Pourra-t-on un jour retarder la ménopause et ses effets ?

Les ovaires ne servent pas qu’à concevoir des bébés : ils aident également à maintenir le cœur, le cerveau et les os en bonne santé. Retarder l’apparition de la ménopause pourrait ainsi se traduire par un allongement de l’espérance de vie des femmes.

De Connie Chang
Publication 8 mai 2024, 14:11 CEST
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Un ovaire de souris traité avec une forte dose d’hormone anti-müllérienne (AMH), cette hormone naturellement produite par les follicules de l’ovaire, présente davantage de petits follicules dormants et moins de follicules en développement. À des niveaux élevés, l’AMH agit comme un contraceptif, en empêchant les follicules de mûrir et de relâcher un ovule. Le laboratoire du biologiste de la reproduction David Pépin a testé des contraceptifs à base d’AMH chez les chats et espère pouvoir mettre au point des contraceptifs similaires pour les humains.

PHOTOGRAPHIE DE Micrograph by David Pepin

À la ménopause, définie comme une absence de règles pendant au moins douze mois, les effets sur la santé des femmes sont immédiats et spectaculaires.

Pourquoi cela ? Car outre leur fonction reproductive, les ovaires sont des organes endocriniens. Ainsi, lorsqu’ils cessent de produire le cocktail chimique qui communique avec la quasi-totalité des tissus, tout le corps, du cerveau aux muscles en passant par la peau, en subit les effets.

« Le risque d’ostéoporose augmente du jour au lendemain, tout comme le risque de maladie cardiovasculaire », explique Jennifer Garrison, neuroscientifique à la Buck Institute for Research on Aging, en Californie. Ce changement brutal survient généralement entre 45 et 55 ans (la moyenne étant de 51 ans), période où les femmes sont les plus actives. Une étude publiée par la Mayo Clinic estime qu’aux États-Unis, la ménopause est responsable de 1,8 milliard de dollars de perte de temps de travail et de plus de 26 milliards de dollars de frais médicaux.

« Les ovaires sont les architectes du vieillissement sain chez les femmes », raconte Garrison. Cela n’a donc aucun sens de parler de la santé et de la longévité des femmes sans prendre en compte leur longévité reproductive. Par exemple, pourquoi les ovaires, qui commencent à montrer des signes de vieillissement vers 30 ans, se détériorent-ils des dizaines d’années plus tôt que les autres organes ? Pourquoi certaines personnes deviennent-elles ménopausées plus tôt ou plus tard que la moyenne ? Et si nous pouvions retarder la ménopause en agissant sur les ovaires pour qu’ils restent fonctionnels plus longtemps, cela se traduirait-il par une amélioration de la santé dans le temps ?

Malheureusement, la recherche sur la santé reproductive s’est cantonnée pendant très longtemps à l’étude des périodes de fertilité et de grossesse. David Pépin, biologiste de la reproduction à Harvard, se souvient d’une réunion il y a cinq ans avec l’Agence américaine des produits alimentaires et médicamenteux (FDA) sur le sujet du financement.

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Un ovaire de souris en bonne santé présente de nombreux ovules immatures, appelés ovocytes (en rouge). Les ovocytes plus gros entourés de cellules de la granulosa productrice d’hormones (en vert) sont le signe que des follicules se développent. Un ovocyte devient généralement suffisamment gros pour être libéré lors de l’ovulation. 

Photomicrographie David Pepin

« Je n’ai pas réussi à leur faire entendre que le fait d’avoir des ovaires fonctionnels qui produisent des hormones était important en soi, et que les ovaires ne servaient pas qu’à la reproduction », explique Pépin. Il a donc dû faire preuve d’ingéniosité. Certains de ses travaux sur le cycle de vie des ovaires ont été financés pour leur application dans le contrôle des populations de chats domestiques.

Heureusement, le vent tourne.

« L’intérêt pour le sujet et la recherche ont augmenté de façon exponentielle ces cinq dernières années », affirme Garrison, qui a cofondé en 2020 le Global Consortium for Reproductive Longevity and Equality (lit. Consortium mondial pour la longévité et l’égalité reproductive), une initiative qui finance des scientifiques, encourage les collaborations et sensibilise le public au rôle crucial de la santé reproductive dans la santé des femmes. « Soudain, on a entendu parler de vieillissement reproductif dans les conférences sur la recherche sur le vieillissement alors que ce n’était pas le cas il y a encore deux ou trois ans. »

 

LE RÔLE CRUCIAL DES OVAIRES

Des ovaires sains produisent une série de molécules qui envoient des signaux aux organes distants pour les aider à fonctionner. Parmi ces molécules, la plus étudiée reste l’œstrogène, dont le taux fluctue lors du cycle menstruel et atteint son maximum les jours précédents l’ovulation. À noter que les récepteurs d’œstrogènes, qui captent ces molécules et provoquent une réaction en chaîne dans les cellules et les tissus, sont présents dans tout l’organisme : les œstrogènes ont donc aussi un rôle à jouer en dehors des organes reproducteurs.

Lorsqu’une molécule d’œstrogène se fixe à l’un de ces récepteurs, le complexe qui en résulte agit sur l’ADN pour activer certains gènes et en désactiver d’autres. L’œstrogène agit ainsi sur plusieurs fronts. Dans le système cardiovasculaire, l’hormone aide à dilater les vaisseaux sanguins et à participe à rendre leur paroi lisse et glissante, ce qui abaisse la pression artérielle et empêche la formation de caillots. Dans le cerveau, l’hormone joue un rôle neuroprotecteur en réduisant les inflammations, en favorisant la santé des synapses et en éliminant les protéines mal repliées. Dans le système musculosquelettique, les œstrogènes aident à construire et réparer les muscles et participent au bon maintien des os.

Par conséquent, la perte en œstrogènes expose les femmes à un risque accru de diabète, de maladie cardiovasculaire, de démence, d’ostéoporose et plus encore. Les personnes qui atteignent la ménopause plus tardivement que les autres ont ainsi tendance à vivre plus longtemps et en meilleure santé. Cet avantage s’étend même à leurs frères, signe d’un potentiel lien génétique entre la santé reproductive et la longévité globale.

 

LE VIEILLISSEMENT DES OVAIRES 

Bien que les scientifiques aient déterminé certaines des conséquences de l’insuffisance ovarienne (qu’elle soit prématurée ou qu’elle fasse partie du vieillissement normal), les mécanismes qui en sont à l’origine demeurent mystérieux.

Ce que nous savons en revanche, c’est qu’à la puberté, lorsque les ovaires contiennent environ 400 000 follicules, le cerveau commence à communiquer avec ces organes et active chaque mois jusqu’à un millier de follicules dormants, soit des sacs remplis de liquide qui abritent un ovule en développement. Une poignée d’entre eux arrivent à maturité et produisent des hormones telles que l’œstrogène et la progestérone, qui envoient des signaux au cerveau pour préparer l’utérus à une éventuelle grossesse. 

La plupart des follicules en croissance s’étiolent et meurent, mais chaque mois, l’un d’entre eux (et parfois deux ou trois) arrive à maturité et libère un ovule en vue d’une éventuelle fécondation. Ce processus se répète chaque mois jusqu’à la ménopause, alors qu’il reste moins d’un millier de follicules.

Cependant, plusieurs années avant la ménopause, le mécanisme de rétroaction entre le cerveau et les ovaires, et donc les follicules qu’ils contiennent, se dérègle fortement à mesure que le nombre de follicules diminue, explique Pépin. « On ignore à quel point cela peut affecter la trajectoire du vieillissement ovarien ou si le phénomène diffère selon les patientes », souligne-t-il.

Ces mécanismes de rétroaction sont importants, mais l’une des solutions pour préserver une fonction ovarienne saine pourrait être d’entraver l’activation des follicules restants.

Pépin a démontré que l’hormone anti-müllérienne (AMH), qui est produite par les follicules et contrôle le nombre de follicules activés (et donc finalement perdus au cours du cycle menstruel) pouvait justement faire cela.

Lorsque des souris exposées à une chimiothérapie (une procédure qui semble relancer le développement des follicules dormants et par conséquent augmenter le nombre d’ovules qui meurent à chaque cycle), ont reçu une dose d’AMH, les scientifiques ont observé que moins de follicules se sont activés et que plus d’ovules ont été gardés en réserve comparé au groupe témoin qui avait lui reçu une solution saline.

De même, l’administration à des souris femelles d’une courte cure de deux semaines de rapamycine, un médicament qui empêche également les follicules dormants de se développer, a permis de prolonger la fertilité, en particulier chez les souris âgées (qui avaient l’équivalent d’une quarantaine d’années chez l’être humain), et d’augmenter le nombre de follicules en réserve. 

Par ailleurs, la rapamycine participe à une meilleure qualité des ovules. En effet, les ovules des souris traitées présentaient moins d’anormalités chromosomiques et des mitochondries plus saines.

Selon Yousin Suh, généticienne à l’université de Columbia, la rapamycine est très prometteuse. Utilisée dans le traitement de certains cancers, la rapamycine semble particulièrement fiable, ce qui ouvre la voie à des essais dans d’autres contextes.

Suh et ses collaborateurs sont actuellement en train de mener un essai clinique de phase II lors duquel ils mesureront les réserves ovariennes de sujets entre 38 et 45 ans (à qui il reste ainsi environ 20 000 follicules) après trois mois de traitement avec le médicament. 

Mais le pouvoir de la rapamycine pourrait aller au-delà de sa capacité à inhiber l’activation des follicules. La molécule cible également, ou bloque, les processus (contrôlés par une molécule appelée mTOR) qui régulent la croissance cellulaire et le métabolisme chez des espèces aussi variées que la mouche, la souris et l’être humain. Lorsque ces mécanismes sont trop actifs, ils incitent les cellules à se diviser et à proliférer, ce qui explique pourquoi les activités liées à mTOR sont impliquées dans le vieillissement et le cancer. 

C’est pourquoi il est logique que le blocage de ces mécanismes puisse se traduire par une plus grande longévité. Des études menées sur des souris d’âge moyen ont montré que la rapamycine atténuait les inflammations et augmentait la durée de vie. L’effet de la rapamycine sur le vieillissement ovarien pourrait donc être doublement bénéfique, selon Suh.

 

L’ENVIRONNEMENT DES OVAIRES

Comme Sue est généticienne, la biologie reproductrice est un domaine relativement nouveau pour elle. Elle a changé de domaine d’étude lorsqu’elle a été recrutée à l’université de Columbia en octobre 2019.

« Je n’avais aucun préjugé ; je ne savais rien, si ce n’est que j’étais moi-même en train de vieillir (tout comme mon système reproducteur) et que je le vivais mal », explique-t-elle. Elle a ainsi abordé le problème à travers sa propre expérience, cherchant à identifier les gènes et les molécules qui étaient les plus et les moins actifs lors du vieillissement ovarien.

« Nous avons découvert des preuves évidentes de l’activation de mTOR dans l’ensemble des tissus ovariens, et dans tous les types de cellules qui les composent », explique Suh.

Et la différence ne réside pas que dans cette molécule. Les voies de communication cellulaire, la fonction mitochondriale et la réparation de l’ADN étaient nettement différentes entre les jeunes et vieux ovaires. Il paraît donc évident que les follicules et les ovules ne forment qu’une partie du problème : leur environnement pourrait être tout aussi important.

Francesca Duncan, biologiste de la reproduction à l’université Northwestern, s’en est rendu compte presque par accident. Elle a commencé sa carrière en tant que spécialiste des ovules : elle travaillait alors sur des ovules isolés de souris et expulsait les ovules restants hors du tissu ovarien. Or les follicules contenant des ovules sont nichés dans un environnement de cellules spécialisées qui les nourrissent et les font vivre. Considérer l’un sans l’autre ne dépeint ainsi qu’une image incomplète.

« Ce n’est que lorsque nous avons commencé à comparer des ovules de souris jeunes et âgées que nous nous sommes rendu compte qu’il était plus difficile d’extraire des follicules d’un vieil ovaire que d’un jeune ovaire », explique Duncan. En fait, la difficulté à expulser un follicule de sa matrice était un indicateur assez fiable de l’âge de l’animal. Cette révélation a changé la trajectoire de son travail et a ouvert une nouvelle voie de recherche.

Duncan et ses collègues ont découvert qu’avec l’âge, l’environnement ovarien se rigidifiait jusqu’à se fibroser, un processus qui survient également dans d’autres tissus qui se détériorent avec le temps, comme le foie, les poumons et le cœur. Des ovaires plus rigides empêchent les follicules de se développer ce qui affecte la fertilité, diminue la production d’hormones qui maintiennent les femmes en bonne santé, et dégrade la qualité des ovules.

« Prenez l’exemple d’un nid contenant des œufs », explique Duncan. « Un nid adéquat et accueillant pourra maintenir la fonction des œufs et la fonction endocrinienne beaucoup plus longtemps. » L’idée que l’environnement d’une cellule puisse influencer son comportement n’est pas sans précédent. L’environnement d’une tumeur, par exemple, détermine souvent l’agressivité des cellules cancéreuses.

Pour illustrer ce point, un groupe de recherche australien a montré qu’un traitement aigu avec des médicaments antifibrotiques utilisés pour la fibrose pulmonaire peut inverser le vieillissement ovarien et rétablir l’ovulation chez des souris âgées. L’équipe de Duncan a obtenu des résultats similaires avec un traitement à plus long terme et à plus faible dose destiné à prolonger la durée de vie des ovaires.

 

VERS DE FUTURS TRAITEMENTS ?

Bien qu’il reste encore beaucoup à apprendre sur le sujet, les scientifiques ont bon espoir de vite faire de réels progrès. « Je trouve ça incroyable que moins de dix ans après notre premier article d’observation sur la rigidité ovarienne en 2016, nous envisagions des essais cliniques pour des thérapies antifibrotiques et des biomarqueurs », déclare Duncan.

Ce qui l’enthousiasme le plus, c’est que les solutions envisagées vont plus loin que les pratiques standard actuelles comme la congélation d’ovules et d’embryons (pour la fertilité) et le traitement hormonal substitutif (pour la fonction endocrinienne), qui se contentent d’atténuer les symptômes sans s’attaquer à la cause première.

« Personnellement, je ne veux pas d’une solution de fortune ; je veux que l’ovaire conserve sa fonction normale plus longtemps », soutient Duncan.

Le sort des ovaires est plus complexe et leur effet sur le bien-être plus nuancé que ce que l’on croyait. Même après la ménopause, par exemple, les ovaires continuent d’agir sur le corps : les femmes ménopausées qui subissent une ovariectomie ont plus de risque de développer une maladie coronarienne et de mourir que les femmes dont les ovaires sont intacts. 

Selon Garrison, il est essentiel d’étudier ce qui arrive aux ovaires tout au long de la vie adulte, de la puberté aux années de fertilité, en passant par la ménopause et au-delà. Dans un avenir idéal, dit-elle, « nous pourrons proposer des interventions, des traitements et des thérapies pour chacune de ces étapes de la vie ».

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    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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