IA : comment elle révolutionne la chirurgie
Le crâne est ouvert, l’heure tourne. Les médecins ont maintenant une vision du cerveau qui change la donne en salle d’opération.
Identifier les tumeurs, sauver des vies : cette année, des médecins ont opéré un patient au Prinses Máxima Centrum, aux Pays-Bas, où l’IA contribue régulièrement à un diagnostic plus rapide et plus efficace des tumeurs.
Retrouvez cet article dans le numéro 302 du magazine National Geographic. S'abonner au magazine
« Le problème de la neurochirurgie, explique Eelco Hoving, neurochirurgien en pédiatrie, c’est qu’elle ne pardonne rien. » Même les spécialistes doivent souvent commencer par ouvrir la boîte crânienne du patient pour avoir une meilleure idée de ce qu’il faut traiter.
Dans le cas des tumeurs neurologiques, par exemple, les médecins ignorent souvent de quoi il retourne jusqu’au moment où ils retirent un morceau de crâne et pratiquent une biopsie sur un échantillon de tissu cérébral. Il en va ainsi au Prinses Máxima, centre d’oncologie pédiatrique affilié à l’UMC Utrecht, l’un des plus grands hôpitaux de recherche des Pays-Bas. Eelco Hoving y est directeur du service de neuro-oncologie. L’échantillon est ensuite envoyé au laboratoire, où il est analysé de deux manières. Les pathologistes réalisent un séquençage et un profil de ce tissu, et tentent d’identifier le type de tumeur présente – un processus laborieux qui peut durer une semaine, voire souvent plus. En parallèle, le laboratoire congèle une petite coupe transversale de l’échantillon et la tranche finement au scalpel pour obtenir une sorte d’« instantané gelé », explique Eelco Hoving. Cette « coupe rapide » examinée au microscope peut contribuer à l’identification du type de tumeur en quinze à vingt minutes seulement, mais elle est nettement moins fiable que la méthode plus lente.
Ce qui rend la situation particulièrement complexe pour les neurochirurgiens en salle d’opération. Lesquels sont contraints à une série d’arbitrages délicats basés sur des informations incomplètes : y a-t-il effectivement une tumeur ? Si elle est cancéreuse, s’agit-il d’une forme agressive nécessitant d’être retirée rapidement ? ou d’une forme plus bénigne pouvant bénéficier d’un traitement moins invasif, comme la chimiothérapie ?
Eelco Hoving connaît viscéralement ces limites. Il se souvient d’une opération sur un jeune patient il y a quelques années. La coupe rapide indiquait une tumeur embryonnaire extrêmement maligne, appelée tumeur tératoïde rhabdoïde atypique (ATRT). Il a donc décidé de privilégier une intervention tout aussi agressive et a opté pour une ablation radicale, retirant plus de 98 % des tissus tumoraux. À la suite de l’opération, le patient a perdu une partie des capacités motrices d’un de ses bras. Or, dix jours plus tard, le rapport de pathologie a révélé que la tumeur n’était pas une ATRT, mais quelque chose de bien plus bénin. « C’était une tumeur germinale, se souvient Eelco Hoving, et elle pouvait être traitée très efficacement par radiothérapie et chimiothérapie. » Il avait pris la meilleure décision au vu des informations limitées à sa disposition : « J’ai tenté une ablation radicale avec les meilleures intentions, mais, rétrospectivement, ce n’est pas ce que j’aurais dû faire. »
Décoder le cancer : Jeroen de Ridder (à gauche), professeur de bio-informatique, et Bastiaan Tops, pathologiste moléculaire, ont mis au point une IA qui accélère le diagnostic des tumeurs au cerveau pendant une opération à crâne ouvert.
Eelco Hoving fait aujourd’hui partie d’un groupe de chercheurs du Prinses Máxima qui, depuis l’été 2023, mobilise l’intelligence artificielle (IA) pour identifier des tumeurs en temps réel. L’équipe utilise un modèle baptisé Sturgeon, capable de reconnaître les tumeurs cérébrales avec une exactitude de 90 % en quarante minutes ou moins – une durée suffisante qui permet à un chirurgien de prendre une décision éclairée pendant que le patient est au bloc. « Les pathologistes examinent toujours chaque lame », note Bastiaan Tops, responsable du laboratoire de pathologie du centre d’oncologie pédiatrique Prinses Máxima. L’IA fournit juste de nouvelles informations, des données supplémentaires.
La genèse du projet remonte au début de l’année 2022, lorsque Bastiaan Tops a su qu’un de ses collègues du centre, Jeroen de Ridder, chercheur principal et maître de conférences au Centre de médecine moléculaire, faisait de grandes avancées en séquençage moléculaire grâce à un nouvel appareil relativement abordable appelé séquenceur par nanopores, pouvant « lire » plusieurs brins d’ADN.