La génétique joue-t-elle un rôle sur l’obésité ?
Pouvons-nous vraiment contrôler notre poids, alors que des centaines de gènes ont une influence sur notre métabolisme et le stockage des graisses ?
Un technicien de laboratoire examine une cellule à diffusion dynamique qui contient de l’ADN pour le séquençage. Afin d’améliorer notre compréhension du rôle important que jouent les gènes dans l’obésité, les scientifiques comparent les codes génétiques de personnes atteintes de la maladie avec ceux de celles qui n’en souffrent pas.
Certaines personnes prennent du poids plus facilement que d’autres. Si cela peut parfois s’expliquer par une mauvaise alimentation, le rôle de la génétique est aussi à prendre en compte.
Les scientifiques ont découvert que les mutations génétiques responsables d’une sensation de satiété moins importante après un repas seraient plus courantes qu’ils ne le pensaient jusqu’alors. Les personnes porteuses de ces variants génétiques auraient ainsi tendance à manger plus fréquemment ou à consommer des aliments plus caloriques.
« L’obésité n’est pas un choix, explique Giles Yeo, généticien spécialiste de l’obésité à l’université de Cambridge, au Royaume-Uni. Les gènes liés au poids sont, par définition, les gènes associés à la façon dont notre cerveau contrôle l’alimentation ».
Selon le National Health and Nutrition Examination Survey (Enquête nationale sur la santé et la nutrition), près d’un adulte sur trois et d’un enfant ou adolescent sur six âgé entre deux et dix-neuf ans sont en surpoids aux États-Unis. Chez deux adultes américains sur cinq souffrant d’obésité, cette surcharge pondérale accroît le risque de développer de nombreuses pathologies évitables, dont le diabète de type 2, l’hypertension artérielle, les AVC, les maladies cardiovasculaires et certains types de cancer. Qu’est-ce qui cause cette « épidémie » d’obésité ? Notre mode de vie est-il le seul coupable ? Nos gènes peuvent-ils dicter notre poids ?
Si le type d’aliments consommés et le niveau d’activité physique jouent un rôle majeur dans l’augmentation du nombre de personnes obèses, les études scientifiques révèlent, comme cela a été observé pour la taille, qu’entre 50 et 80 % des écarts de poids pourraient être dus à de légères modifications génétiques. Les mutations d’un gène unique qui causent l’obésité sont extrêmement rares. En revanche, les centaines de variations génétiques qui produisent chacune un effet, rendant ainsi certains d’entre nous plus vulnérables à la prise de poids, sont plus courantes. Lorsqu’un individu hérite de certaines de ces variations, le risque qu’il souffre d’obésité augmente de manière significative, en particulier si son mode de vie s’y prête.
« Nous avons considéré jusqu’à présent, et à tort, que l’obésité était un défaut. La population doit prendre conscience de cela », confie Naji Abumrad. Ce chirurgien endocrinien au centre médical universitaire Vanderbilt traite les patients atteints d’obésité morbide et étudie les effets de la chirurgie bariatrique.
L’OBÉSITÉ, UNE ORIGINE CÉRÉBRALE
C’est en 1949 que des chercheurs du laboratoire Jackson dans le Maine (États-Unis) découvrent par hasard l’influence de la nature sur l’obésité, après avoir constaté que certaines de leurs souris de laboratoire devenaient anormalement « grassouillettes » en raison de la quantité de nourriture qu’elles ingéraient et du fait qu’elles semblaient toujours avoir faim. Il aura fallu 45 ans pour identifier le responsable de l’appétit insatiable des souris et de leur prise de poids : une mutation du gène dit de l’obésité. Plusieurs études n’ont pas tardé à révéler que ce gène produisait de la leptine (du grec leptós, qui signifie « mince »), une hormone qui se fixe à un récepteur dans le cerveau pour signaler la satiété. Les souris qui ne produisaient pas assez de leptine avaient faim, mangeaient et prenaient du poids.
Des études ultérieures ont démontré que le gène produisant de la leptine faisait partie d’un réseau complexe de gènes impliqués dans la voie de la mélanocortine (qui inclut aussi l’insuline) et contrôlant l’appétit.
« La leptine est une hormone produite proportionnellement à la graisse qui indique au cerveau votre niveau d’énergie », explique Roger Cone, chercheur en obésité à l’Institut des sciences du vivant de l’université du Michigan.
Les cellules adipeuses sécrètent de la leptine dans le système sanguin, qui signale la satiété au cerveau et aide à brûler les graisses. « À l’instar d’un thermostat au mur qui contrôle la température d’une pièce, le système leptine-mélanocortine contrôle la quantité d’énergie stockée sous forme de graisse, poursuit le chercheur. Plusieurs autres voies jouent aussi un rôle critique dans la détection de la leptine et la transformation de cette information en quantité d’énergie à dépenser et à stocker ».
QUELQUES MUTATIONS, PLUSIEURS VARIANTS
Les formes d’obésité causées par les mutations d’un gène unique, comme celle affectant les souris du laboratoire Jackson, seraient responsables d’un peu moins de 7 % des cas d’obésité morbide dans le monde. Seuls 6 % des enfants atteints d’obésité sévère sont porteurs de mutations au niveau de gènes uniques connus responsables de leur maladie.
Les mutations d’un gène unique, qui se manifestent dans l’enfance, sont très rares, souligne Manfred James Müller, nutritionniste à l’université Christian-Albrecht de Kiel, en Allemagne. Seule une dizaine de personnes souffrent d’une déficience génétique en leptine et 88 d’une déficience en récepteur de la leptine dans le monde.
Les autres séquences d’ADN, ou polymorphismes, sont plus fréquentes. Celles-ci donnent lieu à différentes versions d’un gène qui affectent légèrement sa fonction.
Pour tenter d’élucider les causes de caractères complexes tels que l’obésité et identifier les variants des gènes associés à une maladie particulière, les scientifiques ont recours à l’étude d’association pangénomique (Genome Wide Association Study ou GWAS).
« Nous avons extrait l’ADN de milliers voire d’une centaine de milliers d’individus », décrit Ruth Loos, directrice du Genetics of Obesity and Related Metabolic Traits Program (Programme de la génétique de l’obésité et des caractères métaboliques connexes) à l’école de médecine Icahn de Mount Sinai (États-Unis). La chercheuse et ses collègues ont ensuite comparé l’ensemble des chaînes ADN (ou génome) des personnes souffrant d’obésité avec celles d’individus affichant un poids normal. Les scientifiques ont ensuite cherché les modifications uniques de « lettre » avant d’estimer la probabilité que ces variants aient un lien avec l’obésité.
Intrigué par les raisons pour lesquelles seules certaines personnes deviennent obèses, l’épidémiologiste génétique de l’université de Nantes, Christian Dina, a comparé le génome de 2 900 patients obèses avec celui de 5 100 personnes d’un poids normal. Il a ainsi découvert que les personnes porteuses de variations spécifiques au niveau d’un gène appelé FTO présentaient un risque 22 % plus élevé de devenir obèses. Des années de recherche supplémentaires seront nécessaires pour élucider les raisons pour lesquelles ces mutations constituent un terrain propice à l’obésité ou déterminer comment elles fonctionnent.
Des études ont démontré qu’un autre variant du gène FTO, qui concerne un homme sur six en Europe, pouvait accroître le risque que ces derniers deviennent obèses de 70 %. Les personnes porteuses de ce variant FTO présentaient des niveaux plus élevés de ghréline, l’hormone de l’appétit, dans le sang, ce qui leur donne l’impression d’avoir faim peu après avoir mangé. Les études d’imagerie cérébrale des individus porteurs de ce variant génétique ont également révélé qu’ils réagissaient différemment à la ghréline et aux images de nourriture.
CE N'EST PAS UNE FATALITÉ
Tous les variants génétiques liés à l’obésité ne sont cependant pas mauvais. L’un d’eux, rare, protège même de l’obésité. Une étude réalisée auprès de plus de 640 000 personnes habitant au Mexique, aux États-Unis et au Royaume-Uni, a démontré que les individus porteurs d’une copie inactive d’un gène actif dans l’hypothalamus (qui régule la faim et le métabolisme) pesaient environ 5,3 kg de moins et avaient 50 % de chances en moins de devenir obèses comparés aux personnes porteuses de sa version active.
« La plupart des études qui mettent en évidence un lien entre le risque d’obésité et les variations génétiques n’ont cependant porté que sur des populations européennes et blanches », souligne Naji Abumrad. Ces découvertes pourraient donc ne pas être pertinentes pour les personnes d’autres origines. L’ambitieux programme de recherche All of Us pourrait contribuer à évaluer correctement l’étendue de la prédisposition génétique à l’obésité. Celui-ci a pour objectif de séquencer l’ADN d’au moins un million de personnes de divers groupes ethniques.
Selon Christian Dina, le régime alimentaire et le mode de vie sont les principales causes de l’épidémie d’obésité. « La génétique joue cependant un rôle important dans la différence de réaction à l’environnement obésogène », admet-il.
Les travaux de Christian Dina, de Giles Yeo et d’autres chercheurs démontrent que les variations de nombreux gènes impliqués dans notre comportement alimentaire peuvent être fréquemment associées à une palette de traits liés à l’obésité, comme l’IMC, l’IMG (indice de masse grasse) ou encore les niveaux de leptine dans le sang. Jusqu’à présent, les scientifiques ont identifié plus de 1 000 variants génétiques qui expliquent chacun une infime partie de la différence de poids entre les personnes. Leur association à un risque accru de prise de poids se manifeste généralement plus tard au cours de la vie du fait de l’interaction entre les gènes présumés à risque et le mode de vie, indique Manfred James Müller.
La tendance à l’augmentation de l’obésité dans le monde a cependant plus à voir avec le mode de vie plutôt qu’à une hausse significative de l’occurrence des variations génétiques d’une génération à l’autre. Des études ont d’ailleurs démontré que la consommation d’aliments frits, couplée au bagage génétique, jouait un rôle important dans la probabilité de devenir obèse.
Bien que la consommation fréquente d’aliments caloriques peut provoquer une prise de poids plus rapide chez les personnes porteuses de gènes de l’obésité, cela peut être évité par la prévention, la sensibilisation et l’activité physique.
« Ce n’est pas parce que je porte le même allèle du gène FTO que mon père que je vais devenir obèse, explique Christian Dina. Le risque de souffrir d’obésité est légèrement plus important, mais je peux l’éviter ».
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.