Les jours raccourcissent, mais l’obscurité serait bonne pour notre santé
Alors que la popularité des sanctuaires de ciel nocturne ne cesse de croître, on en sait maintenant un peu plus sur les bienfaits de l’obscurité, qui vont de la restauration de l’ADN à l’amélioration de notre santé mentale.
Panorama étoilé au-dessus du paysage désertique de la vallée de Spiti, région de haute altitude de l’Himalaya. De plus en plus de preuves montrent que les spectacles qui émerveillent, celui d’un ciel nocturne étoilé par exemple, sont bons pour la santé mentale et le bien-être.
Un soir de nouvelle lune, de l’emplacement où je campe, en Caroline du Nord, je contemple le ciel. La nuit est si noire que lorsque je tends la main, je n’aperçois plus le bout de mes doigts. Je ne suis pas simplement en train de faire l’expérience de l’absence de lumière : l’obscurité semble palpable, jouir d’un poids et d’une texture propres. Au-dessus de moi se déploie l’une des pales spiralées de la Voie lactée. La vue de notre galaxie, à la fois si proche et si lointaine, me sidère.
Pour beaucoup d’entre nous, il est rare d’apercevoir cette bande trouble formée de milliards d’étoiles. La pollution lumineuse empêche désormais plus d’un tiers de la population mondiale, et près de 80 % des Nord-Américains et de 85 % des Français, de voir la Voie lactée. Malgré cela, la présence d’éclairage artificiel la nuit augmente en raison de la croissance démographique et de l’intensification de l’urbanisation.
Dans notre monde frénétique et illuminé, nous sommes de plus en plus nombreux, moi comprise, à rechercher le calme et la profondeur des cieux sans lumière. Pour cette raison, ces « sanctuaires de ciel nocturne » sont en train de devenir des destinations touristiques. On va désormais volontiers randonner dans la vallée de la Mort, en Californie, près des sources de Tekapo, en Nouvelle-Zélande ou assister à des festivals dédiés au ciel nocturne pour se déconnecter de la pollution lumineuse et baigner dans le noir.
Alors que les jours raccourcissent et que l’heure d’été a pris fin en France le 27 octobre, voici venu le temps pour de nombreuses régions du globe de reprendre les habitudes de vie de la « saison de l’obscurité ». Les changements que cela implique peuvent être désagréables, car nos journées de travail commencent et se terminent désormais dans l’obscurité. Pourtant, ce changement saisonnier, à l’instar des sanctuaires nocturnes, nous offre une pause plus que nécessaire vis-à-vis de l’éclat de la vie quotidienne.
Sous ce vaste bras de Voie lactée, se dessine le mont Taranaki, en Nouvelle-Zélande, dans la faible lueur des aurores australes tapies à l’horizon. Le tourisme nocturne connaît un certain essor et la Nouvelle-Zélande compte bien devenir « nation nocturne » grâce à sa capacité à préserver le ciel de la pollution lumineuse.
« Il est crucial pour notre santé que nous illuminions nos journées et obscurcissions nos nuits », affirme Lynne Peeples, autrice de The Inner Clock : Living in Sync with Our Circadian Rhythms. Le fait de trouver un équilibre entre lumière et obscurité nous aide à rester en bonne santé.
LES EFFETS DE L’OBSCURITÉ SUR VOTRE SANTÉ
La science a déjà révélé certains des effets nocifs de la pollution lumineuse, qui entretient des liens avec l’insomnie, le cancer du sein, les AVC et la fertilité. Selon une étude récente, celle-ci pourrait même contribuer à l’apparition de la maladie d’Alzheimer.
Mais des chercheurs commencent à s’intéresser à l’autre facette de la surabondance de lumière artificielle la nuit : ils s’intéressent aux bienfaits pour la santé que comporte le fait de passer du temps dans l’obscurité naturelle. Nous savons désormais que le fait de baigner dans l’obscurité peut favoriser la bonne santé.
Le plus connu de ces bienfaits est le rôle que joue l’obscurité dans l’activation de la glande pinéale, qui se trouve dans le cerveau et qui sécrète de la mélatonine. Cette hormone indispensable ne nous aide pas seulement à dormir, elle peut limiter les dégâts subis par l’ADN en éliminant les radicaux libres, en prévenant les dégâts dus à l’oxydation et en dynamisant les mécanismes de réparation génétique de l’organisme.
Mais ce n’est pas tout ce que l’obscurité peut faire pour vous. Une étude publiée en 2020 a montré que la resynchronisation d’un composé activant les récepteurs de la mélatonine dans le cerveau pouvait réduire les marqueurs inflammatoires, diminuer l’anxiété et atténuer les symptômes dépressifs.
LA SCIENCE DE L’ÉMERVEILLEMENT
De plus en plus de preuves indiquent que l’alchimie que nous éprouvons dans un sanctuaire nocturne, l’émerveillement stupéfait qui s’empare de nous alors que nous contemplons l’immensité du cosmos, sont associés à une meilleure santé mentale ainsi qu’à un plus grand bonheur.
Il est clair depuis longtemps que le fait de passer du temps dans la nature est bon pour la santé mentale ; une étude publiée en 2024 dans la revue Journal of Environmental Psychology suggère que ce bienfait vaut autant pour la nuit que pour la journée.
« L’immersion dans l’obscurité naturelle procure aux personnes une sensation d’émerveillement stupéfait susceptible d’avoir un effet protecteur pour la santé humaine », explique Ruskin Hartley, directeur exécutif de Dark Sky International, association à but non lucratif de Tucson, dans l’Arizona, qui a attribué la certification « International Dark Sky » à plus de 220 lieux depuis 2001 et qui suit de près les recherches académiques sur la pollution lumineuse et sur l’obscurité.
Ce panorama magique du ciel nocturne austral sur le lac Wairarapa, en Nouvelle-Zélande, réserve nocturne officielle, vous procure-t-il un sentiment d’émerveillement mêlé de stupéfaction ? Si c’est le cas, cela pourrait être bon pour votre santé. Les sentiments de ce type sont en effet associés à une réduction des inflammations et à une amélioration du bien-être mental.
Dacher Keltner, professeur à l’Université de Californie à Berkeley, a saisi ce sentiment dans un livre paru en 2023. Selon lui, « l’émerveillement a trait à notre rapport aux grands mystères de la vie ». C’est une émotion qui a des conséquences biologiques réelles : elle peut contribuer à la diminution des réactions inflammatoires cytokines du corps, aux réactions de celui-ci face à l’attaque de pathogènes, mais aussi calmer notre système nerveux et déclencher la sécrétion d’ocytocine, une hormone qui favorise les sentiments positifs et que l’on appelle parfois « hormone de l’amour ».
Les bienfaits psychologiques que comporte le fait de passer du temps dans l’obscurité peuvent être profonds. Les espaces privés de lumière peuvent favoriser à la fois la pleine conscience et la créativité, ainsi que le savent depuis des millénaires les personnes qui vont à l’église, à la synagogue ou à la mosquée. Une raison plus profonde explique également pourquoi l’on tamise la lumière avant le lever de rideau au théâtre ou avant la projection d’un film : l’obscurité crée un espace liminal plus propice aux errances de l’imagination. L’assombrissement apporté par le crépuscule est le baisser de rideau de la nature.
QUELLE QUANTITÉ D’OBSCURITÉ FAUT-IL ?
Ma propre fascination pour l’obscurité a commencé en octobre 2022 alors que je me trouvais à bord d’un zodiaque dans l’océan Arctique. Le guide de l’expédition avait éloigné notre canot pneumatique des lumières artificielles de notre navire principal, éteint le moteur du hors-bord et nous avait demandé de rester silencieux. Mes compagnons et moi-même avons plongé les yeux dans l’immensité de la voûte céleste où tournaient dans le noir les constellations. L’obscurité était si dense que je ne parvenais plus à distinguer le haut et le bas, ni l’endroit où le ciel nocturne et la mer d’encre se rejoignaient. J’étais à la fois désorientée et euphorique.
Une pleine lune se lève sur le manteau blanc des montagnes de Breiðabolsstaðir, en Islande, et illumine le paysage enneigé.
Alors que je contemplais les étoiles en cette obscure nuit arctique, j’ai senti une vague de bien-être s’emparer de moi. Cette expérience a modifié mon rapport à l’obscurité. Moi qui ai toujours pris plaisir à me coucher tôt pour bien dormir, j’ai décidé de commencer à éteindre les lumières artificielles et les appareils électroniques plus tôt dans la soirée. J’ai également commencé à me demander quelle « dose » d’obscurité serait idéale chaque soir pour ma santé.
« Atténuer la lumière dans les heures qui précèdent le coucher, y compris celle des écrans électroniques, est crucial pour se détendre, préserver la synchronisation de nos horloges circadiennes et encourager l’augmentation de nos taux de mélatonine », ainsi que me l’a confié Lynne Peeples. Sa suggestion pour ceux d’entre nous qui ne vivent pas dans des régions naturellement obscures ? Des masques de sommeil et des volets occultants.
Cela est bien entendu plus difficile pour les citadins, car ils sont empêchés par un halo de lumière artificielle qui envahit presque tous les espaces publics. Selon Lynne Peeples, la clé réside dans le contraste : compenser la lumière diurne en créant un environnement sombre la nuit venue, en particulier lors des heures de sommeil. Pour les personnes qui vivent dans des lieux trop sombres : essayez les lampes de luminothérapie qui peuvent être allumées et éteintes pour aider le rythme circadien à se recaler.
Les valeurs négatives que l’on associe à l’obscurité, notamment la croyance qui en fait l’empire du désordre et du crime (qui a pour effet l’installation de davantage de lampadaires dans tant de régions du monde) ainsi que notre crainte ancrée de tout ce qui pourrait surgir du noir comptent peut-être parmi les principaux obstacles à l’adoption de l’obscurité.
Artistes, poètes et auteurs-compositeurs connaissent depuis longtemps notre peur du noir mais également le soulagement que l’obscurité peut nous apporter. En ce qui me concerne, c’est « The Sound of Silence », chanson de Simon & Garfunkel commençant par les mots « Hello darkness, my old friend », qui saisit le mieux dans leur essence les raisons qui font qu’il est parfois nécessaire de fuir la lumière. Elle nous rappelle que certains de nos moments de guérison et de lucidité les plus profonds se produisent dans l’obscurité.
Julia Flynn Siler est autrice et journaliste et va souvent ramer sur la baie de San Francisco avant l’aube. Elle a récemment écrit un article pour National Geographic sur les bienfaits de l’aviron pour la santé.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.