Les victimes du Vésuve seraient-elles mortes de chaud avant d'être touchées par la lave ?
Une nouvelle étude suggère que des victimes de l’éruption du Vésuve en l’an 79 sont mortes après que leurs liquides organiques se sont évaporés. Certains spécialistes doutent que la chaleur soit la seule responsable de ces décès.
Les paysages et les résidents des métropoles romaines qui se tenaient dans le sillage du Vésuve furent anéantis par la terrible éruption du volcan en 79 après J.-C. Alors qu’un nuage de cendres s’était abattu sur Pompéi, provoquant l’effondrement fatal de bâtiments, de terribles déferlantes pyroclastiques ont dévalé la pente du volcan, étouffant les habitants de Pompéi, de la ville portuaire voisine d’Herculanum et de plusieurs autres sites.
La violence de l’éruption qui s’est produite il y a presque 2 000 ans n’est pas remise en question par les chercheurs. Toutefois, aussi étonnant que cela puisse paraître, les causes du décès de la plupart des victimes font toujours l’objet d’importantes controverses.
Récemment, une équipe de spécialistes italiens s’est intéressée à nouveau à quelques-unes des victimes d’Herculanum dont la mort semble particulièrement atroce : leur crâne aurait explosé. D’après les chercheurs, leur mort aurait été causée par la chaleur extrême, provoquant l’ébullition des liquides présents dans leur cerveau et leurs tissus mous. Cette hypothèse est soutenue par une étude publiée dans la revue PLOS ONE en septembre 2018, qui compte des détracteurs.
Elżbieta Jaskulska, bioarchéologue à l’Université de Varsovie qui n’a pas pris part à l’étude, a indiqué que la théorie avancée par l’étude « va à l’encontre de tout ce que je sais quant aux dommages infligés par la chaleur au corps humain et aux ossements. »
UNE ÉRUPTION PARTICULIÈREMENT VIOLENTE
Mélange de cendres, de morceaux de lave et de gaz toxiques, les coulées pyroclastiques sont fortement soumises à la gravité et peuvent se déplacer à une vitesse allant jusqu’à 80 km. Leur température peut atteindre les 700 °C. Les déferlantes pyroclastiques sont un phénomène volcanique assez similaire, mais contiennent plus de gaz.
Les deux phénomènes se sont produits lors de la catastrophique éruption du Vésuve en 79 après J.-C. Les victimes des coulées ou des déferlantes pyroclastiques sont mortes dans d’atroces conditions, percutées et tuées par les débris volcaniques volants, asphyxiées après avoir inhalé trop de cendres ou de gaz volcanique, tandis que les températures extrêmement élevées des phénomènes ont causé leur mort instantanée.
Pendant des décennies, Pier Paolo Petrone, paléobiologiste à l’Hôpital universitaire Federico II situé à Naples, a mené des recherches sur les victimes du cataclysme de l’an 79. Il a contribué à plusieurs études, dont une publiée en 2001 dans la revue Nature et une autre publiée en 2010 dans la revue PLOS ONE, qui ont démontré que les cendres et les gaz volcaniques ne constituaient pas les premières causes de décès dans la région, contrairement aux conclusions auxquelles étaient parvenues d’autres études. Pier Paolo Petrone avançait que c’était la chaleur qui avait fait le plus de victimes, en leur offrant une mort rapide et indolore.
Encore plus important, la chaleur n’a pas eu le même effet sur les corps des victimes de Pompéi que sur ceux d’Herculanum. Située à un peu moins de 10 km du Vésuve, Pompéi fut d’abord frappée par la chute de débris volcaniques, provoquant l’effondrement des habitations et la mort par asphyxie de ceux qui s’étaient réfugiés à l’intérieur. Une déferlante pyroclastique particulièrement riche en gaz a ensuite envahi la ville. C’est elle qui causa le plus de victimes.
Les corps des victimes mis au jour par les archéologues à Pompéi sont en grande partie intactes. D’après les lésions que présentent les ossements et la façon dont ont fondu plusieurs métaux, Pier Paolo Petrone et ses collègues ont déterminé que la majorité des victimes étaient décédées des suites d’un choc thermique soudain causé par une déferlante pyroclastique de 300 °C maximum.
Mais à Herculanum et sur le site voisin d’Oplontis, deux villes situées à quelques kilomètres de la cheminée du volcan, un phénomène plus étrange s’est produit. Les chercheurs ont découvert que les victimes de ces deux sites présentaient des fractures provoquées par la chaleur, que leur ADN était complètement dégradé et que leurs crânes semblaient avoir explosé. L’équipe de Pier Paolo Petrone a alors déduit que ces personnes avaient succombé à une déferlante pyroclastique de température plus élevée, qui devait se situer entre 500 et 600 °C. Une telle température aurait alors provoqué l’ébullition de leurs liquides organiques, y compris ceux présents dans leur cerveau.
MORTS DE CHAUD
L’étude dirigée par Petrone et publiée dans la revue PLOS ONE renforce un peu plus encore cette terrible hypothèse. Les chercheurs y font mention de résidus rouge sombre découverts sur les ossements de plusieurs victimes d’Herculanum. Après analyse chimique, il s’est avéré que les résidus étaient riches en fer et en oxyde de fer : ils proviendraient donc très certainement du sang et des liquides organiques des victimes.
Ces composés riches en fer se seraient formés alors que l’hémoglobine présente dans les globules rouges de la victime se serait dégradée. Selon Pier Paolo Petrone, la chaleur extrême est certainement responsable de cette dégradation, ainsi que de l’éclatement des os. Il indique que « les liquides organiques présents dans les tissus mous des victimes se sont complètement évaporés en moins de 10 minutes, provoquant l’explosion de la boîte crânienne. »
De plus, bon nombre des victimes mises au jour à Pompéi étaient contorsionnées, ce qui indique que leurs muscles se sont très rapidement contractés après avoir été exposés à la forte chaleur, alors que seuls certains membres des victimes d’Herculanum présentent des muscles contractés. Si l’on en croit cette nouvelle étude, cela indique que la chaleur extrême aurait détruit les muscles plus rapidement qu’ils ne peuvent se contracter.
D’après Elżbieta Jaskulska, l’idée selon laquelle la destruction des globules rouges peut provoquer ce genre de tâches sur les ossements est soutenue par des preuves scientifiques. Toutefois, elle ne pense pas que la cause du décès des victimes soit élucidée pour de bon, comme le laissent entendre ses commentaires sur l’étude.
D’après elle, une évaporation des liquides organiques de la peau, des muscles et de la graisse n’est pas forcément synonyme de destruction des globules rouges. De plus, les scientifiques ne savent pas exactement si les liquides organiques présents dans les tissus mous se sont bien évaporés chez les victimes découvertes à Herculanum.
Les crématoriums modernes donnent un aperçu de la destruction que subissent les corps humains à une température pouvant atteindre 1 000 °C. Cette chaleur est comparable à celle de la déferlante pyroclastique qui a touché Herculanum.
« Dans ces conditions, les liquides présents dans les tissus mous ne s’évaporent pas, ils brûlent », indique Elżbieta Jaskulska.
UNE THÉORIE QUI FAIT DÉBAT
Si l’on en croit Elżbieta Jaskulska, l’étude soulève également d’autres questions, notamment concernant la suggestion d’une disparition plus rapide des membres inférieurs du corps par rapport aux membres supérieurs. Une constatation étrange à ses yeux, puisque les jambes présentent bien plus de tissus mous que les bras. Par conséquent, l’évaporation serait plus importante sur celles-ci. La scientifique souligne également que si les tissus avaient disparu à cause de la chaleur soudaine, les os présenteraient des lésions bien plus importantes.
Enfin, concernant les boîtes crâniennes, elle n’est pas sûre qu’elles puissent exploser. Elle se base ici sur l’incinération : avec la chaleur, les crânes semblent se fracturer lors du processus, mais ils n’explosent pas violemment en envoyant des fragments d’os tout autour. Il est donc tout à fait plausible que les crânes fragmentés mis au jour à Herculanum ont simplement cédé sous une quelconque pression, indique Elżbieta Jaskulska.
Même les crânes en parfait état peuvent se briser sous le poids des sédiments. « N’importe quel archéologue vous le dira », ajoute-t-elle.
Elżbieta Jaskulska précise qu’elle ne dit pas que la chaleur n’a provoqué aucun dommage ou qu’elle n’était pas meurtrière. Elle souligne simplement le fait qu’il n’y a pas de preuve concrète qui démontre qu’elle fut la principale responsable des décès à Herculanum. Il se peut que les victimes eussent déjà succombé d’asphyxie ou d’autres causes lorsque la chaleur émise par la déferlante pyroclastique a dégradé leurs globules rouges.
Des phénomènes volcaniques modernes similaires pourraient permettre de confirmer ou non cette théorie. Janine Krippner, vulcanologue à l’Université Concord en Virginie Occidentale précise que des coulées et déferlantes pyroclastiques se produisent encore aujourd’hui. Toutefois, elles ne provoquent pas toujours une mort rapide et indolore : cela dépend de divers critères, notamment la chaleur et la vitesse des phénomènes, ainsi que de la quantité de cendres et de gaz qu’ils renferment. S’il s’agit d’un phénomène volcanique moins violent, vous pourriez bien survivre au grave traumatisme causé par la chaleur.
Pour éviter de mourir comme les victimes du Vésuve, Janine Krippner vous conseille tout simplement de « courir si vous voyez un nuage gris se déplacer dans votre direction. »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.