Aduhelm, le nouveau traitement controversé contre la maladie d’Alzheimer

Cela faisait 18 ans qu’un médicament pour combattre cette maladie neurodégénérative n’avait pas reçu d’autorisation de mise sur le marché. Mais l’Aduhelm n’a donné que de maigres résultats lors des essais cliniques.

De Priyanka Runwal
Publication 15 juin 2021, 16:02 CEST
Alzheimer's drug aducanumab

Henry Magendatz, qui a participé à l’essai clinique, reçoit une perfusion d’aducanumab à l’hôpital Butler de Providence, dans l’État de Rhode Island, le 27 mai 2021.

PHOTOGRAPHIE DE Kayana Szymczak, T​he New York Times, via Redux

Depuis lundi dernier, des patients et leurs proches inondent Matthew Schrag d'e-mails pour lui demander s’il faut croire en ce nouveau médicament contre la maladie d’Alzheimer. Le médicament en question, qu’on appelle aducanumab, s’est vu attribuer la semaine dernière une autorisation accélérée de mise sur le marché par l’Agence américaine des produits alimentaires et médicamenteux (FDA). La dernière fois que la FDA a donné son aval pour un médicament de ce type, c’était en 2003.

Mais Matthew Schrag, neurologue au centre médical de l’Université Vanderbilt de Nashville, ne prescrira probablement jamais ce traitement. « On ne sait pas s’il fonctionne, » confie-t-il, « et les effets secondaires peuvent être vraiment lourds. »

Aux États-Unis, la maladie d’Alzheimer touche plus de 6 millions d’adultes âgés de plus de 65 ans (en France, ce sont plus de 900 000 personnes qui en sont atteintes). C’est la cause la plus fréquente de démence et la sixième cause de mortalité outre-Atlantique. Une fois le diagnostic posé, il reste aux patients quatre à huit ans à vivre en moyenne, et leurs proches cherchent désespérément un traitement susceptible de ralentir la progression de la maladie et d’améliorer leur qualité de vie.

Développée par Biogen, entreprise spécialisée en biotechnologies basée dans le Massachussetts, et vendue sous le nom d’Aduhelm, l’aducanumab élimine la forme toxique d’une protéine, l’amyloïde bêta. Ce peptide s’accumule dans le cerveau des patients atteints de la maladie et peut perturber la communication entre les neurones. Certains experts croient qu’en enlevant la plaque amyloïde, on s’attaque à la racine de la maladie.

Selon des données tirées d’essais cliniques et analysées par la FDA, l’aducanumab permettrait de réduire efficacement l’accumulation d’amyloïde dans le cerveau et de limiter le déclin cognitif. Cela signifie que, contrairement aux traitements homologués jusqu’alors, ce médicament permettrait de ralentir la progression de la maladie plutôt que de simplement en cibler les symptômes. Mais la théorie selon laquelle l’amyloïde serait la clé du problème fait l’objet de débats animés, et la décision de la FDA, fondée sur des données incertaines, a été accueillie par un tombereau de critiques.

« Au bout du compte, nous avons suivi notre trajectoire habituelle en matière d’homologation dans des situations où les données ne sont pas évidentes », a rappelé Patrizia Cavazzoni, directrice du centre de recherches et d’évaluation des médicaments de la FDA, dans un communiqué de presse au sujet de cette décision. « Grâce à l’homologation de l’Aduhelm par la FDA, les patients atteints de la maladie d’Alzheimer ont accès à un nouveau traitement important et crucial dans leur bataille contre cette maladie. »

Mais Matthew Schrag ainsi que d’autres scientifiques ne sont pas vraiment convaincus de la capacité du médicament à retarder l’apparition de la démence. « Il n’y a tout simplement pas de preuve d’efficacité, » relève-t-il. « Les effets cliniques étaient à peine tangibles. »

Lorsque nous les avons contactés pour la rédaction de cet article, les représentants de Biogen se sont refusés à tout commentaire.

 

UNE AUTORISATION ACCÉLÉRÉ

Dans les années 1980, des chercheurs ont examiné l’ADN de patients atteints d’Alzheimer et ont découvert des mutations sur le gène qui produit la bêta amyloïde. Cette protéine, entre autres activités biologiques, est cruciale dans le développement des neurones. Des mutations génétiques entraînent l’accumulation de celle-ci en paquets anormaux, qu’on appelle plaques, et qui s’amassent dans le cerveau. Comme on suspectait déjà ces plaques de déclencher la maladie, les recherches et le développement d’un traitement ont pu se focaliser rapidement axés sur la bêta amyloïde.

Bien que plusieurs entreprises pharmaceutiques aient développé des composés réduisant les dépôts d’amyloïde, aucun n’est parvenu à arrêter ni même à réparer la démence. Puis, en 2015, des conclusions précoces, tirées d’essais cliniques réalisés avec l’aducanumab, ont indiqué que l’élimination des plaques d’amyloïde semblait entraîner un déclin plus lent des fonctions cognitives chez les patients.

En s’appuyant sur ces recherches, Biogen a organisé deux essais cliniques similaires mais de plus grande ampleur nommés Engage et Emerge. Les 3 300 participants (des patients atteints de troubles légers ou d’une faible démence liés à la maladie d’Alzheimer) ont soit reçu un placebo, soit une dose mensuelle d’aducanumab, soit minimale soit forte, par voie intraveineuse.

Les deux essais ont été interrompus en mars 2019 après qu’une analyse intermédiaire indépendante a permis de déterminer que l’aducanumab est « inutile ». Le composé éliminait bien les dépôts d’amyloïde, mais il n’arrêtait ni ne ralentissait le déclin cognitif. On a alors décrété qu’il n’aurait probablement pas d’effet bénéfique sur les patients.

Cependant, l’entreprise a procédé à une nouvelle analyse de ses données en octobre 2019, agrémentée de données récoltées entre le moment où l’analyse intermédiaire a commencé et le moment où l’essai a été définitivement interrompu. Cette analyse indiquait que le déclin cognitif des patients de l’essai Emerge ayant reçu de fortes doses d’aducanumab avait été 22 % plus lent sur une période de 18 mois que celui des participants ayant reçu un placebo. Il faut noter que ces résultats n’ont en revanche pas été observés chez les patients de l’essai Engage.

« Il ne fait aucun doute que cet effet est statistiquement prouvable, » concède Matthew Schrag, « mais le doute réside dans sa pertinence clinique. » Il veut dire par là que le ralentissement du déclin cognitif enregistré lors de l’essai ne règle pas nécessairement le problème de la perte de mémoire du patient.

Les opposants à ce médicament montrent également du doigt ses effets secondaires. Environ 35 % des patients sous aducanumab ont souffert d’œdèmes cérébraux douloureux et certains d’hémorragies cérébrales.

Biogen a néanmoins cherché, avec le fabricant de médicaments japonais Eisai, à obtenir une autorisation de la FDA sur la base de ces résultats statistiquement prometteurs. En novembre dernier, un comité indépendant chargé de conseiller la FDA a écarté le médicament car les preuves n’étaient selon lui pas suffisantes pour affirmer que le composé avait un effet positif sur les patients atteints de la maladie.

Le 7 juin, bravant l’avis de son propre comité consultatif, la FDA a accordé au médicament une autorisation accélérée. Selon l’agence, ce type d’homologation est « destiné à fournir à des patients souffrant de maladies graves, pour lesquelles il existe une demande insatisfaite, un accès anticipé à des traitements potentiellement précieux et promettant des bénéfices cliniques malgré des incertitudes résiduelles concernant les bénéfices. »

 

UN PRÉCÉDENT PRÉJUDICIABLE ?

Biogen et Eisai ont désormais jusqu’à 2029 pour mener à bien un autre essai clinique qui doit confirmer les effets positifs du médicament sur les patients atteints de la maladie d’Alzheimer. Nombreux sont les experts qui soutiennent qu’un troisième essai clinique identique à Engage et Emerge aurait permis de mieux départager le débat.

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    « Dans ce cas précis, comme les essais précédents ne concordaient pas, il aurait été relativement facile, si le médicament n’avait pas été autorisé, de mener un autre essai en l’espace de deux ans », affirme David Rind, spécialiste en médecine interne et médecin en chef à l’Institut d’analyse clinique et économique (ICER), qui évalue de manière indépendante les données issues des essais cliniques sur l’aducanumab. « Attendre neuf ans pour découvrir si ça fonctionne ne sera pas vraiment à l’avantage des patients. »

    En 2016, la FDA a autorisé l’Exondys 51, un traitement contre la myopathie de Duchenne, une maladie génétique rare et mortelle qui touche les muscles des enfants. Cette décision a été prise en dépit de la faible efficacité révélée par les données et des objections de son propre comité consultatif. Les résultats d’un essai en cours qui doit confirmer les effets positifs de l’Exondys 51, qui peut coûter jusqu’à 700 000 dollars par an à un patient, sont toujours attendus.

    L’aducanumab coûte presque 56 000 dollars par an. La somme que devront payer de leur poche les patients souffrant de la maladie dépend de leur assurance santé. Les scintigraphies cérébrales ainsi que d’autres coûts collatéraux viendront s’ajouter au fardeau financier des malades et de leurs familles.

    « C’est une somme énorme pour un médicament dont nous ne savons même pas s’il fonctionne et pour une maladie qui touche des millions de personnes aux États-Unis », s’alarme David Rind. De plus, à sa surprise, la FDA a autorisé la vente à toutes les personnes souffrant de la maladie d’Alzheimer, bien que les essais cliniques n’aient porté que sur des personnes ayant des symptômes cognitifs légers.

    « Les groupes de défense des patients ont probablement joué un rôle important et convaincu la FDA que cela valait quand même le coup, » reconnaît Walid Fouad Gellad, interne à Pittsburg. « Ils sont prêts à accepter l’incertitude. » L’Alzheimer Association faisait par exemple partie de ceux qui ont appuyé l’autorisation de la FDA.

    De nombreux médecins et chercheurs s’apprêtent aujourd’hui à avoir des conversations difficiles avec des familles qui auront peut-être un sentiment de culpabilité si elles ne donnent pas ce médicament à leurs proches. Mais si certains sont reconnaissants, d’autres trouvent l’autorisation déconcertante.

    « Je crains qu’il n’y ait dans ce cas trop de nuances et de détails pour qu’une personne moyenne, désespérément à la recherche d’une solution, s’y intéresse », confie Ellie McBroom, principale aidante de sa mère de 62 ans, qui habite l’État du Kentucky, et à qui on a diagnostiqué la maladie en 2012. « Nous avons envie de soutenir les avancées et les processus scientifiques, mais il est risqué de précipiter sur des traitements onéreux qui ne donnent possiblement aucun résultat, et ce au détriment de personnes très vulnérables. »

    Les experts espèrent également que ces autorisations ne vont pas asphyxier la recherche d’autres cibles thérapeutiques pour lutter contre la maladie d’Alzheimer.

    Marc Diamond, de l’École médicale du sud-ouest de l’université du Texas, s’intéresse à la protéine tau présente dans le cerveau et associée au déclin cognitif. Les peptides bêta amyloïdes sont peut-être les déclencheurs de la maladie d’Alzheimer, mais lui ainsi que d’autres neurologues croient que c’est l’accumulation de protéine tau qui entraîne la démence, « c’est la raison pour laquelle je crois que les études qui ciblent la bêta amyloïde n’ont pas réellement réussi à prouver qu’il y avait là des bénéfices pour les patients », explique-t-il.

    Marc Diamond met au point des traitements qui ciblent la protéine tau. Il espère que plus tard, quand son médicament devra à son tour être examiné, la FDA se conformera au sérieux de ses propres standards d’autorisation de mise sur le marché.

     

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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