On sait enfin qui a acheté le squelette de dinosaure le plus cher du monde

Personne ne savait qui était cet acheteur anonyme qui en 2020 avait acquis pour 31,8 millions de dollars le squelette du Tyrannosaurus rex surnommé Stan. Abou Dabi vient de confirmer qu'un nouveau musée allait accueillir le précieux squelette.

De Michael Greshko
Publication 23 mars 2022, 17:26 CET, Mise à jour 25 mars 2022, 19:41 CET
Stan in Abu Dhabi

Son squelette à nouveau assemblé et monté, le fossile de Tyrannosaurus rex connu sous le nom de Stan apparaît en grand sur cette image fournie par l'émirat d'Abou Dabi, qui prévoit d'accueillir le fossile dans un nouveau musée d'histoire naturelle en cours de construction dans la capitale des Émirats arabes unis.

PHOTOGRAPHIE DE Département de la culture et du tourisme, Abou Dabi

Depuis le 5 octobre 2020, un mystère de la taille d'un dinosaure plane sur le monde de la paléontologie : qui a bien pu payer 31,8 millions de dollars pour le célèbre squelette de Tyrannosaurus rex connu sous le nom de Stan, le fossile le plus cher jamais vendu aux enchères, et que comptait en faire l'acheteur ?

Aujourd'hui, nous avons enfin la réponse. Stan sera la vedette d'un nouveau musée d'histoire naturelle à Abou Dabi, la capitale des Émirats arabes unis.

Il y a quelques mois, National Geographic a suivi la trace de Stan, et grâce aux registres commerciaux américains, est parvenu à identifier une cargaison de 5,6 tonnes d'une valeur de 31 847 500 dollars - le prix de vente exact du squelette de Stan - exportée de New York vers les Émirats arabes unis en mai 2021. Le ministère de la Culture et du Tourisme d'Abou Dabi vient de confirmer que Stan prendrait place dans le futur musée d'histoire naturelle d'Abou Dabi, un musée de 35 000 mètres carrés en construction sur l'île de Saadiyat, un quartier culturel très en vue dans le plus grand et le plus riche des sept cheikhs qui composent l'État du golfe Persique.

Le musée d'histoire naturelle d'Abou Dabi, dont la construction devrait être achevée en 2025, a pour projet ambitieux de retracer l'histoire de la vie sur Terre, en mettant l'accent sur la flore et la faune de la péninsule arabique, ainsi que l'histoire de l'univers, qui s'étend sur 13,8 milliards d'années.

Les autorités d'Abou Dabi ont également révélé l'achat d'un fragment de la météorite de Murchison, une météorite riche en carbone qui s'est brisée au-dessus de l'Australie en 1969. Depuis des décennies, cette météorite offre aux chercheurs des aperçus uniques de la chimie du système solaire naissant. Elle contient même des « grains présolaires » vieux de sept milliards d'années, soit avant la formation de notre soleil.

« L'histoire naturelle a une nouvelle maison ici à Abou Dabi, et nous allons raconter l'histoire de notre univers à travers certains des spécimens les plus incroyables connus de l'humanité », a déclaré Mohamed Khalifa al Mubarak, président du département de la culture et du tourisme d'Abou Dabi, dans une déclaration à National Geographic. « Ce sont des dons rares de la nature que nous sommes fiers de protéger et de partager avec le monde. »

LE VOYAGE DE STAN LE T. REX

La révélation de la nouvelle demeure de Stan est le dernier chapitre de la saga sur l'un des squelettes de T. rex les plus connus au monde. Déterré sur un terrain privé du Dakota du Sud au début des années 1990, le fossile vieux de 67 millions d'années a passé plus de deux décennies au Black Hills Institute of Geological Research à Hill City, dans le Dakota du Sud. Black Hills vend des fossiles, des répliques de fossiles et des expositions aux musées et aux collectionneurs privés. 

L'institut n'avait pas prévu de vendre le T. rex de près de 12 mètres de long : les os du fossile étaient exposés dans le musée de l'entreprise et ont été moulés pour fabriquer des centaines de répliques du T. rex exposées dans des musées du monde entier et chez des collectionneurs privés. Mais après un conflit juridique entre les frères Pete et Neal Larson, deux des plus gros actionnaires de l'entreprise, un juge a ordonné la vente du fossile en 2018. Il y a dix-sept mois, le T. rex s'est vendu aux enchères chez Christie's pour 31,8 millions de dollars (soit près de 29 millions d'euros), le montant le plus élevé jamais payé aux enchères pour un fossile, toutes espèces confondues.

En janvier 2022, des internautes ont remarqué un crâne ressemblant à celui de Stan à l'arrière-plan d'une apparition de l'acteur Dwayne “The Rock” Johnson sur la chaîne ESPN, mais l'acteur a confirmé que le sien n'était qu'une réplique. « Si j'étais l'heureux propriétaire du vrai STAN, vous pouvez être sûrs que je ne le garderais pas dans mon bureau », a-t-il répondu sur Instagram. « Je le garderais dans un musée, pour que le monde puisse l'apprécier, l'étudier. »

Comprendre : Les dinosaures

C'est précisément ce sentiment - que les chercheurs et le public devraient avoir accès à un fossile d'une aussi grande importance - qui rongeait les paléontologues depuis la vente aux enchères de Stan. La vente était légale, mais d'aucuns craignaient que le prix record ne rende plus difficile l'acquisition de spécimens pour la recherche par les musées disposant de petits budgets, et qu'il n'alimente même le commerce illégal de fossiles. Certains scientifiques craignent également que la vente de Stan ne restreigne davantage la recherche sur les terres privées aux États-Unis, si de plus en plus de propriétaires décident de vendre des fossiles.

Pendant des années, Stan a été une référence clé, fournissant des données cruciales dans les études sur la puissance de la morsure des Tyrannosaurus rex et sur la façon dont leurs os se consolidaient après de graves blessures. Maintenant que la nouvelle demeure du dinosaure a été révélée, les scientifiques espèrent qu'ils auront à nouveau accès au fossile et que l'emblématique T. rex sera une introduction au monde préhistorique pour des millions de personnes.

« La paléontologie a ce pouvoir. En elle, nous nous voyons comme faisant partie d'un continuum glorieux de la vie sur Terre », écrit par email Lindsay Zanno, paléontologue au musée des sciences naturelles de Caroline du Nord. « Si Stan peut inspirer une nouvelle génération à protéger le passé et à se pencher sur la conservation de la biodiversité de notre planète, c'est une histoire qui finit bien. »

 

GARDIENS DE L'HISTOIRE NATURELLE

Le Moyen-Orient compte peu de musées d'histoire naturelle, ce qui fait de ce futur musée un atout pour l'éducation et la sensibilisation du public. Le musée d'histoire naturelle d'Abou Dabi rejoindra les rangs d'institutions telles que le musée d'histoire naturelle de Palestine de l'université de Bethlehem, le musée d'histoire naturelle Steinhardt de Tel Aviv, le musée géologique égyptien du Caire et le musée d'histoire naturelle et botanique de Sharjah, situé dans un cheikh voisin des Émirats arabes unis. 

Les musées d'histoire naturelle ne sont pas seulement des salles d'exposition publiques ; quand les conditions sont réunies, ils sont aussi des centres de conservation et de découverte scientifiques. Les fossiles, les spécimens et les artefacts de leurs collections - dont seulement une partie est exposée - constituent un registre de l'histoire humaine et animale terrestre, des données irremplaçables qui peuvent être consultées pendant des décennies, voire des siècles.

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    Les installations dédiées à la paléontologie sont également rares au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, même si les chercheurs travaillent sans relâche pour préserver les archives fossiles de la région. Au Maroc, une équipe comprenant l'explorateur National Geographic Nizar Ibrahim a passé des années à amasser une collection de fossiles à l'université Hassan II de Casablanca, dans l'espoir de créer un musée d'histoire naturelle marocain. En 2010, l'université égyptienne de Mansoura a ouvert un centre de paléontologie des vertébrés - le premier de la région - dirigé par le paléontologue Hesham Sallam.

    Le musée d'histoire naturelle d'Abou Dabi a des objectifs scientifiques ambitieux. Dans un communiqué, le musée a déclaré qu'il allait construire un centre de recherche scientifique axé sur la zoologie, la paléontologie, la biologie marine, les sciences de la terre et la recherche moléculaire, notamment l'étude de l'ADN ancien.

    David Evans, paléontologue au Musée royal de l'Ontario, à Toronto, estime que si Stan fait partie de la collection permanente du musée - et n'est de fait pas un prêt temporaire d'un collectionneur privé, le fossile pourrait contribuer à « accroître l'intérêt scientifique pour les dinosaures dans une région du monde qui présente un fort potentiel de découvertes de nouveaux fossiles ».

    Alors que le nouveau musée d'Abou Dabi se positionne en tant que dépositaire de spécimens d'importance, ses dirigeants assument également la responsabilité éthique de prendre en compte les effets que des achats coûteux pourraient avoir sur le reste du marché, selon Erin Thompson, spécialiste du commerce des antiquités au John Jay College of Criminal Justice du City College, une université publique spécialisée en droit pénal située à New York. Certains musées comptant parmi les plus riches, aux États-Unis notamment, ont été critiqués pour avoir encouragé par inadvertance la fraude ou le trafic d'objets volés, alors qu'ils payaient des sommes colossales pour constituer leurs collections.

    « Il y a un problème bien connu de pillage et de contrebande de fossiles », explique M. Thompson, ajoutant que si un musée indique qu'il va dépenser de vastes sommes d'argent pour compléter sa collection, il risque d'encourager le pillage ou la contrefaçon.

    Pour Pete Larson, président du Black Hills Institute, l'annonce de la future demeure de Stan est avant toutes choses un soulagement.

    « C'est un peu comme la [célèbre phrase] d'Indiana Jones : "Ceci appartient à un musée !" », dit-il. « Nous avons pu sauvegarder les données sur Stan en effectuant des scans 3D [et] en réalisant de multiples moulages de son crâne et de son squelette... Maintenant, l'original aussi va être à nouveau disponible pour la recherche, ce qui est vraiment génial. »

     

    DINOSAURES À L'ÉTRANGER

    Le nouveau musée d'Abou Dabi sera construit à proximité de l'un des sites fossilifères les plus riches de la péninsule arabique. Connues sous le nom de formation Baynunah, ces roches datant de la fin du Miocène (il y a environ huit à six millions d'années) préservent ce qui était autrefois un Serengeti arabe : un écosystème où vivaient les anciens cousins des hippopotames et des girafes modernes, ainsi que des tortues et des poissons-chats, dans un système de rivières pérennes.

    Mais les dépôts rocheux des Émirats arabes unis n'ont pas la composition et l'âge idéaux pour préserver les plus grandes célébrités du monde des fossiles : les dinosaures. Le nouveau musée a donc dû les importer.

    Stan le T.Rex

    Les dinosaures nord-américains - en particulier le Tyrannosaurus et le Triceratops - sont les plus célèbres de la planète, et les exposants du monde entier achètent régulièrement des fossiles de dinosaures américains pour les exposer et les étudier. Au début du mois, le musée australien de Melbourne a dévoilé son dernier fossile, Horridus, un Triceratops en grande partie complet qu'il a acheté au paléontologue commercial américain Craig Pfister.

    Depuis des années, les Émirats arabes unis accueillent des expositions temporaires de fossiles de dinosaures américains. En 2008, le fondateur de l'Etihad Modern Art Gallery d'Abou Dabi a organisé l'exposition d'un squelette d'Apatosaurus au long cou, vieux de 140 millions d'années, à l'aéroport principal de l'émirat. En 2014, la même galerie a exposé un squelette de T. rex juvénile provenant du Dakota du Sud.

    « Je n'arrêtais pas d'entendre des gens, et surtout des enfants, dire que les dinosaures n'avaient jamais existé », a déclaré Khalid Siddiq al Mutawaa, fondateur de la galerie, dans une interview accordée en 2009 au journal émirati The National. « Cela m'a vraiment dérangé, et j'ai donc fait venir un dinosaure pour que les gens le voient... pour en apprendre davantage sur cette partie de notre histoire mondiale. »

    Au-delà de leur valeur éducative, les dinosaures créent également le buzz et attirent les visiteurs, un fait qui n'a pas échappé aux chefs d'entreprise et de gouvernement émiratis, qui œuvrent à attirer les touristes étrangers avec des districts commerciaux de luxe, des galeries d'art, des expositions culturelles...

    En mars 2014, le promoteur immobilier émirati Emaar a annoncé qu'il avait acheté un squelette de Diplodocus remarquablement complet trouvé dans une carrière privée du Wyoming. Ce dinosaure - surnommé Dubai Dino - est actuellement exposé à côté d'un Cheesecake Factory dans le Dubai Mall, qui abrite également un aquarium et une patinoire.

     

    UNE ATTRACTION INSULAIRE

    Ce nouveau musée est érigé alors qu'Abou Dabi et les émirats cherchent à diversifier leur économie, pour ne plus dépendre uniquement du pétrole. Ces dernières années, les Émirats arabes unis, deuxième économie du golfe Persique, ont revu leur stratégie industrielle et créé une agence spatiale pour favoriser le développement de leurs industries technologiques.

    Le tourisme et la recherche d'une puissance diplomatique douce font également partie des plans d'Abou Dabi. Depuis 2007, l'émirat a investi des milliards de dollars dans l'extrémité ouest de l'île de Saadiyat pour créer un district culturel et en faire une destination touristique majeure. 

    Certains des projets de Saadiyat visent à raconter l'histoire des Émirats arabes unis, notamment le musée national Zayed, en cours de réalisation, qui porte le nom du père fondateur émirien, le cheikh Zayed bin Sultan al Nahyan. D'autres projets ont établi des partenariats avec des institutions occidentales de premier plan. En 2014, l'université de New York a ouvert un campus à Abou Dabi dans le quartier de Saadiyat ; en 2017, le Louvre Abou Dabi a ouvert à proximité. L'ouverture du Guggenheim Abou Dabi est prévue pour 2025.

    Le Qatar suit également cette voie et a construit un vaste complexe éducatif appelé Education City, qui comprend des succursales de célèbres universités américaines à l'extérieur de Doha, la capitale du pays.

    Neha Vora, anthropologue au Lafayette College de Pennsylvanie, qui étudie l'enseignement supérieur dans le golfe Persique, estime que Saadiyat et les projets similaires représentent un investissement éducatif transformateur pour la région.

    De nombreuses grandes institutions scientifiques et éducatives se trouvent dans des pays occidentaux où les visiteurs internationaux peuvent « avoir des difficultés à obtenir le visa requis pour un voyage touristique », explique Mme Vora. 

    Malgré son ambition, le projet de tourisme culturel sur l'île de Saadiyat a rencontré nombre d'obstacles. L'ampleur du projet a entraîné des années de retard dans la construction et les observateurs internationaux ont remis en question les conditions de travail des travailleurs migrants, que les autorités affirment avoir tenté de résoudre par des réformes du droit du travail. Des universitaires ont également exprimé leur inquiétude quant à la répression politique observée dans les Émirats arabes unis, certains universitaires internationaux étant interdits d'entrée dans le pays et certains militants émiratis des droits de l'homme étant emprisonnés et maltraités.

    Une fois que le musée d'histoire naturelle d'Abou Dabi aura ouvert ses portes, il devrait offrir des opportunités éducatives et scientifiques uniques pour la région et le monde entier. Et Stan sera probablement un ambassadeur populaire de la remarquable histoire de l'évolution des espèces terrestres.

    « Il devrait être exposé au public afin que tout le monde puisse le voir », estime M. Larson, dont la société a déterré le fossile il y a 30 ans. « Il devrait également être ouvert à la recherche, afin que les chercheurs puissent examiner le matériel original, tant ce qui est exposé que ce qui ne l'est pas. »

    M. Larson espère - et s'attend - à ce que le musée donne suite à cette demande. « C'est une très bonne nouvelle », se réjouit-il.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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