France : comment s'organise l'entraide contre les violences faites aux femmes ?

Selon les Nations Unies, toutes les dix minutes, une femme dans le monde est tuée par un proche. Les nouvelles technologies permettent aujourd'hui aux femmes et aux minorités de genre de reprendre le contrôle et d'organiser l'entraide.

De Amandine Venot
Publication 25 nov. 2024, 16:01 CET
Dans le cadre de la Journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes, ...

Dans le cadre de la Journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes, un rassemblement s'est tenu place Bellecour à l'invitation des femmes du Rhône.

PHOTOGRAPHIE DE FRANCK CHAPOLARD / Alamy Stock Photo

Le 25 novembre est la Journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes. À ce jour en France, 122 féminicides ont été recensés pour la seule année 2024. Chaque année, 94 000 femmes sont victimes de viol ou tentative de viol et 215 000 femmes sont victimes de violences conjugales, physiques ou sexuelles, de la part de leur conjoint ou ex-conjoint.

De plus en plus, les nouvelles technologies se mettent (aussi) au service de la protection des femmes. En France, Priscillia Routier-Trillard a par exemple créé l’application The Sorority, basée sur un système d’entraide communautaire, premier pilier de l’application où uniquement les femmes et personnes issues des minorités de genre (personnes agenre, trans, non-binaires) peuvent se connecter. Elle permet, grâce à un bouton d’alerte, d’envoyer un signal aux cinquante personnes les plus proches de sa localisation. L’outil s’est déjà avéré précieux dans des situations d’urgence, le soir dans les transports en commun, au retour du travail ou de l’école, en soirée ou en festival. L’application peut aussi être utilisée dans les cas de violences conjugales ou intra-familiales, qui requièrent un processus d'entraide différent.

Après le déclenchement de l’alerte par la victime, les cinquante personnes les plus proches auront l’occasion de l’appeler, de lui parler, d’appeler les autorités locales pour elle, et même de la rejoindre si besoin. L’application peut aussi être utile pour les femmes en voyage et expatriées puisqu’elle est disponible partout dans le monde en treize langues, bientôt quinze avec l’ajout prochain du polonais et du néerlandais.

 

UNE COMMUNAUTE INFAILLIBLE ?

Une communauté d’entraide exclusivement féminine certes, mais est-elle infaillible ? Priscillia Routier assure qu’un contrôle d’identité efficace a été mis en place. « Tous les profils sont entièrement sécurisés à la main, dans le respect du RGDP [le règlement général de protection de données, ndlr] ». En effet, pour créer un profil, il est nécessaire que les utilisatrices prennent une photo de leur visage sur le moment, et téléchargent une copie d’une pièce d’identité. Une fois le compte modéré, assure-t-elle, qu’il soit supprimé ou accepté, les données de validation sont immédiatement supprimées. 

« Ce premier sas de sécurité permet de détourner les personnes malveillantes, qui tenteraient de s’inscrire », explique la créatrice. « Dans les cas où elles réussiraient à rentrer malgré tout, elles seraient surveillées en permanence », ajoute-t-elle. L’entraide communautaire, pilier de l’application, sert aussi de vigile, de gardien de sécurité qui en cas de comportement anormal d’un utilisateur, le signalerait immédiatement à une adresse dédiée qui permet par la suite de bannir les profils suspects. « C’est là toute la beauté de l’application, la communauté est vigilante », affirme sa créatrice.

Pour optimiser cette vigilance, les utilisatrices peuvent faire « des entraînements tous les mois afin de mieux savoir comment prendre en main l’application, comment demander de l’aide et comment en apporter », informe-t-elle. Par exemple, « il y a énormément de contenus pour casser ce que l’on appelle l’effet de sidération et pour adopter les bons réflexes ». 

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    En plus de ce réseau d’entraide, The Sorority met aussi en contact les victimes avec les associations et les forces de polices locales. « Ils nous connaissent [et] lorsque l’une des membres de la communauté les contactent, ils peuvent intervenir plus rapidement ». 

    Des inquiétudes au sujet de la fonction de localisation en temps réel ont aussi émergé. La créatrice précise à ce sujet que « dès lors que l’application est fermée par la victime, il n’est plus possible de suivre sa géolocalisation ». Ainsi, « la position en temps réel des utilisatrices n’est pas connue et ne peut pas servir d’arme aux personnes malintentionnées ».

     

    UNE ENTRAIDE PLANÉTAIRE ?

    En très peu de temps, les femmes et personnes issues de minorités de genre ont fait confiance à ce type d'applications, partout dans le monde. Aujourd’hui, 500 000 personnes ont téléchargé l'application et 220 000 profils ont été validés, 14 500 lieux sûrs sont proposés, soit chez des personnes qui sont d’accord pour ouvrir leur porte, soit dans des établissements commerciaux qui se placent en soutien des victimes durant leurs horaires d’ouverture. 

    « La grande force de notre système d’entraide communautaire est de pouvoir s’aider les un.e.s les autres sans jamais se juger, puisque des inconnu.e.s n’ont aucun a priori sur la situation des victimes », souligne Priscillia Routier-Trillard. « Ces dernières peuvent ainsi avancer plus vite sans se demander si elles se trompent, ou si la situation est tout simplement immuable ». 

    Pour Priscillia Routier-Trillard, le défi pour les prochains mois sera de rendre plus performant le système de modération manuelle des profils. « Les derniers chiffres sont gigantesques, nous avons dû modérer 120 000 profils en l’espace de cinq jours. Autant dire que nous n’avons pas beaucoup dormi ». Une solution serait de « faire appel de plus en plus à de nouvelles technologies pour nous aider, cela nous soulagerait d’un poids important », affirme-t-elle. 

    Pour répondre à cela, « nous ne sommes pas à l’abri de créer notre propre outil grâce à l’intelligence artificielle, tout en gardant la main sur ce que nous sommes en train de faire », explique-t-elle. « Nous pensons qu'une dernière étape de modération à la main sera toujours nécessaire, quoi qu’il arrive ». 

    À l'avenir, la créatrice de The Sorority souhaite encore agrandir cette communauté d’entraide aux régions les plus reculées ou les plus dangereuses pour les femmes. Plus la communauté sera grande, plus elle sera efficace, a fortiori dans des pays où les violences faites aux femmes sont encore nombreuses comme la Colombie, le Mexique, la Côte d’Ivoire, la République Démocratique du Congo.

    D'autres applications de lutte contre les violences faites aux femmes comme App-elles ou Garde ton corps sont accessibles sur l'App store et Play Store.

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