Qui sont les super-physionomistes, ces personnes capables de reconnaître des visages en un clin d'œil ?
Des gènes expliquent sans doute le talent des super-physionomistes. La science se penche désormais sur cette capacité rare et jusqu’ici peu étudiée.
Les super-physionomistes ne représenteraient que 2 % de la population.
Là où, au beau milieu d’une foule, vous ne voyez que des visages inconnus, Nikki, Chris ou Jade sont susceptibles d’y reconnaître des employés de leur école primaire ou bien des anciens collègues. Ainsi, lors de vacances en famille en Italie, Nikki sait qu’elle a déjà vu cette dame assise sur le rebord de la fontaine de Trevi : elle était dans le même avion à l’aller, à quelques rangées d’elle. En tournée dans des bars bondés un vendredi soir, Chris reconnaît une ancienne collègue d’une entreprise où il travaillait voilà 10 ans.
À l’université, Jade était capable de distinguer ses camarades d’amphithéâtres qui allaient au restaurant le midi. Nikki, Chris et Jade sont que l’on appelle aujourd’hui des « super-physionomistes » : des personnes capables de reconnaître des visages en un clin d'œil. Ils représentent seulement 2 % de la population.
Pour comprendre ce phénomène, des chercheurs de l’Université de Nouvelle-Galles du Sud à Sydney, en Australie, ont mis en place un test. Au programme, entre autres, regarder les visages défiler et signaler si deux photos désignent une même personne. « Ce test est très difficile, avec des images floues issues des réseaux sociaux, et des personnes qui prennent des poses différentes, avec des lumières différentes, à des âges différents » précise David White, chercheur au « Face Research Lab » ou laboratoire de recherche sur les visages à l'Université de Nouvelle-Galles du Sud. Sur près de 100 000 personnes, seuls 1 à 2 % des participants frôlent le strike au test.
« Généralement, les super-physionomistes savent assez tôt qu’ils ont des capacités en plus, car ils reconnaissent des gens qui, eux, ne les reconnaissent pas » poursuit le chercheur. Cette capacité intéresse les polices et les services de confection des passeports de multiples pays, qui ont commencé à recruter dans les rangs des bons élèves du test. Plus prosaïquement, les principaux concernés l’utilisent aussi en société.
« Je peux distinguer des personnes croisées il y a une vingtaine d’années au beau milieu d’une foule – si j’ai de mauvais souvenirs avec elles, je vais les éviter » raconte Chris. « En soirée, je reconnais parfois des gens que j’ai vus au parc avec leurs enfants ou bien en train de sortir – donc je sais quel type d’activités ils aiment, s’ils ont une vie de famille... Ça m’aide à trouver des sujets de conversation pertinents » abonde de son côté Jade. Revers de la médaille : les physionomistes peuvent vite passer pour des harceleurs ou des fous.
Une personne passant le test pour les super-physionomistes de l'université de Nouvelle-Galles du Sud.
« On apprend à ne pas toujours en parler. Forcément, vous trouveriez ça étrange que quelqu’un vienne vous voir en disant : "il y a 10 ans, tu marchais sur tel boulevard avec tel chapeau". Donc aujourd’hui, quand je rencontre quelqu’un que j’ai déjà vu mais qui ne me connaît pas, je me contente d’un simple "enchantée" » poursuit Jade.
Comment expliquer ce super-pouvoir ? Les gènes jouent un rôle important. Ainsi, de vrais jumeaux auront des scores similaires au test de l’Université de Nouvelle-Galles du Sud. « Si l’un est super-physionomiste, l’autre aura aussi de très bonnes capacités à reconnaître les visages. Ce n’est pas le cas chez les faux jumeaux. Cela suggère que les gènes, et non l’environnement, déterminent les super-physionomistes, même s’il reste beaucoup de questions à élucider de ce côté-là » souligne David White. Aujourd’hui, « moins d’une cinquantaine de papiers » a été publiée sur le sujet, estime le chercheur.
Une étude en cours, qui scrute les mouvements des yeux des participants, suggère que ces élites de la reconnaissance faciale explorent aussi plus en détail un visage – « c’est-à-dire que chez les super-physionomistes, il y a plus d’informations qui entrent dans le cerveau. Leur capacité pourrait venir d’un intérêt accru pour les visages, comparé au reste de la population ».
Une explication qui trouve un certain écho chez Chris : « pour moi, chaque visage crée une sensation unique. Comme lorsque l’on écoute de la musique ou bien que l’on voit une couleur – regarder un visage provoque une certaine émotion qui me permet de mieux m’en souvenir ». Cela a d’ailleurs un corollaire original chez les personnes interviewées – elles voient des visages partout.
« Dans mes tartines le matin, dans mon plat de pâtes, dans les nuages ou les arbres » détaille Nikki. « Je pensais que c’était le cas de tout le monde. Mais le jour où j’ai demandé à mon mari s’il voyait cela aussi, il s’est contenté de rire » sourit-elle.
D’autres singularités que les scientifiques devraient élucider dans les années à venir.