La téléportation d’informations entre deux ordinateurs quantiques est désormais possible
Une équipe de scientifiques d’Oxford ont réussi l’exploit de téléporter des informations quantiques entre deux ordinateurs, ouvrant la voie vers un futur Internet quantique.

Gros plan sur un processeur optique traitant un signal lumineux.
Les termes informatique quantique et mécanique quantique semblent souvent nébuleux, et sont souvent associés à la science-fiction. Pourtant, ils font bel et bien partie de notre réalité. Aujourd’hui, l’infiniment petit est au cœur de nombreuses recherches et découvertes.
Il y a peu, des chercheurs de l’université de Toronto, au Canada, ont réussi à démontrer l’existence du temps négatif à l’échelle quantique. Puis en juin 2024, des physiciens d’Oxford ont réalisé un exploit remarquable : la téléportation d’informations quantiques entre deux ordinateurs à distance.
En informatique, les ordinateurs quantiques traitent les informations différemment des machines normales ou « classiques ». L’ordinateur classique utilise des bits (0 ou 1) pour effectuer des calculs de façon successive, ne traitant qu’une tâche à la fois. Pour cette raison, « même nos plus puissants superordinateurs mettraient des millions d’années à résoudre certains problèmes », explique Dougal Main, chercheur au département de calcul quantique par piège à ions à l’Université d’Oxford.
En revanche, ce n’est pas le cas des ordinateurs quantiques. Ces derniers utilisent des qubits, qui se différencient des bits classiques par leur capacité à exister simultanément dans plusieurs états. C’est ce qu’on appelle la superposition quantique. Contrairement à un bit ; le qubit peut être à la fois la valeur 0 et la valeur 1. Il n’est pas l’un ou l’autre, il est la combinaison des deux, ce qui lui permet de traiter plusieurs possibilités en même temps.
Par ailleurs, dans un ordinateur classique, chaque bit est traité indépendamment des autres. Contrairement aux qubits des ordinateurs quantiques, liés par intrication quantique, ce qui leur permet de communiquer instantanément entre eux, peu importe la distance qui les séparent. En d’autres termes, lorsque deux qubits sont intriqués, leurs états quantiques sont liés de telle manière que la mesure de l’un, influence instantanément l’état de l’autre. Cette mesure n’étant ni strictement 0 ni strictement 1 puisqu’ils sont en superposition quantique.
Grâce à ces deux phénomènes, un ordinateur quantique a la capacité de traiter des opérations de manière exponentiellement plus rapide. Les ordinateurs quantiques « offrent un potentiel énorme pour révolutionner des domaines tels que la cryptographie, la découverte de médicaments, la science des matériaux, et bien d’autres », souligne Dougal Main.
LA TÉLÉPORTATION QUANTIQUE, COMMENT ÇA FONCTIONNE ?
Dans la pratique, les premiers ordinateurs quantiques ont fait leur apparition à la fin des années 1990, mais ces derniers étaient limités à quelques qubits. Les années 2010 voient apparaître des ordinateurs quantiques plus performants grâce aux entreprises IBM et Google, mais jusqu’alors, il était difficile d’augmenter exponentiellement les capacités de ces machines.
Les chercheurs d’Oxford se sont attaqués à ce défi. « Plutôt que de construire un seul processeur géant, nous avons démontré ce que l’on appelle, une approche d’informatique quantique distribuée », commence Dougal Main. « Nous avons divisé le système en modules plus petits et plus simples, puis nous les avons reliés à l’aide de fibres optiques pour qu’ils puissent fonctionner comme un seul et même appareil », continue-t-il. C’est le principe de la téléportation quantique ou transfert d’état quantique.

Dougal Main et son équipière Beth Nichol travaillent sur la téléportation quantique d'informations entre deux ordinateurs distants. L'objectif est de créer un ordinateur quantique distribué, un système divisé en plus petits modules pour le rendre plus simple.
Jusqu’à présent, les démonstrations de téléportation quantique se concentraient sur le transfert d’états quantiques d’un qubit à un autre, entre deux systèmes physiquement séparés. « Dans notre étude, nous avons plutôt cherché une manière de relier efficacement des processeurs quantiques distincts en un seul et unique ordinateur quantique entièrement connecté », annonce le physicien.
Pour ce faire, l’équipe d’Oxford n’a pas seulement créé des interactions entre les systèmes séparés, mais ils les ont utilisés pour créer ce que l’on appelle des portes quantiques logiques, les opérations fondamentales qui permettent en informatique quantique, de manipuler soigneusement l’état des qubits et ainsi réaliser des calculs.
Évidemment, le processus est loin d’être simple. « L’un de nos principaux défis techniques consistait à faire en sorte que les qubits conservent leurs informations quantiques pendant que l’enchevêtrement entre les deux modules était généré », raconte le scientifique. Sans cette exigence, le système informatique quantique distribué était susceptible de tomber en panne.
« Nous avons résolu ce problème en utilisant deux espèces d’ions différentes, chacune désignée pour une tâche spécifique », explique-t-il. En informatique quantique, les ions peuvent être exploités pour représenter les états des qubits. En appliquant des champs électromagnétiques précis, il est possible de manipuler ces états quantiques, puis de disposer les ions en chaînes et les faire interagir collectivement. Ce processus appelé « ions piégés » permet la mise en œuvre de ces fameuses portes logiques quantiques complexes.
L’équipe d’Oxford a pu manipuler les ions de sorte qu’ils jouent un rôle bien précis, soit de stockage, soit d’interface réseau. Grâce à cette méthode : les ions de stockage ont pu conserver en toute sécurité les informations quantiques, pendant que les ions interface réseau ont été utilisés pour établir l’intrication entre les modules », raconte Dougal Main. « Cette séparation des rôles nous a permis de protéger les états quantiques stockés tout en créant un enchevêtrement à travers le réseau ».
VERS UN INTERNET QUANTIQUE
L’expérience est certainement une victoire scientifique, « mais à l’heure actuelle, le système d’ordinateur quantique distribué se trouve au même stade que les premiers ordinateurs quantiques d’il y a vingt ans, lorsque les chercheurs commençaient tout juste à exécuter des algorithmes quantiques simples », admet Dougal Main.
Néanmoins, « nous prévoyons des progrès rapides au regard des investissements et des recherches considérables dans ce domaine », nuance-t-il. « L’informatique quantique distribuée dépassera bientôt le stade de la preuve de concept et deviendra la pierre angulaire de la construction de systèmes puissants et évolutifs, ouvrant ainsi la voie à des percées transformatrices dans de nombreux secteurs d’activité ».
En informatique par exemple, « ces réseaux quantiques à longue portée pourraient constituer la base d’un Internet quantique », conclut le chercheur.
