Les infections sexuellement transmissibles seraient en nette hausse depuis le début de la pandémie
Les experts tirent la sonnette d’alarme : les diagnostics de chlamydiae, de gonorrhée et de syphilis semblent se multiplier. En cause, le report de tests de routine à la suite des pénuries d’effectifs et de matériel médical.
Photo colorisée de la bactérie Neisseria gonorrheae, responsable de la gonorrhée, prise au microscope électronique.
Pendant le plus clair de l’année 2020, les confinements successifs et la peur d’attraper le Covid-19 nous ont semble-t-il éloignés des bras de nos partenaires inconnus. Mais, contre toute attente, les spécialistes de la santé alertent sur une recrudescence probable (et inquiétante) de cas d’infections sexuellement transmissibles (IST). En France, les infections sexuellement transmissibles auraient augmenté de 30 % en 2020 et 2021.
Leur inquiétude principale réside dans le fait que depuis deux ans la pandémie freine le dépistage de maladies comme les chlamydiae, la gonorrhée et la syphilis. Le dépistage est crucial pour maîtriser la propagation de ces infections, notamment parce que les chlamydiae et la gonorrhée peuvent être initialement asymptomatiques.
On est encore en train de recenser le nombre de cas d’infections sexuellement transmissibles pour l’année 2021 mais il y a de quoi s’inquiéter : les premiers rapports montrent une recrudescence des cas de gonorrhée. Même constat aux Etats-Unis, où les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC) indiquent qu’il y a eu davantage de cas de syphilis congénitale en 2020 qu’en 2019.
Des travaux menés en mai 2020 par Casey Pinto, maître de conférence en santé publique à l’Université d’État de Pennsylvanie, montrent une corrélation entre la hausse des cas de Covid-19 aux États-Unis et la chute spectaculaire du nombre de dépistages d’IST. Par exemple, en avril 2020 à New York, le taux de tests positifs au Covid-19 était de plus de 25 % tandis que le nombre de tests de dépistage des IST avait chuté de plus de 75 %.
En plus de cela, dans la cohue généralisée de la pandémie, de nombreuses cliniques du pays ont donné la priorité aux patients symptomatiques. « C’était vraiment éprouvant de prendre cette décision », soupire Julie Dombrowski, maître de conférence en médecine et en épidémiologie à l’Université de Washington et directrice adjointe des programmes de lutte contre le VIH et les MST du comté de King. Si elles ne sont pas traitées, les maladies sexuellement transmissibles peuvent avoir des conséquences terribles (infertilité, cécité, décès...). Les CDC rappellent que certaines infections non soignées peuvent aggraver le risque d’infection au VIH. En effet, certaines plaies qui suppurent et certaines inflammations favorisent l’entrée du virus dans le corps.
En faisant le tri dans leurs données, beaucoup de professionnels de santé constatent une augmentation des IST. « Nous observons plus de positifs que d’ordinaire », commente Barbara Van Der Pol, maître de conférence en médecine et en santé publique à l’Université d’Alabama à Birmingham et directrice d’un laboratoire de dépistage.
Il est particulièrement inquiétant de ne pas connaître le nombre exact de cas, car cela peut contribuer à la propagation involontaire des infections. La gonorrhée est asymptomatique chez la plupart des femmes. L’infection aux chlamydiae, qui est la MST bactérienne la plus fréquente, est asymptomatique chez 50 % des hommes et chez 80 % des femmes. Ces deux infections se caractérisent bien souvent par une sensation de brûlure lors de la miction, mais sans dépistage digne de ce nom, on a tôt fait de les prendre pour des infections urinaires, selon Casey Pinto.
« Chaque cas manqué, chaque personne asymptomatique est une personne qui pense qu’elle n’est pas infectée et qui est prête à continuer à prendre autant de risques qu’avant », explique-t-elle.
CHUTE DU NOMBRE DE DIAGNOSTICS POSITIFS
Au cours des premiers mois de la pandémie, de nombreuses cliniques dépistant systématiquement les IST/MST ont fermé et leurs effectifs ont été réaffectés au dépistage du coronavirus et à la recherche des cas contacts. En mai 2020, la Coalition nationale des responsables du dépistage des MST (organisme de santé publique américain) signalait que 83 % des programmes de lutte contre les MST aux États-Unis différaient leurs services et que 66 % d’entre eux testaient moins. En août 2020, l’organisme révélait qu’un programme sur cinq était « complètement interrompu ».
D’après Julie Dombrowksi, le personnel des programmes de lutte contre le VIH et les IST a été réaffecté sur des interventions liées au Covid-19. Donc, à l’instar de nombreux services de santé et de cliniques du pays, ils ont « immédiatement donné la priorité aux patients montrant des symptômes ou à ceux qui avaient besoin d’un traitement post-exposition », précise-t-elle. Peu après, ils ont arrêté complètement le dépistage des patients asymptomatiques. En avril 2019, sa clinique de santé sexuelle a accueilli 990 patients ; et seulement 399 l’année suivante.
Amanda Cary, infirmière et cheffe du service de santé sexuelle de la clinique Whitman-Walker de Washington D.C., avait l’habitude de salles d’attente remplies de personnes voulant faire un test de routine ou d’urgence, même sans rendez-vous. Mais en pleine pandémie, le centre a arrêté de recevoir des patients sans rendez-vous. Selon les données de la clinique, le centre a enregistré une baisse cumulée de 43 % des cas de chlamydiae, de gonorrhée et de syphilis en 2020 par rapport à l’année 2019.
Et c’était sans compter sur une autre difficulté : la pénurie de tests. En sondant les services de santé en avril 2020, les CDC se sont aperçu que 51 % d’entre eux manquaient de tests pour les chlamydiae et la gonorrhée. Une enquête complémentaire révèle qu’en janvier 2021, 38 % d’entre eux manquent encore de tests.
Les tests de dépistage du Covid-19 fonctionnent en grande partie avec les mêmes matériaux que ceux pour les IST, précise Barbara Van Der Pol. « Les écouvillons que nous donnons aux femmes pour qu’elles prélèvent leurs propres échantillons sont exactement les mêmes que ceux dont on se sert pour les tests nasaux [de dépistage du Covid-19] », indique-t-elle.
Les laboratoires qui analysent les tests ont également orienté leurs efforts vers le Covid-19 et remplacé les dépistages de routine des IST par des tests PCR et antigéniques. Chaque année, le laboratoire de Barbara Van Der Pol réalise environ 20 000 tests de dépistage des IST. Mais en 2020, « mon laboratoire a doublé son volume de travail et nous n’avons réalisé aucun dépistage d’IST », s’alarme-t-elle.
POURQUOI LES EXPERTS SONT-ILS INQUIETS ?
Aujourd’hui, les cliniques et les laboratoires reviennent doucement à leur rythme pré-pandémique en matière de dépistage. La plupart ont repris les dépistages de routine et certains accueillent même de nouveau des patients sans rendez-vous. Les cliniques et les laboratoires dont il est question dans cet article indiquent fonctionner entre 70 et 80 % de leur capacité habituelle. Leur rythme quotidien est tout sauf normal. Selon Barbara Van Der Pol, il est encore difficile d’obtenir des fournitures de laboratoires élémentaires comme de la javel et des gants.
Cependant, nombreux sont les experts qui craignent que le mal n’ait déjà été fait. D’après l’étude de Casey Pinto, plus de 150 000 cas d’IST sont probablement passés sous le radar lors du seul mois de juillet 2020.
En 2019, la clinique Whitman-Walker observait un taux stable de 11,7 % de tests positifs aux chlamydiae et à la gonorrhée. Mais en novembre 2021, ce taux était déjà remonté à 11,2 %. Ce chiffre est d’ailleurs probablement en-deçà de la réalité, car la clinique n’est qu’à 80 % de ses capacités de dépistage. Ces données sont encore plus inquiétantes concernant la syphilis. Le taux de positivité est passé de 14,2 % en 2019 à 16,5 % en 2020.
Selon Nicole Cunningham, épidémiologiste en chef du Centre LGBT de Los Angeles, après une baisse initiale des cas pour chacune des IST qui y sont dépistées, le centre constate aujourd’hui une recrudescence à tous les niveaux. En juin 2021, le centre avait retrouvé son rythme de dépistage de 2019. Et entre juin et octobre, le nombre cumulé de cas de gonorrhée a augmenté de 23,8 % par rapport à la même période cette année-là.
Mais à cause des conséquences de la pandémie, les vraies augmentations sont difficiles à identifier. Cette recrudescence de cas est-elle en quelque sorte due à un effet de rattrapage (au fait d’effectuer avec du retard des tests qui auraient dû être faits en 2020 si les circonstances avaient été normales) ? Ou bien ces augmentations sont-elles le signe d’une prévalence réelle, (d’une hausse sensible de la propagation de la maladie) ?
« Il est encore difficile de comprendre exactement ce qui se passe avec les cas d’IST », concède Julie Dombrowski. Comme le nombre de cas augmentait chaque année avant le Covid-19, « on peut raisonnablement penser que ça aurait continué sans la pandémie ». Mais selon elle, la baisse du nombre de dépistages et les cas asymptomatiques qu’on rate ont très certainement aggravé la propagation. Elle ajoute que beaucoup de spécialistes s’attendent à voir une augmentation importante du nombre d’IST dans les prochains mois.
Casey Pinto craint que certaines personnes continuent de repousser leurs rendez-vous de routine à cause du Covid-19 ou bien que ces derniers soient « passés à la trappe » au bout de quelques mois.
« Cette pandémie a retourné la vie de tout le monde, constate-t-elle. Je suis persuadée qu’il ne s’agit pas que d’un sursaut. Ça va être un pic énorme, et notre base de référence [en matière de cas d’IST] va finir par être bien plus élevée. »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.