Le cerveau d'un foetus a été opéré in utero à l'hôpital Necker

Des chirurgiens et radiologues de l'hôpital Necker sont parvenus à sauver un fœtus qui souffrait d'une malformation anévrismale de la veine de Galien, directement dans le ventre de sa mère.

De Marie Zekri
Publication 1 août 2023, 15:47 CEST
IRM fœtale à 8 mois de grossesse, montrant une dilatation de la veine de Galien.

IRM fœtale à 8 mois de grossesse, montrant une dilatation de la veine de Galien. 

PHOTOGRAPHIE DE Olivier Naggara

Un article de l’Assistance Hôpitaux Publiques de Paris, publié mi-juin 2023, annonçait une première mondiale réalisée dans le domaine de la chirurgie prénatale. Une équipe de chirurgiens gynécologues et de neuroradiologues interventionnels sont parvenus à opérer directement le cerveau d’un fœtus, dans le ventre de sa mère. L’opération jouait un rôle de stabilisateur de l’état du cerveau et du cœur, stressés par la malformation anévrismale de la veine de Galien. Cette opération s’est déroulée dans le bloc de chirurgie anténatale de l’hôpital Necker enfants malades AP-HP le 7 septembre 2022.

 

LISANDRO 

Le geste chirurgical pratiqué par le Pr. Olivier Naggara, neuroradiologue interventionnel dans le service de radiologie pédiatrique de l’hôpital Necker, épaulé par le Dr. Grégoire Boulouis ainsi que par l’équipe de chirurgiens gynécologues Yves Ville et Julien Stirneman, a permis de donner une chance à Lisandro, alors au stade de 33 semaines d’âge gestationnel, de voir le jour quelques semaines après la découverte d’une malformation grave qui aurait pu lui coûter la vie à la naissance.

Le fœtus était atteint d’une malformation anévrismale de la veine de Galien, une grosse veine centrale du cerveau. « Cette malformation du petit Lisandro a été découverte, comme souvent pour ce type de malformations, lors de l’échographie systématique du troisième trimestre », explique le Pr Naggara. En France, c'est l'une des trois échographies systématiques à 12, 22 et 32 semaines d'aménorrhée. Dans certains cas, les malformations peuvent être dépistées dès 22 semaines, mais sont généralement découvertes à 32 semaines. 

La difficulté, pour ce type de malformations, réside dans le fait qu’il y a « à l’intérieur du crâne du fœtus, un court-circuit entre les artères et les veines, qui se retrouvent branchées alors qu’elles ne devraient plus l’être », précise le Pr. Naggara. En temps normal, un fin réseau de vaisseaux sanguins, les capillaires, assurent la distribution de l’oxygène dans le cerveau. Ils sont le lien entre les artères, qui amènent sous pression le sang du coeur au cerveau, et les veines, par lesquelles le sang retourne vers le coeur. La malformation anévrismale de la veine de Galien touche le réseau capillaire se jetant dans la veine de Galien. Ces vaisseaux, malformés et dilatés, entraînent un court-circuit entre les artères et les veines situées dans la partie centrale du cerveau. Le sang artériel et le sang veineux convergent alors, privant le cerveau de l’oxygène dont il a besoin et perturbant également le cœur, précise le Pr Yves Ville, chef du Service d’Obstétrique et de Médecine Fœtale à l’Hôpital Necker. « Sur le plan embryologique », ajoute-il, « certains vaisseaux utiles à l’embryon, finissent par se reboucher car ils perdent leur utilité ». La persistance de certains vaisseaux peut être la cause de malformations. 

Le pronostic du fœtus était très inquiétant, un risque de décès de l’ordre de 8 à 9 sur 10. L’une des difficultés majeures pour traiter cet anévrisme intracrânien était de parvenir à bien estimer les risques. L’ampoule veineuse devait notamment être assez grosse pour être vue par échographie. « La difficulté était de savoir si l’anomalie était simplement là et à surveiller, avec une possible opération à la naissance, ou si elle était trop active [pour que le fœtus s’en sorte] » explique le Pr. Ville. 

La veine visée se trouve entre les deux hémisphères du cerveau. Le Pr. Naggara explique qu’il a dans un premier temps fallu procéder à des « manœuvres externes » sur le ventre de la mère, afin que l’enfant ait la bonne position pour l’opération, et présente ainsi « sa nuque dans la partie la plus convexe de l’abdomen de la maman ». C'est là le caractère essentiel d’une collaboration pluridisciplinaire dans les équipes chirurgicales, car une partie de l'opération reposait sur l’expertise obstétricale. Tout au long de l'intervention durant laquelle mère et enfant sont anesthésiés, un suivi continu est fait par échographie pour guider le geste chirurgical.

Comprendre : La grossesse

Les chirurgiens ont ainsi pu placer un cathéter qui a traversé l’utérus de la mère, puis le crâne du fœtus, pour pouvoir y déployer un coil, filament de platine de 5 mètres. Tout geste sur l’utérus peut entraîner une réaction qui rompt la poche des eaux au niveau du col. Dans la préparation de l’opération, il était donc nécessaire de « repérer le placenta pour le mettre à distance de l’aiguille et ainsi éviter de percer la poche des eaux et de provoquer un accouchement prématuré », précise le Pr. Naggara. Cependant, étant donné que « la poche est collée à la paroi utérine », ajoute le Pr. Ville, elle laisse passer la seringue pour venir se refermer naturellement.

L’embolisation consiste alors à remplir la varice de stents, petits tubes expansibles qui jouent un rôle d’écarteurs. Le coil, lui, vient s’enrouler et former « une espèce de grosse éponge, qui n’empêche pas le sang de circuler, mais qui ralentit considérablement la circulation au sein de ce rond-point trop utilisé, de façon à empêcher ce vol de l’oxygène qui devait être délivré au cerveau », précise le Pr. Ville. 

Cette opération est particulière, car elle a permis d’opérer « dans l’utérus directement au niveau cérébral, une malformation vasculaire », explique Pr. Naggara. « La grande difficulté était d'ordre technique », ajoute le Pr. Ville. 

 

LES OPÉRATIONS INTRA-UTÉRINES

Ce n’est pas la première opération in utero. « Il y en a tous les jours et depuis des années. Elles vont s’intéresser à d’autres domaines », précise le Pr Naggara. Il ne s’agit pas non plus de la première opération neurologique in utero. Les deux spécialistes expliquent que des opérations de neurochirurgie sont souvent faites au niveau du dos du fœtus, notamment pour des cas de spina bifida, une anomalie de la colonne vertébrale. 

« La chirurgie intra-utérine est née au début des années 1980, essentiellement d’une réflexion des chirurgiens pédiatres américains », explique le Pr Ville. « On a pendant longtemps pensé qu’on pouvait opérer un fœtus comme on opérait un enfant ». Cette vision conduisait initialement à faire une césarienne temporaire où le fœtus était extrait, mais laissé en communication avec son placenta via son cordon, avant d’être replacé dans l’utérus. Cependant, ces techniques développées initialement sur des espèces d’animaux plus résistantes à ce type d’interventions que la nôtre, comme le mouton, se sont avérées être un échec. 

Ont ensuite été développées des techniques « beaucoup moins invasives » au début des années 1990 à San Francisco, notamment pour des interventions cardiaques sur fœtus. Ces techniques sont basées sur le contrôle échographique, nettement amélioré grâce aux progrès technologiques majeurs de ces dernières années. « La médecine fœtale est basée sur une appréciation du pronostic », explique le Pr Ville. « Il est exceptionnel que l’on puisse dire 0 ou 100 % de risques, bien qu’il y ait un tournant symbolique entre 50 et 60 %. Elle ne s’adresse qu’à des malformations particulières qui peuvent s’aggraver pendant la grossesse, causant soit le décès de l’enfant à la naissance, soit des pathologies graves et irréversibles. »

La philosophie de la chirurgie in utero est de « mettre le pied dans la porte pour éviter que ce que l’on voit in utero ne continue à s’aggraver pendant toute la grossesse et rende tout traitement impossible à la naissance », explique le Pr. Ville. Il s’agit d’empêcher l’évolution d’une malformation plutôt que de chercher une guérison complète. 

Le Pr Ville explique qu’il n’y a pratiquement aucune situation où la malformation ou la maladie est complètement guérie dans l’utérus. Exceptée une, qu’il a lui-même développée dans les années 1990, où c'est le placenta qui dysfonctionne. Dans le cas d’une grossesse gémellaire, où les jumeaux partagent le même placenta, il peut arriver que ce placenta commun dysfonctionne. L’un des jumeaux reçoit trop d’éléments nutritifs de la mère, et l’autre pas assez. Il s’agit du « syndrome transfuseur-transfusé». La technique chirurgicale mise au point consiste alors à « séparer le placenta en deux, en coagulant avec un laser tous les vaisseaux qui communiquent entre les deux parties du placenta qui sont dévolues à chaque jumeau ».

Le Pr Naggara définit trois options lors de la découverte d’une malformation. Soit la malformation met le cœur et le cerveau en grand stress, auquel cas l’enfant n’a pas d’issue de survie à la naissance. Une intervention thérapeutique de grossesse peut alors être proposée à la mère. À l’inverse, si les deux organes sont peu stressés, un suivi rapproché peut être adopté. Enfin, ce qui était d’ailleurs le cas du petit Lisandro, « on voit le cœur en stress et on voit que le cerveau pourrait être endommagé mais ne l’est pas encore ». La gravité de la malformation va engendrer des séquelles irréversibles. C’est à ce moment-là qu’il est nécessaire d’avoir recours à la chirurgie fœtale. 

C’est une médecine probabiliste, mais également pluridisciplinaire. Elle requiert des compétences pédiatriques, radiologiques, biologiques, et les professionnels de santé proposent une issue à la mère qui a une participation active dans la réflexion. « En France, [où une échographie systématique de troisième trimestre est proposée] une femme enceinte, lorsqu’elle est informée correctement du pronostic de la maladie ou malformation qui atteint son fœtus, a la possibilité […] de demander une interruption médicalisée de grossesse » ou IMG.

La possibilité du recours à cette interruption « sauve ainsi beaucoup plus de fœtus qu’elle n’en condamne », explique le Pr Ville. « Dans beaucoup de pays, où c’est soit impossible, soit limité dans le temps, à un terme très précoce, cela ne permet pas d’apprécier le pronostic médical. Beaucoup de femmes ont alors recours à une interruption rapide et précoce, alors que le fœtus aurait pu être sauvé ».

Le Pr Ville insiste aussi sur l’importance de considérer le risque de maladies infectieuses chez la mère, comme le cytomégalovirus, qui peut être l'une des causes de malformations chez le fœtus. La thérapie génique peut également être une piste pour l’avenir du traitement des malformations congénitales. 

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