Congeler ses ovocytes : un bébé pour plus tard ?
Dans l’attente d’un partenaire, d’un vrai désir d’enfant, ou d’une situation stable, plus de 20 000 femmes ont fait une demande de congélation de leurs ovocytes en France depuis l’entrée en vigueur de la loi bioéthique fin 2021.
Un ovocyte est fécondé par du sperme. Avant août 2021, la congélation d'ovocytes n’était autorisée que pour raisons médicales, ou en cas de don.
Sous les lumières blafardes d’un hôpital parisien, allongée sur une table en acier, Camille vit un moment aussi attendu que redouté. La toute première ponction de ses ovocytes : la réalisatrice de trente-cinq ans a décidé de les congeler pour se laisser une chance d’avoir des enfants. L’équipe médicale est aux petits soins, un air des Beatles résonne dans la pièce, histoire de détendre l’atmosphère avant l’anesthésie locale.
Un moment tout particulier pour Camille, qui, jusqu’à il y a un an, ne pensait pas avoir à traverser tout ça. « J’étais en couple pendant cinq ans avec un compagnon qui m’assurait désirer des enfants. J’étais sûre de vouloir être mère, mais j’attendais d’être bien installée dans ma vie professionnelle avant de me lancer. Cela n’est arrivé qu’aux alentours de trente-deux ans », explique celle qui a désormais réalisé plusieurs documentaires et un court-métrage de fiction. Sauf que la vie prend un tournant inattendu : son compagnon la fait patienter pendant encore deux ans... avant de la quitter. « J’ai à peine eu le temps de sécher mes larmes ; j’ai couru chez mon gynécologue pour faire un bilan de fertilité et me renseigner sur les options : "PMA femme seule" ou congélation des ovocytes ». C’est dans cette deuxième voie qu’elle décide d'abord de se lancer.
Comme elle, depuis fin 2021 et le vote de la loi bioéthique, plus de 20 000 femmes ont fait une demande de ce que les médecins appellent une « autoconservation non médicale d’ovocytes ». « La France a fait un pas de géant. Du jour au lendemain, la congélation des ovocytes pour raisons non médicales est devenue non seulement possible mais aussi intégralement remboursée » souligne Pietro Santulli, gynécologue-obstétricien, responsable de l’unité médecine de la reproduction au sein de l’hôpital Cochin Port Royal. « Les profils sont différents, mais, dans notre hôpital, environ 65 % des demandes sont faites par des femmes autour de trente-cinq ou trente-six ans – juste avant la date butoir fixée par la loi ».
La loi bioéthique donne en effet des bornes d’âge : le prélèvement d’ovocyte est possible entre vingt-neuf et trente-sept ans. À Marseille aussi, « la grande majorité des femmes qui font cette demande ont environ trente-cinq ans. Elles n’ont pas la possibilité de faire un enfant avec quelqu’un à ce moment-là et voient l’horloge qui tourne. Elles décident de mettre des ovocytes de côté dans l’espoir d’un projet parental à deux » ajoute Catherine Guillemain, cheffe de service de biologie de la reproduction à l’hôpital de la Conception.
D’autres femmes ne veulent pas d’enfants au moment de la congélation, mais entendent se donner le choix dans le futur. Dans ce cas, la congélation d’ovocytes sert aussi, d’une certaine manière, à « assumer le lourd choix de la non-maternité » à un instant donné, comme l’écrit l’anthropologue Yolinliztli Pérez-Hernandez. « Avoir des ovocytes congelés place ces femmes non dans le groupe des "sans enfant", mais dans celui des "pas encore mères" ».
Avant août 2021, cette procédure n’était autorisée que pour raisons médicales (ou en cas de dons d’ovocytes, les donneuses pouvaient éventuellement en garder une partie pour elle-même). Les médecins ponctionnent ces ovocytes avant certaines chimiothérapies, ou bien en raison d’une maladie qui altère la fertilité, comme l’endométriose. Désormais, les deux activités cohabitent.
« Cela ne pénalise pas, bien sûr, les demandes médicales : en cas d’une chimiothérapie par exemple, la ponction des ovocytes est réalisée en urgence » explique Pietro Santulli. Pour celles qui veulent se donner plus de temps pour un projet d’enfant, en revanche, les délais explosent, surtout en région parisienne : « on compte deux ans d’attente pour un premier rendez-vous dans notre centre de l’hôpital Cochin Port Royal » poursuit le professeur. « Nous avons eu des moyens supplémentaires, mais insuffisants en regard de la demande. Aujourd’hui, nous sommes largement dépassés » ajoute Catherine Patrat, cheffe du service de Biologie de la Reproduction dans ce même hôpital. Pour fluidifier la situation en Ile-de-France, Pietro Santulli aimerait voir naître de nouveaux centres complètement dédiés à l’autoconservation des ovocytes.
Autre souhait, adapter cette « date butoir » de trente-sept ans aux différences biologiques entre les patientes. « Cette limite créé des frustrations à l’échelle individuelle. Certaines, à trente-six ans, n’ont quasiment plus d’ovocytes. D’autres ont une excellente réserve ovarienne à trente-sept ans, mais c’est illégal pour elles de les congeler » poursuit Pietro Santulli.
Trois options s’offrent ensuite aux patientes. Utiliser leurs ovocytes (c’est possible jusqu’à quarante-cinq ans), les détruire, ou les donner. « Aujourd’hui, le nombre de donneuses d’ovocytes est insuffisant en regard de la demande. Peut-être que cette loi va permettre d’en avoir plus à terme, vu que les ponctions sont déjà réalisées » espère Pietro Santulli. Mais difficile, près de deux ans après la loi bioéthique, de connaître le destin de ces gamètes congelés en France. Outre-Manche, une étude menée pendant dix ans donne néanmoins quelques tendances.
Premier enseignement, seul un cinquième des femmes ayant congelé leurs ovocytes (pour raisons médicales comme non médicales) sont revenues à la clinique les utiliser. « Certaines changent d’avis sur le fait de vouloir des enfants. Et il est probable qu'un grand nombre d'entre elles parviennent à concevoir un enfant de manière naturelle, sans jamais avoir besoin de revenir à la clinique » explique Zeynep Gurtin, l’autrice de l’étude. Une bonne nouvelle pour ces femmes-là. Car seules 21 % des patientes qui utilisent leurs ovocytes congelés deviennent mères grâce à eux, toujours selon cette étude.
Camille, elle, a eu la chance de ne pas en passer par là – contre toute attente. Lors de sa ponction, les médecins n’ont pu prélever que trois ovocytes. « Ma voisine de chambre, à trente-six ans, en avait trente-sept, tous prélevés en une seule ponction ». Difficile d’accueillir sereinement ces informations, surtout qu’il faut au moins douze ovocytes « de côté » pour avoir une chance de tomber enceinte ensuite, selon les estimations des scientifiques. Camille s’effondre. Elle, qui (et c’est un cas particulier), a souffert comme rarement lors de ce procédé, s’est évanouie, ne pouvait plus dormir... Impossible de songer à tout recommencer plusieurs fois pour quelques ovocytes. Elle décide de lâcher prise. Elle prend rendez-vous, sans vraiment y croire, pour une PMA femme célibataire, une procédure qui permet de bénéficier de dons de spermatozoïdes.
« Mais je n’arrivais pas à faire le deuil d’un projet de bébé en amoureux ». Et puis un soir, dans un bar, elle a un coup de foudre... et de la chance : c’est réciproque. Ils se mettent rapidement en couple. Au vu de ses résultats d'analyses et de son âge, sa gynécologue lui conseille d’arrêter tout de suite sa contraception. Son compagnon est d'accord aussi. Deux semaines plus tard, comme un sourire du destin, Camille est tombée enceinte d’un bébé prévu pour cet été.