Les licornes ont bel et bien existé, mais n'avaient rien des créatures magiques que l'on imagine
L’animal féérique et mythique a bien existé mais avait plutôt la carrure d’un mammouth, a vécu pendant l’ère glaciaire et était contemporain des premiers humains.
Reconstitution d'une licorne géante de Sibérie (Elasmotherium sibiricum) suivie de deux rhinocéros de Merck (Stephanorhinus kirchbergensis). En arrière plan au loin, un rhinocéros laineux (Coelodonta antiquitatis).
De nombreuses cultures dépeignent les licornes comme des animaux majestueux, représentant parfois la féerie, parfois la richesse, la féminité ou l’enfance. La licorne est toujours dépeinte comme mystérieuse et mystique, elle semble sortir d’un conte créé de toutes pièces par l’imaginaire collectif. Pourtant, caché derrière ces interprétations mythologiques, se trouve un véritable animal qui a existé pendant l’ère glaciaire, contemporain des premiers humains, la licorne de Sibérie (Elasmotherium sibiricum).
« Souvent, derrière ces légendes qui sont du ressort de la cryptozoologie, comme le Yéti ou Bigfoot, il y a un semblant biologique derrière » affirme Pierre-Olivier Antoine, professeur et directeur adjoint à l’Institut des Sciences de l'Évolution (ISEM), à l'université de Montpellier, CNRS, IRD, EPHE.
« Probablement, ou au moins dans certaines régions, la licorne a tout d’abord été la déformation de transmissions orales de personnes qui ont vu des rhinocéros » étaye ce rare spécialiste de cet animal pour le moins mystérieux.
La signification-même du nom latin du rhinocéros d’Inde (Rhinoceros Unicornis) « signifie "l’animal qui a une corne sur le nez" et qui n’en a qu’une seule. ‘’Unicornis’’, en latin, c’est la licorne. On peut quand même évoquer cette piste qui ne semble pas farfelue, puisque pendant l’Antiquité grecque et romaine, les rhinocéros étaient connus. […] Face à un animal de fable, mystérieux, exotique, on peut comprendre l’engouement ».
Il s’avère que le rhinocéros avait un lien lointain avec la licorne de Sibérie, décrite pour la première fois en 1809, en Russie. « C’était à la cour du Tsar, en Russie, et ce sont des restes découverts en Sibérie, on ne sait pas trop où. Cet animal-là était vraiment gigantesque avec un crâne de plus d’un mètre de long. C’est le plus gros des membres de la famille des rhinocéros. Il avait la corpulence d’un mammouth. Il vivait en même temps que les rhinocéros laineux et les mammouths laineux. Sa particularité était d’avoir un dôme énorme au-dessus du front et pas de corne sur le nez, mais sur le front. Cela colle encore mieux avec l’image que l’on se fait de la licorne telle qu’elle est dépeinte aujourd’hui ». On suppose que l’animal aurait vécu au Kazakhstan, en Sibérie, en Ukraine et au sud-ouest de la Russie.
Il faudra attendre 1914 pour qu’un autre animal soit décrit. Pierre-Olivier Antoine a publié une thèse sur le sujet et établit des relations de parenté entre tous ces animaux en se basant sur les restes de fossiles mis au jour. « Ces restes ont pu être attribués à plus d’une vingtaine d’espèces d’Eurasie et d’Afrique ».
En 2016, des scientifiques ont découvert un crâne fossilisé de licorne de Sibérie au Kazakhstan. Puis en 2018, une équipe internationale de chercheurs a repris les différentes données fossiles pour faire parler l’ADN. Cette étude a permis « de mettre en parallèle les génomes de trois genres de fossiles d’animaux disparus il y a quelques dizaines de milliers d’années » précise Pierre-Olivier Antoine.
Les avancées technologiques permettent aux scientifiques de récupérer l’ADN de ces animaux historiques, de l’amplifier et d’obtenir bientôt un génome complet. « Les liens de parenté découverts confirment que la licorne de Sibérie s’est séparée de son cousin le rhinocéros il y a longtemps ».
Grâce à ces travaux de recherches, nous savons maintenant que l’animal s’est éteint bien après ce qui avait été imaginé. Il aurait disparu il y a environ 36 000 ans et aurait été contemporain de l’homme moderne, qui avait commencé à peupler les steppes de Russie, du Kazakhstan, de Mongolie et de Chine du Nord.
Pourtant peu de témoignages, dessins ou preuves rapportent cette cohabitation entre l’homme et la licorne de Sibérie.
UN GIGANTESQUE MAMMIFÈRE HERBIVORE
Par déduction, compte tenu de la taille du crâne de l’animal, les chercheurs estiment que la corne de l’animal pouvait mesurer jusqu’à 2,50 mètres de long. C’était une « arme dissuasive » selon Pierre-Olivier Antoine, qui aurait aussi pu avoir un « caractère sexuel secondaire ». Le chercheur et professeur précise qu’il est possible « que les mâles aient eu des dômes très volumineux, cela aurait pu leur conférer un avantage pour la séduction et donc, pour la reproduction ».
Tout comme le rhinocéros, la licorne aurait été herbivore. « Elasmotherium signifie l’animal qui a des dents faites de lamelles ». L’analyse de ces dents dévoile une croissance continue, une caractéristique que l’on retrouve chez les rongeurs ou chez les chevaux. « C’est un trait d'adaptation d’animaux herbivores notamment à la consommation de graminées. C’est aussi une adaptation à la consommation de nourriture abrasive, qui use plus vite les dents que les feuillages » indique l’expert.
L’animal avait une corpulence similaire à un mammouth puisque les experts l’estime à « 4,50 mètres de long et à 2 mètres de haut au garrot ». Le tout, pour un poids compris entre 4 à 5 tonnes, « soit plus du double de celui d’un rhinocéros contemporain ».
La licorne de Sibérie se différenciait de ses semblables par une corpulence et une allure relativement plus imposantes, avec des pattes plus longues qui auraient pu lui permettre de se déplacer plus rapidement.
Mais pourquoi ces géants à corne ont-ils disparu ? Les scientifiques ne connaissent pas encore les raisons exactes de son extinction, mais tout porte à croire que cette espèce a subi les changements climatiques extrêmes de l’époque.
« La licorne de Sibérie, comme le rhinocéros laineux (Coelodonta antiquitatis) était adapté à l’âge de glace, quand il faisait très froid, pendant la dernière glaciation. Ils étaient parfaitement à leur aise dans ce contexte. Ils étaient habitués à la vie des steppes à graminées. Mais depuis une vingtaine de milliers d’années, il y a eu des changements environnementaux très flagrants et les zones qui étaient couvertes de steppes avec un climat glaciaire […] ont reculé vers le grand nord jusqu’à ne plus constituer que quelques patchs dans le cercle glacial arctique et dans des îles du grand nord sibérien. C’est à ce moment-là que ces grands animaux se sont raréfiés jusqu’à leur disparition, selon ce que nous indiquent les fossiles ».
À la différence des cinq espèces de rhinocéros actuelles qui sont tropicaux et adaptés à leur environnement, dans lequel ils vivent depuis des centaines de milliers d’années, voir des millions d’années.