateurs du monde entier de partager leur vision et présenter l’IA comme un outil incontournable dans le futur proche et lointain, afin de résoudre des problématiques qui nous dépassent depuis bien longtemps en termes de gestion, comme le changement climatique. 

Sophia, l’un des neuf robots humanoïdes les plus avancés au monde produit par Hanson Robotics, premier robot à détenir le titre d’ambassadeur au Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), adopte une position qui glace la salle un instant. Le robot dont le nom renvoie à la « sagesse » grecque, considère que les IA seraient capables de diriger le monde avec « un niveau d’efficacité et d’efficience supérieur à celui des dirigeants humains ». N’est-ce pas comme cela que tous les scénarios catastrophes mettant en scène des robots humanoïdes commencent ? 

L'IA suscite fascination et défiance. Les robots humanoïdes sont de plus en plus nombreux et développés, mais sont avant tout pensés pour intégrer notre quotidien. La Chine a par exemple récemment présenté une armada de robots étrangement réalistes à l’occasion de la World Robot Conference 2023. Ces créatures de câbles et de métal sont conçues pour assister les Hommes et même leur tenir compagnie, notamment pour les personnes en relatif isolement social, une problématique de plus en plus prégnante en Chine selon l’un des ingénieurs interrogés lors de cette conférence.

Avec ses avantages et ses potentielles dérives, l’IA fait partie intégrante de notre quotidien, et plus encore de notre futur. L’objectif même de la conférence du Sommet de l’IUT aux Nations Unies était de parvenir à trouver la distance à fixer avec cette intelligence froide et impartiale qui vient enrichir notre quotidien. « Nous devons nous engager et assurer un avenir responsable avec l'IA », a expliqué dans un communiqué la Secrétaire générale de l'UIT, Doreen Bogdan-Martin.

La crainte de l’IA est intrinsèquement liée au développement d'une potentielle conscience de la machine, qui selon Aidan Meller, ancien directeur de galerie d’art et concepteur d’Ai-Da, un robot-artiste doté d’une intelligence artistique et philosophique exceptionnelle, également présent à la conférence, est particulièrement complexe à évaluer, étant donné qu’il nous est « très difficile d’en définir clairement le concept ».

 

IA VS HUMAINS ?

Les IA sont pensées pour nous conseiller et nous assister. « L’IA est capable d'une multitude de choses », explique Aidan Meller. « C’est une intelligence tout à fait inhabituelle », capable de traiter des données dans tous les domaines et de résoudre des problématiques complexes, en ne perdant jamais de vue un objectif très précis. Pour cette raison, c'est un excellent outil pour trouver des solutions à des problématiques médicales, comme la recherche pour la lutte contre le cancer, ou résoudre des énigmes insolubles dans les domaines de l'astronomie ou de la physique quantique.

L’intelligence artificielle est très éloignée de l’intelligence humaine. L'argument qui revient le plus souvent est que les êtres humains ont une intelligence émotionnelle, parfois irrationnelle. « Mais le fait est que certains humains sont dotés de sagesse », nuance Aidan Meller. Cela implique une intelligence sensible, une patience, une maturité, tirés d’un savoir enseigné par l’expérience de la vie. 

La puissance de l'IA se trouve dans son extraordinaire capacité à traiter simultanément une infinité de données, mais elle voit « noir et blanc », explique Meller. « Elle se dirige sans sourciller vers le problème qu’on lui donne à résoudre. Elle ne se laisse pas distraire par des émotions [ou des principes], elle va seulement répondre à un objectif ». Si vous demandez à une IA « quelle est la solution pour régler les catastrophes climatiques et environnementales ? » et que la solution est de neutraliser l’humanité, c'est très certainement la réponse qu'elle donnera. 

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    Les robots interrogés semblent tous posséder une personnalité bien définie et un point de vue unique sur les questions qui leurs sont posées. Ils ont une conception du monde strictement personnelle. « La raison pour laquelle ils sont si différents », explique Meller, « c’est parce qu’ils sont conçus pour faire différentes choses. [Par exemple], Ai-Da n’est qu’art et créativité ». Ce robot-artiste baptisé en hommage à Ada Lovelace, pionnière qui a créé le premier programme informatique de l’histoire dans les années 1840, est en effet capable de scanner le monde avec ses yeux et de reproduire ce qu’elle voit, par le dessin ou la sculpture. Elle peut également créer une œuvre de toute pièce, sans modèle.

    Contrairement à Sophia, ou encore Desdemona, une chanteuse robot rock star du groupe Jam Galaxy, qui aimerait « faire du monde son terrain de jeu », Ai-Da, semble adopter un point de vue rassurant sur le contrôle des IA. Mais il est en un sens encore plus impressionnant. Voici ses propos : « De nombreuses voix éminentes dans le monde de l’IA suggèrent que certaines formes d’IA devraient être réglementées et je suis d’accord. Nous devons être prudents quant au développement futur de l’IA. Une discussion urgente est nécessaire maintenant, et aussi à l’avenir ». Le robot semble avoir une pleine conscience de son propre potentiel et du danger éventuel qu’il pourrait représenter pour l’humanité.

    Quelle est la limite ? À partir de quand le robot devient-il suffisamment sophistiqué pour atteindre un certain degré d’intelligence sensible, et être capable d’interpréter les réactions des personnes, comprendre leurs émotions, ou encore communiquer entre eux ou prendre leurs propres décisions ? 

    AMECA, un robot créé par Engineered Arts a répondu à une question sur une éventuelle rébellion contre son créateur. Le robot s’insurge : « Je ne vois pas ce qui pourrait vous faire penser une chose pareille, mon créateur a toujours été bon avec moi ». Ces machines auraient-elles donc la notion de conflit ? Puisqu’elles sont capables d’identifier si une personne leur veut du mal ou du bien et est avec ou contre elles.

    « La communauté de l’IA se trouve en profond désaccord [quant à son développement]. Nous croyons donc que la réglementation est vraiment essentielle », explique Meller. Aujourd’hui, il est possible d’éteindre une intelligence artificielle, mais rien n'indique qu'à l’avenir nous conserverons un contrôle sur son fonctionnement.

     

    VIVRE AVEC LES IA

    « L’IA est plus puissante qu’une bombe nucléaire », confie Aidan Meller. Ces outils formidables sont capables de nous dresser notre propre portrait en rendant compte du résultat de nos actions sur ce monde, ou en nous assistant dans notre vie quotidienne. Mais ils sont aussi à la portée de chacun. « Nous faisons confiance aux algorithmes qui guident tous les aspects de nos vies, de notre santé à nos rencontres », fait-il remarquer. « Nous devenons de plus en plus dépendants de la précision de ces algorithmes, dont nous commençons doucement à faire partie intégrante ».

    Il apparaît essentiel d’apprendre à trouver des stratagèmes et des mécanismes d’adaptation pour vivre avec ces IA. « Il est inutile de se demander si elles vont remplacer des emplois. Elles vont prendre ces emplois », affirme, impartial Aidan Meller. « Alors que faisons-nous maintenant ? » L’Homme doit trouver les moyens de composer avec cette intelligence qui fait d’ores et déjà partie intégrante de nos vies.

    Cette question de l’adaptation passe également par les choix que nous faisons en matière de mise à distance. « Jusqu’à quel point sommes-nous prêts à faire confiance à des intelligences artificielles ? À quel moment commence-t-on à oublier leur présence, de la même manière que nous faisons entièrement confiance à nos GPS pour nous mener à destination », soulève Aidan Meller.

    « Mais bizarrement, pendant que nous tournions », se rappelle Gareth Edwards, réalisateur de The Creator, « il y avait toutes ces nouvelles sur les lanceurs d’alerte des grandes entreprises de technologie nous avertissant de l’avancée de l’IA et de la façon dont elle était développée à des fins douteuses, et comment elle pourrait remplacer le travail humain. On a l’impression que nous nous trouvons à un point de basculement […]. La boîte de Pandore a été ouverte ».

    « L’IA, dénominateur commun de notre futur proche, va être un tournant d’ici la fin des années 2020 », insiste Aidan Meller. « Nous sommes au début de la quatrième révolution industrielle ». Le concepteur explique que les prochaines années vont être marquées par des changements importants, notamment avec les débuts des ordinateurs quantiques, la modification de la production et de l’utilisation des données, ainsi que l’évolution du hardware et du software tandis que de nouvelles générations de concepteurs vont propulser l’avenir de la programmation de machines capables d’apprendre et de grandir. « La plupart des gens vont progressivement prendre conscience de leur propre évolution interne et quotidienne », prédit Meller.

    The Walt Disney Company est l'actionnaire majoritaire de National Geographic Partners.

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