Des scientifiques veulent empoisonner les moustiques avec du sang humain

Des scientifiques rapportent qu’un médicament, la nitisinone, rend le sang humain toxique pour les moustiques. Il pourrait être un nouvel outil dans le combat contre la malaria.

De Jason Bittel
Publication 31 mars 2025, 14:38 CEST
Fluorescent_Female_Anopheles_gambiae_photographed_by_Lee_Haines

Les moustiques femelles de l’espèce Anopholes gambiae transmettent les parasites responsables de la malaria. Cette femelle brille d’un éclat vert, causé par son régime riche en fluorescéine qui paraît vert à la lumière ultraviolette et révèle le système hémolymphe du moustique.

PHOTOGRAPHIE DE Dr. Lee Haines

La malaria est responsable de la mort de 600 000 personnes par an et fait partie des maladies mortelles transmises par les moustiques. Et si nous pouvions faire de notre sang un poison pour les parasites qui le convoitent ?

Dans une étude publiée en mars dans la revue scientifique Science Translational Medicine, des scientifiques rapportent qu’un médicament, la nitisinone, rend le sang humain toxique pour les moustiques. Ils meurent dans les heures qui suivent leur consommation de sang contenant des doses relativement faibles du médicament. De plus, son effet persiste jusqu’à seize jours après la prise initiale.

Il est important de souligner que la nitisinone n’est pas efficace dans le traitement de la malaria. Toutefois, en tuant les moustiques avant que les femelles ne pondent leurs œufs, ce médicament pourrait éradiquer les populations responsables de la transmission de la maladie.

L’objectif n’est pas de développer une immunité individuelle contre la malaria, mais plutôt, comme une couverture vaccinale, de créer une immunité collective pour enrayer les épidémies.

Les chercheurs nous mettent en garde : ce n’est pas une solution miracle contre les maladies transmises par les moustiques. C’est un moyen qui pourrait cependant aider, couplé à d’autres stratégies, comme des moustiquaires imbibées d’insecticides, des médicaments pour prévenir les épidémies de malaria et les vaccins eux-mêmes. Cela pourrait s’avérer d’autant plus efficace dans les zones où les moustiques ont déjà développé des résistances à d’autres formes de traitement.

« Ce qui est intéressant, c’est que nous avons recours à un médicament déjà approuvé par les autorités de santé, car il est utilisé dans le traitement de maladies génétiques rares », explique Álvaro Acosta Serrano, parasitologue, biologiste spécialiste des insectes vecteurs et coauteur de l’étude.

 

UN MÉDICAMENT À L’HISTOIRE INTÉRESSANTE

Inspirée par une toxine contenue dans les callistemons, des plantes endémiques d’Australie, la nitisinone devait, à l’origine, servir d’herbicide. Elle ciblait un acide aminé essentiel, la tyrosine.

La tyrosinémie de type 1 et l’alcaptonurie, deux maladies génétiques rares, surviennent lorsque le corps ne peut pas métaboliser ce même acide aminé. Les chercheurs ont découvert que la nitisinone était un traitement efficace, le médicament a été approuvé par la Food and Drug Association aux États-Unis en 1992, et en France au début des années 2000.

« Il s’agit du seul médicament qui a maintenu en vie les enfants atteints de tyrosinémie de type 1 », explique Acosta Serrano. « Ce n’est pas une solution parfaite, mais c’est la seule que nous avons. » La nitisinone est responsable d’une longue liste d’effets secondaires chez les patients qui souffrent de ces maladies. Le chercheur souligne cependant que ces populations doivent en ingérer des quantités beaucoup plus élevées que celles qui seraient nécessaires pour contrôler efficacement la population de moustiques.

En 2016, deux chercheurs au Brésil, Marcos Sterkel et Pedro Oliveira, ont découvert que les insectes hématophages, comme les puces, les mouches et les moustiques, avaient développé la capacité d’assimiler la tyrosine, leur organisme en étant saturé après un repas de sang.

Mais, plus important encore, ils ont constaté que le dérèglement de ce processus entraînait la mort de l’insecte.

En sachant que le laboratoire d’Acosta Serrano à l’école de médecine tropicale de Liverpool, au Royaume-Uni, travaillait sur un autre parasite, la mouche tsétsé, les chercheurs l’ont contacté pour en apprendre plus sur le rôle de la nitisinone. Peu après, l’équipe a étendu ses recherches afin d’étudier l’effet de la nitisinone sur les moustiques.

C’est ainsi que la nitisinone est passée d’herbicide à traitement médical, avant de devenir un potentiel outil de lutte contre une maladie mortelle.

 

CE N'EST PAS UN REMÈDE MIRACLE CONTRE LA MALARIA

La nitisinone a déjà passé des tests rigoureux de standards de sécurité, il sera donc plus aisé de lui donner un autre but, celui de combattre les maladies transmises par les moustiques, explique Acosta Serrano, qui travaille à présent à l’université de Notre Dame. Par exemple, la nitisinone est en cours d’examen aux États-Unis pour pouvoir être utilisée chez les nourrissons et les jeunes enfants. Aucun effet néfaste n’a été enregistré chez les personnes enceintes. Les tests sont, en ce sens, prometteurs.

« Je trouve cette étude très intéressante », dit George Dimopoulos, biologiste moléculaire spécialiste des maladies transmises par les moustiques au département de santé publique Bloomberg de l’université Johns Hopkins.

Pour commencer, l’idée que la nitisinone puisse être utilisée dans la lutte contre les maladies transmises par les moustiques est inédite, explique-t-il. Il est également intrigant que les effets secondaires semblent être moins importants que ceux observés dans l’ivermectine, un médicament qui peut être utilisé pour freiner la transmission de la malaria. La nitisinone est, en outre, plus efficace.

Le biologiste a néanmoins pointé quelques inconvénients. « La malaria est une maladie qui prend racine dans la pauvreté », dit-il. « Des médicaments dont le prix augmente ne fonctionneront pas, surtout dans le cadre d’une méthode d’intervention comme celle-ci, où il ne s’agit pas de protéger des individus de la malaria, mais la population tout entière. »

La rareté des maladies actuellement traitées par la nitisinone en fait un médicament trop coûteux pour un déploiement à grande échelle. Acosta Serrano espère cependant observer une baisse des prix pouvant aller jusqu’à 80 %, à mesure que l’intérêt pour ses recherches grandira.

La nature indirecte de la prévention pourrait également poser un problème. « Convaincre des gens de prendre un médicament qui ne les protège pas directement est une tâche difficile », explique George Dimopoulos.

Il explique toutefois qu’il serait possible, à l’avenir, de combiner un traitement au nitisinone à des médicaments contre la malaria. De même, le traitement pourrait être rendu plus efficace en l’administrant au bétail. Les animaux figurent également au menu des moustiques, ils peuvent donc être utilisés comme appâts.

De façon similaire, et parce que les moustiques se nourrissent du pollen des plantes, les scientifiques ont également mené des expériences en créant des sacs de pollen, mélangés à des insecticides qui pourraient cibler les moustiques sans exposer d’autres pollinisateurs au poison.

« Alors, en théorie, on pourrait se servir de cette technologie afin d’exposer les moustiques au médicament », explique George Dimopoulos. « Il ne serait pas nécessaire de l’administrer aux humains. »

Avec toute méthode de contrôle des moustiques, il demeure toujours une inquiétude par rapport à la résistance. Seul le temps dira si les moustiques pourraient évoluer pour tolérer la toxine.

Quel que soit le rôle de la nitisinone à l’avenir, Acosta Serrano et Dimopoulos s’accordent à dire que le médicament sera plus efficace s’il est couplé à une approche plurielle, adaptée à chaque population.

« Dans certaines régions, le médicament, associé aux vaccins, pourrait mieux fonctionner. Dans d’autres, diffuser de l’insecticide et se servir de nouvelles technologies, comme des moustiques génétiquement modifiés, pourrait s’avérer plus efficace », explique George Dimopoulos. « C’est un peu comme un traitement personnalisé. »

« Il n’existe pas de remède miracle contre la malaria », continue-t-il. « Et je ne pense pas qu’il y en aura un jour. »

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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