À qui appartient l'Antarctique ?
Depuis la signature du traité sur l'Antarctique en 1959, le continent austral est un espace où cohabitent pacifiquement plusieurs pays pour le bien de la science.
« En cherchant sur Internet des informations sur la terre Adélie, je suis tombée sur une carte de l'Australie ! », raconte Françoise Amélineau. L’étudiante en écologie était pourtant persuadée que le territoire était français. À l’époque, fin 2010, elle prépare un séjour de 15 mois en Antarctique dans le cadre d’un service civique. Pas étonnant que la jeune femme se soit emmêlée les pinceaux : la question de la souveraineté des territoires australs est complexe. Le pôle Sud compte 40 stations de recherche permanentes. Sur la base Dumont-d’Urville, où Françoise a étudié les manchots pour son service civique, tout le monde est Français et respecte les lois du pays. Mais sur la station scientifique de Casey située à 1 200 km, les chercheurs sont principalement Australiens.
La France, l'Australie, la Nouvelle-Zélande, le Chili, l'Argentine, le Royaume-Uni et la Norvège se sont longtemps disputés les terres australes. En 1957 et 1958, des scientifiques du monde polaire coopèrent, à l’occasion de l’année géophysique internationale, et décident de dépasser le problème. L'année d'après, sous leur impulsion, 12 pays (l’Afrique du Sud, l’Argentine, l’Australie, la Belgique, le Chili, les États-Unis, la France, le Japon, la Norvège, la Nouvelle-Zélande, le Royaume-Uni et l’URSS) concluent le Traité sur l'Antarctique. Depuis, les États qui avaient émis des prétentions territoriales peuvent continuer, sans pour autant forcer les autres pays à en reconnaître la souveraineté. « C'est une sorte de non-accord qui, par son existence, gèle toutes revendications territoriales sur l'Antarctique », explique Anne Choquet, enseignante-chercheur en droit à Brest Business School et membre du Comité National Français des Recherches Arctiques et Antarctiques (CNFRA). « La fin des prétentions territoriales sur le continent est le plus bel exemple de réussite de coopération internationale ». Grâce aux scientifiques, l'ensemble des territoires du pôle Sud situés sous le 60e parallèle est aujourd'hui un espace de paix, dédié à la science.
UN TRAITÉ POUR RÉGLEMENTER
Le traité sur l'Antarctique a depuis été ratifié par 53 pays. Ces derniers se réunissent chaque année lors de la réunion consultative du traité sur l'Antarctique, la RCTA, pour aborder les enjeux de gestion du territoire. Comment limiter l’utilisation des drones sur le continent ? Faut-il définir de nouvelles zones spécialement protégées ou gérées antarctiques (Les ZSPA et ZSGA) ? Doit-on intégrer un nouveau pays membre ? Comment encadrer le tourisme polaire qui se développe de plus en plus ? Toutes ces questions ont été abordées lors de la dernière RCTA qui a eu lieu en juin 2017.
Le protocole de Madrid signé en 1991 a également permis d’intégrer la question environnementale. Les équilibres des écosystèmes sont très fragiles au pôle Sud. Pour les préserver, les pays ayant un projet de recherche sur le continent doivent, systématiquement, évaluer son impact sur l’environnement. Les États membres du traité sur l’Antarctique, appuyés par le comité d’environnement polaire (CEP) constitués d’experts, étudient lors de la RCTA annuelle le bien-fondé du projet.
Parmi les 53 pays ayant ratifié le traité, seuls 29 peuvent voter : les 12 pays originellement signataires et 17 autres cooptés par ces derniers. Il faut un consensus absolu « des 29 » pour que toute nouvelle mesure réglementaire soit adoptée. Le plus grand risque pour le continent ? Le tourisme. Selon le site officiel de la collectivité des Terres australes et antarctiques françaises (Taaf), environ 30 000 personnes se rendent chaque année sur le territoire. Certains tours opérateurs sont peu scrupuleux et ne respectent ni les règles environnementales imposées par le traité ni les infrastructures du territoire. Parmi les affaires les plus célèbres, celle de Wordie House, du nom d’un abri britannique à valeur historique car il est l’un des plus vieux du continent. Ce dernier a été endommagé à la suite d’un séjour organisé par un ressortissant français. L’homme n’avait, de surcroît, pas demandé d’autorisation pour se rendre en Antarctique. En 2015, il s’est vu contraint par la France, conformément au Code de l’Environnement, à verser une amende de 10 000 euros. « Même à l’autre bout du monde, un citoyen peut être tenu de respecter les règles de son pays d’origine », rappelle Anne Choquet.
LA SCIENCE, UNE PRIORITÉ EN ANTARCTIQUE
En Antarctique, ce qui prime avant tout, c'est de préserver le territoire et faire avancer la science. Tout pays allant dans ce sens peut s'établir sur le continent pour y mener des recherches. Pour l'heure, « le traité est respecté et les pays coopèrent pour le mettre en œuvre », explique Anne Choquet. Même le projet de la Chine, qui envisage de construire un nouvel aérodrome sur le continent blanc, ne semble pas inquiéter la spécialiste qui croit en l'entente diplomatique spéciale du territoire. Le continent est devenu une sorte d'espace international peuplé par une « population par mission ». Cette communauté de passage, qui vit en bonne intelligence tout au long de l'année, a même ses propres rites.
Comme celui de la Midwinter, auquel Françoise Amélineau a eu la chance de participer en juin 2011. « Tous les ans, pour célébrer la moitié de l'hiver [le 21 juin dans les terres australes] les équipes de recherche prennent une semaine de vacances », explique-t-elle. Concrètement, elles restent sur place, l’hiver austral ne permettant pas le déplacement, mais passent une semaine à faire la fête. « À cette occasion, on s'envoie des cartes de vœux entre stations et on s'appelle pour échanger des blagues ». De son côté, après sa mission (racontée sur son blog), Françoise Amélineau a soutenu une thèse sur les mergules nains d'Arctique. Elle rêve de retourner un jour en Antarctique, ce paradis blanc de la diplomatie française, pour mener des recherches sur les oiseaux marins.
L'Antarctique est en couverture du magazine National Geographic n° 214, de juillet 2017.