Manger peu de temps avant de se coucher fait-il grossir ?

Selon une nouvelle étude, votre corps réagit différemment à une calorie absorbée le matin et à une calorie absorbée le soir.

De Tara Haelle
Publication 8 nov. 2024, 17:18 CET
Un casse-croûte nocturne, voilà qui peut sembler une bonne idée. Mais manger juste avant de se ...

Un casse-croûte nocturne, voilà qui peut sembler une bonne idée. Mais manger juste avant de se coucher perturbe les hormones régulant la sensation de faim et de satiété.

PHOTOGRAPHIE DE Vasiliy Budarin / Alamy Banque D'Images

Manger plus tard le soir ou même quelques heures avant de se coucher contribue à plusieurs changements métaboliques qui accroissent la sensation de faim et qui pourraient favoriser le risque de prendre du poids sur le long terme.

De nombreuses études ont déjà mis en évidence le fait que les repas nocturnes sont corrélés à la prise de poids ou à l’obésité, mais la plupart de ces études sont observationnelles, et peu expliquent pourquoi manger plus tard pourrait avoir quelque lien que ce soit avec le fait de grossir. Des chercheurs, à l’origine d’une étude publiée dans la revue Cell Metabolism, ont entrepris de trouver une réponse à ce problème en contrôlant non seulement les calories ingérées par les participants, mais aussi leur temps de sommeil et la quantité d’efforts physiques pratiqués afin de découvrir en quoi le fait de manger plus tard serait susceptible d’affecter le poids.

Une des conclusions les plus importantes de leur étude est qu’une « calorie est une calorie, mais que la réaction de votre corps à cette calorie n’est pas la même le matin et le soir », révèle Frank A.J.L Scheer, auteur principal de l’étude et neuroscientifique de la Harvard Medical School.

D’après Nina Vujovic, neuroscientifique et titulaire d’une bourse postdoctorale de la Harvard Medical School pour mener cette étude, cette découverte corrobore de précédentes recherches montrant que l’indice glycémique d’un aliment (la façon dont celui-ci affecte le taux de sucre dans le sang après un repas) varie selon le moment de la journée auquel il est consommé. Le défi que rencontrent les gens pour manger aux heures les plus saines, ajoute-t-elle, est que beaucoup n’ont pas d’horaires réguliers ou qu’ils n’ont tout simplement pas la maîtrise de leur emploi du temps.

En réalisant la présente étude, Nina Vujovic s’est aperçue que le fait de manger dans les quatre heures précédant le coucher affecte deux hormones liées à la faim. Les jours où les participants mangeaient plus près de l’heure du coucher, ils brûlaient également moins de calories et leur tissu adipeux présentait des signes de changements moléculaires suggérant que leur corps convertissait plus facilement les calories en réserves de graisse.

Ce qui a le plus surpris Frank A.J.L. Scheer est le fait que manger plus près de l’heure du coucher affectait l’ensemble des facteurs qu’ils ont mesurés et pas uniquement un ou deux d’entre eux. « Dans le domaine de la nutrition, je pense que la résistance de longue date à l’idée qu’en matière d’alimentation, le timing est important, se fonde sur l’idée simpliste qu’une ‘calorie est une calorie’ », qui sous-entend que le moment auquel elle est absorbée ne compte pas. « Alors que cela compte », insiste-t-il.

Toutefois, les auteurs reconnaissent que leur étude n’a pas été conçue pour découvrir si le fait de manger plus près de l’heure du coucher sur le long terme serait susceptible d’entraîner une prise de poids avec le temps ou si le corps pourrait en fait s’adapter à un tel horaire.

C’est la principale critique adressée par Ali Zentner, médecin spécialiste de la gestion du poids et directrice médicale de la Revolution Medical Clinic, à Vancouver, au Canada. « Cette étude révèle une facette de la réaction physiologique [du corps] au moment auquel on s’alimente, ce que nous savions déjà grâce à des modèles animaliers, indique-t-elle. La question est, est-ce que cela affecte le poids, et si oui, de quelle manière ? Aucune réponse n’a été apportée. » 

Ce qui préoccupe le plus Ali Zentner au sujet des études comme celle-ci, c’est que « nous essayons de nous éloigner de l’idée que le poids est un comportement, et tout ce que [cette étude] fait est de promouvoir cette conclusion impropre selon laquelle si vous vous contentez de manger à une heure différente, vous perdrez du poids. » Au contraire, selon elle, des preuves toujours plus nombreuses concernant le jeûne intermittent et les repas à horaires réguliers suggèrent qu’il ne s’agit pas de stratégies très efficaces pour perdre du poids. Elle ajoute que seules cinq femmes ont participé à l’étude et qu’à l’exception de quatre personnes obèses, les participants n’étaient qu’en situation de surpoids modéré. Ainsi, il est difficile de dire si les résultats de l’étude pourraient valoir pour un groupe plus diversifié.

 

CIRCONSCRIRE L’EFFET ATTRIBUABLE À L’HEURE DE PRISE DES REPAS

Chacun des seize participants a suivi deux scénarios expérimentaux de six jours séparés par une pause de plusieurs semaines. Ce plan d’étude croisé a permis d’observer les effets des deux horaires de prise de repas chez le même individu.

Dans une configuration comme dans l’autre, les participants dormaient de minuit à 8h00, déjeunaient à 13h00, et consommaient le même nombre et le même type de calories. Cependant, durant la semaine des « repas avancés », ils petit-déjeunaient à 9h00 et dînaient à 17h30. Lors de la semaine des « repas retardés », le déjeuner était leur premier repas et était suivi par un dîner à 17h30, puis un souper à 21h30. Tout au long de ces deux semaines, les chercheurs ont évalué la sensation de faim et les dépenses énergétiques des participants et ont mesuré leurs taux d’hormones au moyen de prises de sang.

« Cette étude est bien parce qu’elle est très contrôlée, et elle a la capacité de vraiment mettre en évidence certains effets physiologiques de l’alimentation tardive, ce que certaines études observationnelles sur patients en ambulatoire ne permettent pas », commente Kelly C. Allison, directrice du Centre des troubles alimentaires de l’École de médecine Perelman de l’Université de Pennsylvanie. Plusieurs résultats corroborent ceux d’études qu’elle a réalisées, et plus particulièrement le fait que l’on brûle moins de graisse quand on grignote la nuit.

D’après ses résultats, par rapport à ceux qui mangent tôt, ceux qui mangent tard sont 10 à 20 % plus susceptibles d’avoir faim pendant les heures de veille, en particulier le matin, et d’avoir une envie irrésistible d’aliments riches en amidon ou de viande. En accord avec ces résultats, ceux qui mangeaient tard affichaient un taux de leptine inférieur de 16 % par rapport à ceux qui mangeaient tôt et voyaient varier le moment où leur taux de ghréline atteignait son pic ou diminuait. Bien que souvent considérée comme l’« hormone de la satiété », la leptine est une hormone produite par des cellules adipeuses qui disent au cerveau « quelle quantité d’essence il reste dans le réservoir », explique Ali Zentner. La ghréline est quant à elle une hormone gastro-intestinale qui stimule la faim.

Les divergences entre sensation de faim et taux de leptine et de ghréline subsistaient malgré le fait que les participants aient absorbé le même nombre et le même type de calories dans les deux scénarios à heures fixes. Par ailleurs, la durée et la qualité du sommeil des participants ne changeaient pas, qu’ils aient mangé plus tôt ou bien plus tard. Néanmoins, ceux qui mangeaient plus tard ont brûlé cinquante-neuf calories de moins en moyenne durant la journée que ceux qui mangeaient plus tôt.

Sept participants, dont deux femmes, ont accepté de subir une biopsie du tissu adipeux, situé juste sous la peau. En analysant l’activité des gènes dans ces échantillons, les chercheurs ont découvert que le fait de manger plus tard inhibait l’activité de plusieurs gènes dont le rôle est de dégrader les graisses tout en activant plusieurs autres gènes liés au stockage du gras.

Avec si peu de participants et une étude si courte, les chercheurs n’ont toutefois pas été en mesure d’affirmer avec certitude que le fait de manger plus tard ralentissait bel et bien la dégradation des graisses et accroissait leur rétention.

 

LE MOMENT DU REPAS EST IMPORTANT, MAIS PEUT-ÊTRE PAS POUR PERDRE DU POIDS

En définitive, l’étude remet en cause l’adage classique selon lequel l’équilibre énergétique ne tient qu’à « l’absorption et à la dépense de calories », note Satchidananda Panda, biologiste spécialiste du rythme circadien de l’Institut Salk d’études biologiques L’étude suggère plutôt que le métabolisme varie à différents stades du rythme circadien d’une personne (l’horloge interne). Même en consommant le même nombre de calories, « en modifiant le moment où ces personnes les absorbaient, le taux de dépense calorique change en fait de manière spectaculaire », affirme-t-il.

Mais selon lui, il est tout aussi simpliste de suggérer que « le fait de manger tard le soir est mauvais pour vous », surtout quand on sait qu’une part non négligeable de la population travaille à différents moments du jour et de la nuit. En s’appuyant sur des recherches qu’il a conduites et sur d’autres études, Satchidananda Panda formule une recommandation différente : évitez de manger durant la première heure après le lever, moment où le taux de cortisol est au plus haut et peut avoir un effet sur la glycémie et essayez d’éviter à la fois de manger et de vous exposer à une lumière intense dans les trois heures qui précèdent le coucher.

Selon lui toutefois, la raison d’être de ces recommandations n’a rien à voir avec le fait de perdre du poids. Dans ses recherches, les changements de poids sont indépendants d’autres bienfaits métaboliques observés lorsque l’on évite de manger dans les quatre heures qui précèdent le coucher tels qu’une baisse de la tension artérielle, une glycémie et un taux de cholestérol plus bas.

Ali Zentner en convient, les conclusions de l’étude ne sont pas d’une grande aide en matière de gestion du poids, en particulier pour les personnes déjà atteintes d’obésité.

Mais cela ne signifie pas qu’il n’y a rien à tirer de l’étude pour la personne moyenne, en particulier en ce qui concerne la santé métabolique indépendamment du poids.

« C’est un vrai changement dans la façon de penser des gens, ce fait que votre corps change jour et nuit et qu’il ne réagit pas à l’ingestion de nourriture de la même manière », observe Frank A.J.L. Scheer. Par exemple, le corps répond d’une manière totalement différente aux aliments à haute teneur en glucides le matin et le soir.

Le matin, votre corps s’en sort bien, le taux de sucre dans le sang ne monte pas trop et il retombe relativement vite, rappelle-t-il. Si vous mangez le même repas le soir, ce taux grimpe bien plus et reste élevé plus longtemps.

Pourtant, même ces résultats sont susceptibles de changer selon le rythme circadien et les habitudes d’une personne donnée.

« Cela va en partie dépendre de l’heure à laquelle on se couche et de celle à laquelle on se lève », précise Kelly C. Allison. Les participants à l’étude étaient au lit de minuit à 8h00, soit la durée parfaite selon Satchidananda Panda. Ce dernier précise toutefois qu’il est tout aussi important pour les personnes qui font les trois-huit et pour les travailleurs n’ayant pas des habitudes de sommeil nuit-jour « typiques » de passer huit heures consécutives au lit à un autre moment de la journée.

En effet, le travail et les pressions sociales entrent en ligne de compte.

« Dans un monde idéal, nous conseillerions de commencer à manger plus tôt dans la journée et d’arrêter de manger plus tôt dans la journée, mais voyons les choses en face, pour la plupart, nous ne serons jamais en mesure de nous tenir à de tels horaires pour une multitude de raisons, dont beaucoup sont d’ordre social, car nous sommes des êtres sociaux, concède Kelly C. Allison. Donc je pense que le meilleur conseil clinique que nous puissions donner, sur la foi des preuves que nous avons récoltées jusqu’ici, est de dire : "Dînez le plus tôt possible, puis essayez de fermer la porte de votre cuisine." »

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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