Découverte d’un dinosaure cuirassé doté d'une "queue massue"

La créature fossilisée, mise au jour dans le sud du Chili, présente des caractéristiques que l’on retrouve chez les ankylosaures et les stégosaures.

De Michael Greshko
Publication 6 déc. 2021, 09:42 CET
Stegouros

Il y a 73 millions d'années dans l'actuel sud du Chili, ce dinosaure appartenant à une espèce récemment découverte s'est éteint au creux d'une rivière débordante de vie végétale.

PHOTOGRAPHIE DE Mauricio Álvarez

Entre 75 et 72 millions d’années avant notre ère, dans l’actuelle Patagonie chilienne, la carcasse d’un dinosaure à la queue épaisse s’est retrouvée ensevelie dans un delta riche en sédiments très fins, qui ont conservé de manière exceptionnelle les os au cours de leur fossilisation.

Cette créature n’était pas impressionnante pour un dinosaure. Le quadrupède mesurait moins de 60 centimètres de haut et un peu plus de 2 mètres du museau à l’extrémité de sa queue. Pourtant, dans ce monde de géants, ce petit animal était coriace : pour se défendre, il pouvait compter sur sa peau cuirassée et sur l’arme unique qu’était sa queue.

Selon les scientifiques, l’extrémité de cette dernière est tout à fait inédite : elle s’apparente à une masse d’os soudés ressemblant à une batte de cricket dentelée. « C’est du jamais-vu », confie Alexander Vargas, paléontologue à l’université du Chili.

Dévoilé le 1er décembre dernier dans la revue Nature, le squelette fossilisé appartient à une nouvelle espèce de dinosaure cuirassé baptisée Stegouros elengassen. La créature a été nommée ainsi en raison de sa queue semblable à un toit recouvert de bardeaux (Stegouros) et en l’honneur d’une bête cuirassée de la mythologie du peuple Aónik’enk de Patagonie (elengassen).

Outre son arme inédite, Stegouros vient aussi combler un vide majeur en matière d’évolution. Selon Tom Holtz, paléontologue à l’université du Maryland, aux États-Unis, qui n’a pas pris part à l’étude, une poignée de dinosaures cuirassés ont été mis au jour sur les terres qui formaient autrefois le supercontinent Gondwana (en se morcelant, ce dernier a laissé place à l’Amérique du Sud, l’Afrique, l’Antarctique, l’Australie, le sous-continent indien et la péninsule arabe).

Avant la découverte de Stegouros, seuls deux dinosaures cuirassés, aux fossiles incomplets ou partiellement étudiés, avaient été mis au jour dans ce qui était autrefois le sud du Gondwana. Complet à environ 80 %, ce spécimen de Stegouros est une curieuse « mosaïque » anatomique. Son crâne, ses dents et sa queue semblable à une massue sont typiques des ankylosaures (Ankylosaurus) et d’autres dinosaures cuirassés apparus ultérieurement. En revanche, les os de ses membres et de son pelvis, de par leur finesse, rappellent ceux des stégosaures (Stegosaurus), pourtant éteints depuis des dizaines de millions d’années à l’époque de Stegouros.

« Si vous m’aviez montré ce pelvis en me demandant à quel animal il appartenait, je vous aurais sans aucun doute répondu qu’il provenait d’un stégosaure », admet Susannah Maidment, paléontologue spécialiste des dinosaures au Muséum d’histoire naturelle de Londres, qui n’a pas pris part à l’étude. « Je suis absolument impressionnée par ce spécimen… Il remet en cause toutes mes connaissances ».

 

DANS LES MONTAGNES DE PATAGONIE

C’est dans la formation de Dorotea, une couche rocheuse qui s’étend à travers le Chili et l’Argentine, que Stegouros a été mis au jour. Des chercheurs du monde entier mènent fréquemment des fouilles dans cette région, espérant découvrir des fossiles de dinosaures et d’autres signes de vie ancestrale.

En 2017, l’université du Texas, aux États-Unis, a envoyé un groupe de chercheurs sur un site de la vallée chilienne du Río de las Chinas, connue pour ses fossiles, qui repéra des os intéressants. Puis, en février 2018, une équipe de l’université du Chili, dirigée par les collègues d’Alexander Vargas, Sergio Soto-Acuña et Jonatan Kaluza, s’est rendue sur place pour en savoir plus.

Comprendre : Les dinosaures

Les chercheurs ont trouvé les premiers indices de présence d’os tout en haut d’un flanc escarpé et ont commencé à creuser autour du fossile, avant de l’acheminer au laboratoire sous la forme d’un grand bloc rocheux recouvert de plâtre. Libérer le fossile de la roche sans l’abîmer n’a pas été une mince affaire : les scientifiques ont dû composer avec des températures proches de zéro, le risque de souffrir d’hypothermie et des entorses à la cheville.

Ne voyant au début que les os minces des membres du dinosaure, les chercheurs se sont dit qu’il s’agissait sans doute d’un ornithopode, un dinosaure végétarien partiellement bipède. Mais une fois au laboratoire et après le retrait méticuleux de la roche, la queue du dinosaure a été dévoilée.

 

LA QUEUE DE STEGOUROS, UNE ARME REDOUTABLE

Si les queues faisant office d’arme sont rares au sein du règne animal, elles s’avèrent hautement efficaces lorsque l’évolution les a façonnées. Chez les dinosaures, les stégosaures disposent ainsi de deux paires de pointes à l’extrémité de leur queue (parfois surnommées « thagomizers », d'après The Far Side). Certains ankylosaures tels que Ankylosaurus arboraient de longues queues raides dont l’extrémité ressemblait à une massue osseuse.

Les « queues armées » peuvent aussi apparaître chez des groupes d’animaux lointainement apparentés. Les glyptodontes, sortes de tatous géants qui existaient encore il y a 10 000 ans, étaient dotés d’une queue massue semblable à celle des ankylosaures.

Mais celle de Stegouros est unique. Elle est plus plate et ressemble davantage à un couteau que celles de ces pairs. C’est pour cette raison que l’équipe de chercheurs a baptisé cette structure anatomique « macuahuilt », le nom donné à la massue en bois surmontée de lames en obsidienne que brandissaient les Aztèques.

Les dinosaures cuirassés se servaient sans doute de leur queue pour affronter des membres de leur espèce et ainsi asseoir leur statut social. Il s'avère également qu'ils l'utilisaient en cas de menace, pour se défendre face aux prédateurs. D'après Tom Holtz, des ossements appartenant à des prédateurs du Jurassique présentent des blessures par perforation vraisemblablement infligées par des stégosaures. Le Musée royal de l'Ontario, au Canada, possède un fossile de tyrannosaure dont le tibia a été cassé (sans doute une blessure occasionnée par un coup de queue d'ankylosaure) avant de se ressouder.

Bien que l'utilisation que Stegouros faisait de sa queue est encore incertaine, Tom Holtz suppose que le dinosaure devait la manier comme un sabre. Les scientifiques connaissent en revanche l'identité de certains prédateurs potentiels de la créature. Les mégaraptorides, de mystérieux dinosaures décrits par Alexander Vargas comme « d'imposantes et vilaines bêtes, semblables à un Allosaurus doté de bras plus longs et à la bonne prise » vivaient dans la région et à l'époque de Stegouros.

 

EN QUÊTE D'INDICES

Une fois le squelette de Stegouros visible dans son intégralité, Sergio Soto-Acuña et Alexander Vargas ont soigneusement comparé son anatomie à celle d'autres dinosaures cuirassés. En compilant les données pour générer des suggestions d'arbres généalogiques, les chercheurs ont découvert que les ancêtres de Stegouros s'étaient séparés du reste des ankylosaures il y a environ 165 millions d'années, formant ainsi une lignée jusqu'alors inconnue.

Les cousins les plus proches du dinosaure chilien sont deux autres ankylosaures qui vivaient dans le sud du Gondwana. Les scientifiques connaissent l'un d'eux, l'ankylosaure australien Kunbarrasaurus, principalement par son crâne. De l'autre, Antarctopelta, seuls quelques fragments osseux mis au jour dans des sédiments de l'Antarctique, sont connus.

Stegouros pourrait aider les scientifiques à comprendre ces dinosaures apparentés dont ils savent peu de choses. Certains os isolés d'Antarctopelta ressemblent à s'y méprendre aux os soudés du « macuahuitl » de Stegouros. Alexander Vargas et ses collègues pensent donc qu'Antarctopelta, qui était deux fois plus long que son cousin chilien, était doté d'une queue similaire.

Pour Susannah Maidment du Muséum d'histoire naturelle de Londres et principale spécialiste des stégosaures, l'étrange mélange des caractéristiques de Stegouros pourrait légèrement « chambouler » l'arbre généalogique des dinosaures cuirassés. Pour être considérés comme des stégosaures, les dinosaures doivent notamment répondre à trois caractéristiques anatomiques, dont la forme exacte du pelvis observé chez Stegouros (contrairement à ce que laisse penser son nom, ce dernier n'est d'ailleurs pas un stégosaure). Susannah Maidment estime donc que certains dinosaures fragmentaires actuellement identifiés comme étant des stégosaures n'en sont peut-être pas.

La formation de Dorotea et d'autres régions de la Patagonie livrent depuis des décennies d'extraordinaires fossiles et regorgent sans doute encore d'indices fossilisés dans la roche. De nouvelles fouilles menées au Chili ou en Argentine pourraient aussi conduire à la découverte d'autres dinosaures cuirassés à la queue massue plate et recouverte de lames.

En attendant, Alexander Vargas et ses collègues commencent tout juste à chercher des fossiles de Stegouros. « Nous avons identifié d'autres zones abritant des Stegouros. C'est assez courant. Nous espérons en trouver d'autres », indique le paléontologue.

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    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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