Découverte d'une momie de chat à dents de sabre dans le pergélisol sibérien
L'animal, qui était congelé dans la glace depuis 32 000 ans, pourrait aider les scientifiques à mieux comprendre l'anatomie, le comportement et l'apparence de cette espèce mystérieuse.
En 2020, des fouilleurs à la recherche de défenses de mammouth laineux ont mis au jour un chaton à dents de sabre momifié dans le pergélisol sibérien. Le spécimen est âgé d'environ 32 000 ans.
Les paléontologues se demandent à quoi ressemblaient vraiment les chats à dents de sabre depuis près de deux siècles. En effet, malgré les modèles exposés dans les musées, les spectaculaires œuvres de paléoart et leur représentation dans les films L’Âge de glace, les experts ne disposaient en réalité que d’ossements fossilisés et de rares empreintes de pas pour tenter d’imaginer la véritable apparence de ces prédateurs disparus. Cependant, la découverte récente d’un chaton congelé dans le pergélisol sibérien nous permet enfin d’avoir un aperçu de ce félin, qui parcourait l’hémisphère nord il y a environ 32 000 ans.
« J’étais tellement contente de voir un spécimen aussi incroyable », confie Ashley Reynolds, paléontologue au Musée canadien de la nature, qui n’était pas impliquée dans ces nouvelles recherches. Même si des momies de mammouths et d’autres herbivores ont été découverts dans la même région de Russie par le passé, il est bien plus rare de trouver des restes de superprédateurs, les proies étant généralement plus nombreuses que les prédateurs dans la nature. C’est pourquoi la mise au jour d’une momie de chat à dents de sabre a toujours semblé peu probable aux yeux des paléontologues.
En 2020, « la carcasse, gelée et momifiée, a été retrouvée par des fouilleurs qui étaient à la recherche de défenses de mammouths », explique le paléontologue A. V. Lopatin, de l’Académie des sciences de Russie. Lopatin et ses collègues ont été « surpris et ravis » d’étudier le spécimen, qu’ils ont décrit dans un article paru ce 14 novembre dans la revue Scientific Reports.
L’animal préhistorique n’offre pas seulement le tout premier aperçu de ce à quoi ressemblaient réellement les chats à dents de sabre, mais représente également une période de la vie de l’espèce qui est bien moins connue des paléontologues, la plupart des fossiles retrouvés jusqu’ici appartenant à des individus adultes, note Reynolds.
DE LONGS CROCS ET UN PELAGE FONCÉ
Lopatin et ses coauteurs ont déterminé que le « chaton » appartenait à l’espèce Homotherium latidens. Ce carnivore, parfois surnommé « chat-cimeterre », était un prédateur longiligne et très répandu qui, plutôt que de pratiquer la chasse par embuscade comme le célèbre Smilodon, tendait plutôt à courir après ses proies. Présent en Eurasie et en Amérique du Nord, le félin chassait ainsi les jeunes mammouths et autres espèces de la mégafaune. Des sites fossiles, tels que la grotte de Friesenhahn au Texas, laissent même penser qu’ils construisaient parfois des tanières dans des grottes afin d’y élever leurs petits.
En l’absence de fossiles incluant des tissus mous comme de la fourrure, des muscles et de la peau, les paléontologues ont longtemps débattu de l’apparence supposée d’Homotherium. Ils ont ainsi souvent été représentés avec de longues canines qui dépassaient de leur gueule, ce qui était peut-être vrai pour certaines espèces, comme le Smilodon. Une analyse réalisée en 2022 suggère toutefois qu’Homotherium, quant à lui, disposait d’une gueule profonde et d’une lèvre supérieure qui recouvrait ses longues dents, qui devenaient ainsi des « armes cachées » lorsque l’animal avait la bouche fermée.
Dans le cas de cette momie, il est difficile de savoir si les crocs des Homotherium latidens adultes étaient ou non recouverts. Selon Lopatin, la lèvre supérieure du chaton est plus de deux fois plus profonde que celle d’un lionceau moderne, ce qui laisse supposer qu’Homotherium avait effectivement des lèvres capables de dissimuler ses longues canines, qui ne pousseraient que plus tard. Reynolds précise néanmoins que le chaton retrouvé en Sibérie n’avait pas encore ses dents d’adulte. Seule la momie d’un « chat à dents de sabre » adulte permettra de trancher ce débat, et une telle découverte semble désormais plus probable grâce à la mise au jour de ce jeune individu.
À d’autres égards, l’anatomie du spécimen confirme ce que à quoi les paléontologues s’attendaient en se basant sur les os déjà analysés. « Le cou du chaton présentait des muscles hypertrophiés que l’on pensait effectivement retrouver chez les adultes, et ses membres antérieurs étaient longs et musclés, comme nous l’avions déjà constaté chez les Homotherium adultes », décrit Margaret Lewis, paléontologue à l’Université de Stockton, dans le New Jersey, qui n’était pas impliquée dans la nouvelle étude. La mâchoire du petit pouvait également s’ouvrir très grand, une capacité que les adultes utilisaient pour mordre leurs proies, note-t-elle.
La couleur de l’animal, elle aussi, était un mystère pour les spécialistes. La couleur du pelage des félins modernes est généralement associée à leur environnement de chasse : les lions, les pumas et les chats qui vivent dans des habitats ouverts et herbeux présentent par exemple souvent un pelage clair et relativement uniforme. Homotherium, qui chassait dans la « steppe à mammouths », un environnement froid avec peu d’arbres, mais beaucoup d’herbes, devrait donc présenter un pelage capable de se fondre dans de grands espaces ouverts.
« La couleur brun foncé uniforme de la fourrure de la momie s’est avérée tout à fait inattendue », admet Lopatin. À l’instar d’un groupe de lionceaux des cavernes découverts il y a plusieurs années dans le pergélisol, les petits Homotherium naissaient probablement avec un pelage plus foncé qui s’éclaircissait avec le temps.
« Il est fascinant de voir que le pelage des petits ne semblait pas présenter de taches ou de rayures », affirme Reynolds, car ces types de motifs sont courants chez les félins modernes, et ce même chez les espèces qui ont un pelage plus uniforme à l’âge adulte. Lewis note cependant que les animaux congelés affichent souvent une teinte rougeâtre : il est donc possible que le pelage actuel du spécimen ne reflète pas les couleurs qu’il présentait de son vivant. Les analyses génétiques de la fourrure aideront peut-être à donner un meilleur aperçu de son apparence réelle.
DIFFÉRENCES AVEC LES FÉLINS ACTUELS
Les experts continueront à examiner le chaton pendant encore un certain temps. C’est la première fois qu’est mise au jour une momie de l’ère glaciaire appartenant à une espèce de mammifère qui n’a pas d’équivalent moderne, et qui ne peut donc pas faire l’objet de comparaison. Les chats à dents de sabre, qui étaient spécialisés dans la chasse aux mammouths et autres espèces de la mégafaune, se sont éteints lorsque leurs proies ont succombé aux effets combinés d’un changement climatique et de l’activité humaine. Aucun félin ne chasse plus comme eux de nos jours. Les tissus mous du fossile révèlent donc de nombreux détails que les paléontologues ne pouvaient auparavant qu’imaginer en se basant sur les études de simples os retrouvés par le passé.
Les toutes petites pattes du chaton dévoilent elles aussi de nouvelles informations sur l’animal. « Chaque coussinet est beaucoup plus rond que celui d’un lion », note Reynolds, et le spécimen ne présente pas de coussinet carpien, que l’on trouve un peu plus haut sur les pattes des félins modernes. Bien que la cause de cette différence soit inconnue, l’étude de cette dernière pourrait aider les spécialistes à mieux identifier les caractéristiques qui distinguent les chats à dents de sabre du passé des grands félins qui peuplent notre planète aujourd’hui.
Homotherium et les autres espèces de sa famille n’étaient pas que de simples lions avec de très longues dents, mais des prédateurs qui évoluaient dans un monde très différent du nôtre, habité par des créatures géantes et étranges qui ont désormais disparu. Cette ancienne momie nous offre un aperçu direct de cette époque ancienne et révolue où les chats à dents de sabre dominaient les plaines de l’hémisphère nord.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.