Musicothérapie : de nouvelles approches thérapeutiques font leurs preuves
Les effets bénéfiques et curatifs de la musique, reconnus depuis l'Antiquité, sont désormais reconnus par la science.
Mains jouant sur un ancien bol de chant tibétain en musicothérapie.
La musicothérapie présente de nombreux bienfaits, que des études confirment depuis plusieurs années déjà. L'une des dernières en date, dont une synthèse a été publiée dans la revue American College of surgeons, souligne l’intérêt de la musicothérapie pour les patients au lendemain d’une opération. L'étude indique notamment une baisse de la sensation de douleur, de l’anxiété et même de la fréquence cardiaque.
Pour Patrick Berthelon, Directeur de l’Atelier de Musicothérapie de Bourgogne (AMB), ce n'est toutefois pas la musique qui soigne sur le long terme, mais bien le thérapeute qui, par son écoute et son approche, utilise la musique et le sonore comme un moyen de rétablir le lien avec les individus. Il ne suffit pas, souligne-t-il, d’être musicien pour se considérer musicothérapeute. Ce métier requiert une formation spécialisée dispensée par trois centres reconnus par la Société Française de Musicothérapie (SFM). Ce parcours inclut des connaissances sur divers aspects, tels que le rôle du sonore dans le développement humain, la psychologie, la structuration psychique des individus, ainsi que la communication et la socialisation.
La fiche métier du musicothérapeute, amendée en 2010 par la Société Française de Musicothérapie, précise les missions et activités des professionnels, les approches possibles, les types de publics ainsi que les conditions de travail et de formation. Cette définition vise à encadrer le métier et à garantir les compétences nécessaires pour exercer la musicothérapie de manière efficace. La SFM impose de surcroit un code de déontologie à tous les praticiens auxquels elle accorde un agrément.
Qu’il s’agisse d’enfants, de personnes âgées, de patients atteints de troubles du neurodéveloppement (TND), de maladies neurodégénératives, une approche pluridisciplinaire existe pour chaque cas clinique et elle est essentielle. « Nous avons un médecin, un musicothérapeute et un psychologue derrière chaque cas, ce qui permet d’échanger sur l’évolution clinique du patient et les bienfaits de la thérapie par la musique » assure Patrick Berthelon. Car, poursuit-il, « le lien intrinsèque entre la musique et le développement humain est établi ».
UN PONT VERS LE PASSÉ ARCHAÏQUE
Lors d’une conférence en juin 2017, Patrick Berthelon a proposé l’écoute d’un enregistrement intra-utérin pour illustrer la manière dont l’être humain se développe et évolue en rythme dès le début et tout au long de sa vie. Le bébé à naître entend les sons et le rythme provenant du corps de sa mère, sa respiration, les battements de son cœur qui peuvent parfois s’accélérer et avoir une incidence sur son propre rythme. Il perçoit aussi la musique de sa voix quand elle parle ou chante, le rythme de ses pas, ainsi que tous les sons qui proviennent de l’extérieur.
L’environnement sonore intra utérin, conforté par l’apport de cortisol, permet à l’enfant de développer des fonctionnalités physio et psycho sonores qui seront essentielles à son adaptation à son environnement ainsi qu’au développement de ses capacités de communication. Cette rythmique et cette musicalité l’accompagneront toute son existence et pourront représenter, si besoin, un outil au cours d’une musicothérapie. Le professionnel peut reconnecter le patient à ses souvenirs archaïques par le son, le jeu et la musique.
Christelle Cardin, musicothérapeute, dispense une séance de musicothérapie à un patient déficient qui n'a pas accès au langage verbal. Elle travaille, ici en particulier, l'attention, le lien thérapeutique par un accordage synchronique rythmique et la communication, à travers ces échanges autour d'une conga.
La musicothérapie se décline en deux approches : la musicothérapie « active », qui inclut le chant et le jeu d’instruments, et la musicothérapie « réceptive », centrée sur l’écoute musicale. En intégrant la musique dans les soins, il est possible de favoriser la communication et le lien social et de valoriser les patients au-delà de leurs pathologies. Cette approche humanisante et respectueuse améliore la qualité de vie des patients en prenant en compte leur histoire et leurs émotions. Elle leur permet en outre de se reconnecter à leur passé, « de revivre des moments précieux et de renforcer le sentiment d'identité et de dignité », souligne Patrick Berthelon.
Le cas clinique de B. montre les bénéfices de la musicothérapie, combinée à une prise en charge médicale dans le cadre du traitement de la schizophrénie. Âgé de trente-deux ans, B. a eu une enfance marquée par des violences et des tentatives de suicide, qui l’ont conduit à intégrer plusieurs structures de soins. Ses séances de musicothérapie avec Agnès Pinardel, musicothérapeute au sein de la Maison d’Accueil Spécialisée (MAS) du docteur Gachet de Créteil) ont été entrecoupées de pauses dont l’une a duré trois mois. À son retour, il avait un comportement anxieux et le besoin compulsif de porter sa doudoune et ce, quelle que soit la saison. Ce besoin de protection (la doudoune symbolisant une armure) a été interprétée comme une stratégie d’évitement du collectif et des émotions ressenties comme difficiles. Mais au fil des séances, B. a progressivement développé des liens de confiance, restauré son estime de soi et (re)sociabilisé tant avec l’équipe thérapeutique qu’avec les autres patients, écoutant leurs histoires, laissant émerger la sienne, prouvant son engagement dans la thérapie.
L’approche thérapeutique consistant à combiner des activités de musicothérapie active (à l’aide d’instruments) et réceptives (écoute musicale) a peu à peu permis à B. de partager ses émotions, des expériences personnelles et de s’exprimer notamment sur des sujets sensibles comme les agressions dont il a été victime ou la perte de son père.
FAIRE REMONTER DES SOUVENIRS
La musicothérapie se révèle également être un outil puissant, particulièrement bénéfique pour les personnes âgées, notamment dans les établissements gériatriques. Un Ehpad situé à Fleurey-sur-Ouche en Côte-d’Or a investi la musicothérapie depuis une vingtaine d’années, devenant un « laboratoire » des prises en charge en musicothérapie sous l’égide de l’ARS de Bourgogne-Franche-Comté.
Les ateliers musicaux participent à raviver la mémoire collective et individuelle des participants, transformant la musique en un véritable atelier thérapeutique. Les rythmes et les mélodies évoquent des souvenirs permettant aux patients de se raccrocher à leur histoire et de sortir de leur isolement.
Musicothérapie dans le traitement de la démence sur un sujet femme âgé.
M., âgé de soixante-seize ans, d’origine marocaine, réside dans un Ehpad. Il souffre de désorientation temporo-spatiale, de troubles mnésiques, d’hallucinations et de solitude sociale. Il a été pris en charge conjointement par Patrick Berthelon et Maïwenn Leguyader, psychothérapeute et musicothérapeute, qui ont initié une musicothérapie d’une trentaine de séances pour stimuler sa mémoire et favoriser l’expression de ses émotions.
Ayant peu d’informations sur la vie du patient, l’observation de la décoration des murs de sa chambre et de quelques objets personnels a permis de cerner sa personnalité. L’apprentissage de quelques mots simples en marocain a également facilité la communication entre les thérapeutes et M. Ils ont alors eu l’idée d’introduire la comptine marocaine Achmicha Lalla, qui a fait remonter les souvenirs de sa mère chantant pour lui. Cette comptine est devenue un rituel d’ouverture des séances de musicothérapie de M., renforçant ainsi le lien thérapeutique. Car dès lors, M. a exprimé des désirs musicaux, témoignant d’une connexion à sa culture, à son histoire et à ses émotions.
La musicothérapie peut ainsi être un véritable soutien psychique qui donne aux patients les moyens de hiérarchiser leurs expériences dans un espace d’écoute, sans jugement. Elle offre aussi une accalmie dans le tumulte, agissant comme un pansement sur les blessures psychologiques des patients. Mais ces deux exemples soulignent également l’importance d’un suivi continu pour évaluer les effets positifs de la musicothérapie sur le long terme.
Dans le cadre de ces musicothérapies personnalisées, les instruments utilisés, les musiques, les chansons choisies, prennent racine dans le patrimoine social et culturel des patients et favorisent un sentiment d'appartenance, de rattachement et de bien-être. « Ces moments ne sont pas de simples animations, mais de véritables séances thérapeutiques où la musique devient un catalyseur de souvenir et d'émotions permettant un processus de réparation », insiste le musicothérapeute. Dans un contexte de solitude, de souffrance et d’enfermement, surtout chez les résidents atteints de maladies psychiques ou neurodégénératives comme Alzheimer, la musicothérapie aide à rétablir des connexions avec leur histoire personnelle, mais surtout, de les reconnecter à leurs émotions.
Et justement, l’émotion de Patrick Berthelon est palpable lorsqu’il partage les bienfaits de la musicothérapie et ses actions dans ce domaine afin de voir cette discipline évoluer et apporter des éclairages et des solutions concrètes. On ressent sa profonde humanité et une réelle passion pour la musique, qu’il pratique par ailleurs depuis sa petite enfance, mais aussi un engagement profond pour les besoins des patients. « La musique réaccorde le corps et l'esprit » souligne Patrick Berthelon, « là est le rôle essentiel de la musicothérapie dans le processus de bien-être et de reconnexion à soi ».
