Contrairement aux représentations hollywoodiennes, le T. rex avait des lèvres
Un débat anime la communauté des paléontologues depuis longtemps : les dinosaures carnivores avaient-ils des lèvres ? D’après une nouvelle étude, de la chair couvrait bel et bien les dents de ces prédateurs.
Une équipe multi-institutionnelle de paléontologues a suggéré que les mâchoires acérées de Tyrannosaurus rex et d'autres dinosaures carnivores étaient recouvertes de lèvres, comme le montre cette illustration.
Les redoutables mâchoires de Tyrannosaurus sont célèbres. Dans les galeries de musées, dans l’art paléontologique ou bien encore dans des films comme Jurassic Park, ce carnivore du Crétacé est généralement représenté avec des crocs de la taille de bananes, le visage tordu par une large et sinistre grimace. Mais des paléontologues viennent de découvrir que l’animal était en fait incapable d’un tel sourire aux dents acérées ; T. rex, ainsi que de nombreux autres dinosaures carnivores, avaient des lèvres.
Dans une étude publiée hier dans la revue Science, une équipe inter-institutionnelle de paléontologues avance que les dinosaures carnivores tels que T. rex et Allosaurus étaient dotés de lèvres par-dessus leurs dents, à l’instar des lézards actuels. L’hypothèse va sans doute modifier l’image que le public a des dinosaures ainsi que l’étude par les paléontologues des façons dont ces terribles lézards se nourrissaient.
Ces nouvelles recherches n’auraient jamais pu voir le jour si les co-auteurs Thomas Cullen, Kirstin Brink et Derek Larson n’avaient pas échangé alors qu’ils étaient jeunes diplômés de l’Université de Toronto. Chacun avait développé des connaissances pointues sur les dinosaures et sur leur anatomie au point que, mises ensemble, celles-ci ont commencé à leur révéler de manière tangible l’aspect qu’avaient pu avoir des dinosaures tels que T. rex. (Au moins 25 milliards de T.rex auraient vécu sur Terre.)
Les paléontologues croyaient que les dinosaures carnivores avaient des mâchoires sans lèvres, comme le montrent les deux illustrations supérieures. Mais désormais, tout porte à croire que ces animaux avaient des lèvres, à l’instar des lézards que l’on connaît (en dessous).
Des discussions dont le but est de savoir si les dinosaures ont oui ou non eu des lèvres animent depuis de nombreuses années les communautés de fans et de spécialistes des dinosaures. Les débats tournent souvent autour d’une question : la présence de lèvres enlève-t-elle aux dinosaures le caractère effrayant et impressionnant que leur confère leur sourire carnassier sur les représentations traditionnelles, et quelles sont les preuves qui permettent d’étayer un tel changement ? Cette nouvelle étude, en s’intéressant à la biologie de ces animaux éteints plutôt qu’à des questions esthétiques, apporte enfin des preuves tangibles pour répondre à cette question.
« L’art paléographique, c’est beaucoup d’interprétation. C’est bien de fournir des données scientifiques pour l’étayer », fait observer Kirstin Brink, désormais paléontologue à l’Université du Manitoba.
UN DINOSAURE SUR TOUTES LES LÈVRES
Afin de découvrir si des dinosaures comme T. rex étaient dotés de dents exceptionnellement longues, Thomas Cullen, aujourd’hui à l’Université d’Auburn, Kirstin Brink et leurs collègues ont examiné l’anatomie de lézards et de crocodiles actuels ainsi que la structure microscopique des dents de dinosaures, puis ils ont mis en regard la taille des dents et les dimensions du crâne d’espèces comme T. rex ou de carnivores plus petits comme Velociraptor et Coelophysis.
Leur spécimen star a été un tyrannosaure du nom de Sue, représentant le plus grand et le plus complet de cette espèce d’anthologie (et exposé au musée Field de Chicago). Bien que Sue semble avoir eu des crocs exceptionnellement longs, les paléontologues se sont aperçus que le rapport entre la taille de ses dents et celle de son crâne était le même que celui observé chez les varans actuels et qu’ils n’aurait donc pas fallu des lèvres de taille extraordinaire pour les couvrir.
Une partie cruciale des recherches a consisté à trouver des équivalents modernes. Les oiseaux que nous connaissons aujourd’hui, qui descendent des dinosaures, n’ont pas de dents, et les crocodiles sont des reptiles spécialisés qui vivent en milieu aquatique. Bien qu’ils n’entretiennent pas de liens étroits, des reptiles comme les varans peuvent être utiles de par leur parenté anatomique avec les dinosaures. (Science : T. rex était en fait incapable de tirer la langue.)
« Cette étude est un excellent enquête de détective paléontologique et médico-légal », se réjouit Steve Brusatte, paléontologue de l’Université d’Édimbourg n’ayant pas pris part aux recherches.
D’après leur analyse globale, la grande taille de T. rex et d’autres dinosaures apparentés ne leur aurait pas conféré de dents plus longues : des lèvres ont donc très bien pu couvrir leurs dents. Plus révélateur encore, l’émail des dents de dinosaures est relativement fin et aurait été susceptible de se dessécher s’il avait constamment été exposé à l’air libre. Des lèvres leur auraient donc permis de garder les dents humides et fonctionnelles, chose dont les crocodiles n’ont pas à se soucier puisque ce sont des animaux aquatiques.
« Cullen et ses collègues font valoir un solide argument en faveur de la présence de tissus oraux chez les théropodes non aviens », reconnaît Ali Nabavizadeh, paléontologue de l’Université de Pennsylvanie n’ayant pas pris part aux présentes recherches.
Les lèvres ne sont d’ailleurs peut-être pas non plus propres aux théropodes. De récentes études sur divers dinosaures herbivores comme les sauropodes, caractérisé par leur long cou et les cératopsidés, connus pour leurs cornes, ont découvert des preuves trahissant la présence de gencives, de joues et d’autres tissus mous couvrant leurs dents.
Et pour ceux qui seraient tentés de dire que ce changement rend les dinosaures moins impressionnants, Thomas Cullen fait remarquer que le fait « d’avoir des lèvres, ou même des plumes, n’a aucune influence réelle sur le caractère effrayant ou impressionnant d’une chose » ; il suffit de penser aux oiseaux de proie ou à de nombreux mammifères carnivores pour s’en convaincre.
LES PALÉONTOLOGUES ONT LES DENTS LONGUES
Selon les scientifiques, la présence nouvelle de lèvres chez T. rex et d’autres espèces de dinosaures brosse un portrait plus exhaustif de leur anatomie et de la façon dont ils interagissaient avec leur environnement.
« Je suis très intéressée par le rôle que jouent les tissus mous dans l’interprétation des pathologies dentaires », explique Kirstin Brink. En effet, leurs gencives, leurs lèvres et d’autres tissus pourraient avoir subi bon nombre des lésions et maladies dont peuvent souffrir les animaux actuels.
Ali Nabavizadeh ajoute que ces lèvres ont d’ailleurs sans doute fait de T. rex un prédateur encore plus efficace.
Les reptiles, à l’inverse des mammifères, ne possèdent pas de muscles leur permettant de bouger les lèvres. Ainsi, on imagine mal T. rex produire un sourire carnassier (ou imiter le rictus d’Elvis Presley d’ailleurs). Les lèvres, fait observer Ali Nabavizdeh, servaient à protéger les dents de l’abrasion et à les maintenir dans un milieu humide.
Il faut voir les lèvres comme le fourreau d’un couteau, ajoute Steve Brusatte, comme une chose qui « les aidait à préserver les armes du crime et à faire en sorte que celles-ci soient aussi létales que possible ».
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.