Ces "mains de bébés" préhistoriques ne sont pas humaines
Une analyse de minuscules mains peintes il y a 8 000 ans et découvertes dans une grotte du Sahara a révélé qu’elles ne sont pas d’origine humaine.
De minuscules mains qu’on croyait à l’origine être celles de très jeunes enfants ou de nourrissons, ont été peintes à l’intérieur des linéaments de mains d’adultes sur les parois de la grotte de Wadi Sora II, dans le désert Lybique, en Égypte, il y a 8 000 ans environ.
En 2002, lorsque l’on a découvert le site de Wadi Sora II dans le désert lybique, en Égypte, les chercheurs ont été déconcertés par les milliers de décorations peintes 8 000 ans plus tôt environ sur les parois de cet abri rocheux. Non seulement y figurent des animaux sauvages, des silhouettes humaines et d’étranges créatures sans tête qui ont valu à l’endroit le surnom de « grotte des Bêtes », mais également, par centaines, le linéament d’empreintes de mains humaines ; soit plus que sur aucun autre site d’art rupestre du Sahara.
Plus étrange encore étaient les contours de treize minuscules empreintes de main. Jusqu’à la découverte de Wadi Sora II, on avait découvert des œuvres rupestres représentant des mains et des pieds réalisés à l’aide de pochoirs dans d’autres parties du monde, mais jamais dans le Sahara. Une scène est particulièrement remarquable et touchante : une paire de mains de « bébé » est nichée à l’intérieur du contour de mains plus grandes, des mains d’adultes.
Mais il y a plus étrange encore : ces mains minuscules ne sont pas humaines.
EN QUÊTE DE RÉPONSES DANS UN HÔPITAL FRANÇAIS
On considère que Wadi Sora II est l’un des plus extraordinaires sites d’art rupestre du Sahara, bien qu’il ne soit pas aussi célèbre que son voisin, Wadi Sora I, la « grotte des Nageurs », découverte par le comte hongrois Láslo Almásy en 1933 et popularisée dans Le Patient anglais, film de 1996.
L’anthropologue Emmanuelle Honoré, de l’Université Libre de Bruxelles, décrit combien elle a été « choquée » par la forme des mains exceptionnellement petites lorsqu’elle les a vues lors de sa première visite à Wadi Sora II en 2006. « Elle étaient sensiblement plus petites que des mains de bébé humaines, et les doigts étaient trop longs », explique-t-elle.
Emmanuelle Honoré a décidé de comparer la taille des contours de ces mains avec celle des mains de nouveau-nés humains (37 à 41 semaines d’âge gestationnel). Comme les modèles présents sur le site étaient minuscules, elle a également inclus des mesures réalisées sur des bébés prématurés (26 à 36 semaines d’âge gestationnel).
À cet effet, l’anthropologue a recruté une équipe qui comprenait également des chercheurs issus du domaine médical afin de recueillir ces données infantiles dans l’unité néonatale d’un hôpital français. « Si j’étais allée dans un hôpital et que je m’étais contentée de dire : "J’étudie l’art rupestre. Est-ce que vous avez des bébés ?", on m’aurait prise pour une folle et on aurait appelé la sécurité », s’amuse-t-elle.
Les résultats ont révélé que la probabilité que les mains de « bébés » de la grotte des Bêtes soient humaines est extrêmement faible.
ENFANTS-ARTISTES
Paradoxalement, cette découverte est survenue dans un contexte de prise de conscience du rôle joué par les enfants dans la création d’œuvres d’art rupestre et pariétal, souvent sous-estimé ou même tout simplement écarté d’emblée par les chercheurs d’autrefois. « C’est ironique, étant donné que dans n’importe quel foyer occidental, la personne qui produit le plus d’œuvres est l’enfant », explique Jane Eva Baxter, archéologue de l’Université DuPaul spécialiste de l’enfance. « Donc l’idée selon laquelle les enfants [de la Préhistoire] n’avaient pas le droit de produire des œuvres est une drôle d’idée. »
Plus récemment, en 2022, une étude a révélé que jusqu’à 25% des empreintes réalisées avec la technique du pochoir découvertes dans des grottes du Paléolithique en Espagne étaient celles d’enfants, voire même de bambins.
Mais alors, si les empreintes de Wadi Sora II n’étaient pas humaines, qu’étaient-elles ? Le positionnement des minuscules mains et de leurs doigts varie d’empreinte en empreinte, ce qui a conduit les chercheurs à conclure qu’elles étaient flexibles et articulées et à écarter la possibilité d’un pochoir fabriqué à partir d’un matériel statique comme du bois ou de l’argile.
Emmanuelle Honoré a initialement pensé à des pattes de singes, mais lorsqu’elle s’est aperçue que ces proportions ne correspondaient pas non plus, des collègues du Musée d’histoire naturelle de Paris lui ont suggéré de s’intéresser aux reptiles. Il s’avère que les membres aux proportions les plus proches de mains de « bébés » sont les pattes avant du varan du désert (Varanus griseus), qui vit encore dans la région de nos jours et que les tribus nomades de la zone considèrent comme une créature protectrice. Emmanuelle Honoré a plus tard établi que les empreintes de « bébés » avaient été produites par un seul lézard, aidé d’au moins deux artistes adultes.
Emmanuelle Honoré a des réticences à trop s’avancer sur la signification de ces empreintes non humaines. « Nous avons une conception moderne selon laquelle la nature est une chose dont les humains sont séparés, observe-t-elle. Mais dans cette gigantesque collection d’images nous pouvons déceler que les humains font simplement partie d’un monde naturel plus vaste. »
Toujours est-il que bon nombre de parents dont les bébés ont participé à l’étude étaient enthousiasmés de prendre part à de cette découverte rupestre. « Ils étaient vraiment enthousiastes à l’idée que leur nouveau-né puisse faire une telle contribution à la science », conclut Emmanuelle Honoré.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.