L’endométriose est-elle causée par une bactérie ?
Une récente étude japonaise a trouvé une origine bactérienne à l’endométriose. Un traitement antibiotique pourrait être envisagé afin de guérir définitivement cette maladie utérine dont souffre une à deux femmes sur dix.
La bactérie Fusobacterium, en points blancs, est présente en fortes concentrations dans l’endomètre (paroi utérine) de patientes atteintes d'endométriose.
L’endométriose est une maladie qui touche 10 à 20 % des femmes dans le monde. Caractérisée par le développement d’un tissu semblable à l’endomètre en dehors de la cavité utérine, elle provoque de violentes douleurs aux personnes qui en souffrent, notamment pendant les règles, les rapports sexuels, et de nombreuses activités anodines du quotidien. Il a fallu attendre 160 ans depuis sa découverte avant que cette souffrance ne soit considérée, et n'entre dans les programmes des études de médecine en septembre 2020.
Le 14 juin 2023, une étude japonaise de l’école supérieure de médecine de l’Université de Nagoya, dirigée par le Docteur Ayako Muraoka et le docteur Yutaka Kondo a été publiée dans la revue Science Translational Medicine. Cette étude révèle le rôle d’une bactérie, le Fusobacterium, dans le développement de l’endométriose. Envisagée sous un angle différent, les perspectives curatives sont prometteuses.
UNE MALADIE DE L’ENDOMÈTRE, MAIS PAS QUE
« L’endométriose est une maladie très fréquente, mais peu de personnes savent comment elle évolue », explique le Dr. Yutaka Kondo. Selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) et la Fondation Recherche Endométriose, il existe une multitude de facteurs impliqués.
Les zones de migrations du tissu endométrial, qui tapisse normalement la cavité utérine, peuvent être nombreuses et plus ou moins étendues dans la cavité abdominale. Ces migrations provoquent des réactions inflammatoires chroniques très douloureuses, lesquelles impliquent des lésions internes. L’OMS définit 4 types de lésions. La première est qualifiée « d’endométriose superficielle », principalement localisée dans le péritoine pelvien. La deuxième, « l’endométriome » ou « kyste ovarien » est localisée dans les ovaires. Il y a ensuite « l’endométriose profonde », localisée dans le septum recto-vaginal, la vessie et le rectum. Enfin, dans de rares cas, l’endométriose peut migrer hors du bassin, jusque dans les poumons.
Illustration d’endométriose dans la cavité utérine.
L'endométriose est caractérisée, selon l'Organisation Mondiale de la Santé par un développement de tissus semblables à la muqueuse utérine en dehors de la cavité utérine. Elle se traduit notamment par de violentes douleurs pelviennes, qui peuvent aussi se manifester dans de nombreuses régions abdominales.
Il existe deux principaux types de symptômes. Tout d’abord, il s’agit de douleurs pelviennes, notamment pendant les règles qui sont souvent insupportables et abondantes. Les douleurs peuvent également survenir lors des rapports sexuels. L’endométriose peut également entraîner des dérèglement digestifs et des douleurs lors de l’émission des selles. Outre le facteur douleur, certaines personnes atteintes d’endométriose peuvent être concernées par des problèmes d’infertilité.
Avec cette multitude de zones touchées, les symptômes sont nombreux et variés. Cette pathologie est une véritable problématique de santé publique car elle a des répercussions sur la qualité de vie des personnes touchées, notamment dans la sphère du travail, de la santé sexuelle, émotionnelle, etc. Il est important de ne pas minimiser les symptômes constatés, et de consulter un médecin ou gynécologue, qui pourra orienter vers un dépistage.
UNE EXPLICATION BACTÉRIENNE ?
Pendant la menstruation, le tissu sanguin de l’endomètre est évacué par le vagin. Or « une majorité de femmes ont des « menstruations rétrogrades », explique le Dr. Kondo. Dans ce cas, le sang et les tissus vont de l’utérus à la cavité pelvienne », notamment vers les trompes de Fallope et les ovaires. Toute personne menstruée peut être touchée sans néanmoins développer d’endométriose. Cependant, l’étude montre que ce paramètre joue un rôle dans l’apparition de facteurs qui peuvent favoriser son développement.
Le tissu sanguin de l’endomètre contient en effet des fibroblastes, qui sont des cellules aux propriétés cicatricielles du tissu conjonctif, responsable de la liaison des muscles entre eux. Ces fibroblastes ne constituent pas un seul type de cellules. Il en existe toute une variété, à laquelle une multitude de fonctions sont attribuées. Les myofibroblastes, l’un de ces types de cellules, jouent un rôle majeur dans le fonctionnement de l’endométriose. Ce sont ces cellules qui sont responsables de l'inflammation chronique. Selon l’Académie Nationale de Médecine, elles sécrètent de fortes quantités de collagène et sont impliquées dans les fibroses et dans la contraction des plaies au cours de la cicatrisation.
Le Dr. Kondo explique que les patientes atteintes d’endométriose présentent « beaucoup plus de myofibroblastes dans leur endomètre ». L’étude révèle que ces cellules sont activées par une « réponse immunitaire ». Il y a donc un agent pathogène responsable de leur activation.
Illustration qui représente une photomicroggraphie de plusieurs bactéries de type Fusobacterium (1979).
Les chercheurs ont découvert qu’une « infection bactérienne au niveau de l’endomètre », était responsable d’une « réponse du système immunitaire ». Il s’agit de la bactérie Fusobacterium. Elle contribue à transformer le fibroblaste en myofibroblaste, induisant la croissance de l’inflammation dans les cellules de l’endomètre, puis dans d’autres zones de la cavité pelvienne, voire abdominale.
Pendant les règles, les myofibroblastes ont d’ailleurs tendance à migrer dans la région ovarienne. Le Dr. Kondo explique qu’il y a deux manières envisagées pour expliquer la migration de cette bactérie dans l’endomètre. « Le Fusobacterium se trouve parfois à l’intérieur du rectum (côlon). Il est donc possible qu’il passe de la région anale à la région vaginale, puis rétrograde jusqu’à l’utérus ».
La deuxième piste d'explication a été vérifiée en laboratoire. De nombreuses personnes présentent cette bactérie au niveau de la cavité buccale. Il était alors probable que la circulation sanguine entraîne la bactérie jusqu’à l’utérus. « Nous avons alors injecté le fusobacterium dans la veine cervicale d’une souris, près de sa bouche », raconte le Dr. Kondo. « Nous avons constaté que pour la moitié des sujets, le fusobacterium migrait dans l’utérus. C’était incroyable ! ». Le travail de repérage par fluorescence a également permis de confirmer que la bactérie présente dans la majorité des cas était le fusobacterium.
Les résultats de l’étude montrent que 64 % des patientes présentant une endométriose sont testées positives au fusobacterium. « Toutes les endométrioses ne sont pas causées par des infections bactériennes », nuance le Dr. Kondo. Plusieurs facteurs peuvent en être la cause. Le facteur génétique revient souvent. Il peut certes jouer un rôle, tout comme les fluctuations hormonales, ou les conditions environnementales, mais plus de 10 % de la population féminine mondiale en souffre. « Cela représente tellement de personnes que nous ne pouvions pas simplement l’expliquer par une réponse génétique ». « Nous pensons », poursuit le Dr. Kondo « que l’infection au fusobacterium, du fait de sa capacité à se propager, pourrait être l’une des principales origines dans le développement de l’endométriose ».
Le Dr. Kondo alerte également : « il est possible que Fusobacterium ait un lien avec le développement du cancer », en se basant notamment sur le fonctionnement d’autres bactéries, comme l’Helicobacter pylori qui peut engendrer le développement du cancer de l’estomac.
QUEL(S) TRAITEMENT(S) ENVISAGÉS ?
Deux traitements sont aujourd’hui communément prescrits pour l’endométriose. Il y a le traitement hormonal et le traitement chirurgical (beaucoup plus rare). Il ne s’agit pas là de traitements définitifs, et ils peuvent présenter l’un comme l’autre des complications. « Par exemple, avec un traitement hormonal, vous ne pouvez pas avoir de bébés pendant le traitement », précise le Dr. Kondo. Il peut également entraîner des dérèglements et désagréments au quotidien.
L'infection au fusobacterium peut être traitée avec des antibiotiques. Cependant, cette bactérie n'est pas sensible aux « antibiotiques utilisés habituellement comme la pénicilline par exemple ». « Elle est tout-à-fait unique, et peut survivre à l’intérieur d’un tissu, y compris des tissus métastasés ». L’article fait mention d’un type d’antibiotique particulier, le métronidazole, auquel la bactérie est sensible. Son usage sur des souris atteintes a montré des améliorations, notamment dans l'ampleur et la propagation des lésions internes. « Mais actuellement, nous avons besoin de plus d’analyses et d’études cliniques », précise le Dr. Kondo.
La question du type de patientes pouvant être traitées avec cet antibiotique, ou encore le type de combinaisons thérapeutiques qui peuvent être proposées, entre traitement hormonal, chirurgical et antibiotique, restent à mettre au point.