Médecine préventive : peut-on prendre trop soin de soi ?

Des solutions de haute technologie telles que les IRM dites « corps entier » permettent de dépister des maladies comme le cancer. Cependant, des examens aussi poussés peuvent ne pas convenir à tout le monde.

De Karen Peterson
Publication 21 août 2024, 17:26 CEST
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Les scanners corporels intégraux, par tomodensitomètre (ci-dessus) ou par IRM, peuvent permettre d’identifier de potentielles maladies avant qu’elles ne deviennent symptomatiques. Cependant, leurs détracteurs pointent leur coût élevé, l’absence de ciblage et le fait que ces tests puissent causer plus de mal que de bien.

PHOTOGRAPHIE DE JohnnyGreig, Getty Images

Sur les trente-quatre types de cancers les plus fréquents, autrefois l’apanage de la population âgée, dix-sept voient leur incidence augmenter chez les individus des générations X et Y, tandis que l’incidence de neuf d’entre eux, dont le cancer du côlon, diminue chez les adultes de plus de 65 ans.

Au vu de cette hausse qui touche une population plus jeune, il est crucial d’effectuer des dépistages précoces si l’on veut mieux guérir et vivre plus longtemps, ainsi que le conseillent la très vaste majorité des professionnels de santé.

Les procédures les plus fréquentes pour identifier de possibles cancers sont les scanners et les radiographies, qui permettent d’examiner des symptômes préoccupants. Ils permettent de rechercher des signes de tumeurs ainsi que d’autres anomalies dans des parties spécifiques du corps. De là émerge une question : pourquoi ne pas scanner l’ensemble du corps avant même que les symptômes n’apparaissent ?

« Pour certaines des catégories de cancer qui progressent le plus vite – pancréas, ovaires, côlon chez les jeunes sujets, poumon chez les non-fumeurs –, il n’existe pas de programmes de dépistage de référence. L’approche actuelle du système médical est d’attendre que les symptômes se manifestent, mais une fois rendus à ce stade, pour bon nombre de ces cancers, le pronostic est défavorable », déplore Andrew Lacy, P-DG de Prenuvo, entreprise qui ouvre des cliniques proposant des IRM corporelles intégrales à travers les États-Unis. L’entreprise a connu un certain retentissement médiatique l’an dernier après que Kim Kardashian a qualifié les examens qu’elle propose de « salvateurs » dans une publication sur Instagram.

Prenuvo n’est qu’une entreprise parmi d’autres qui, dans le monde entier, promettent une médecine préventive de meilleure qualité et plus exhaustive – moyennant toutefois un certain prix.

En plus des IRM « corps entier », des patients se mettent en quête d’examens préventifs approfondis et parcourent le monde en avion pour faire des bilans de santé qui ont tout du marathon médical. Une vidéo virale sur TikTok montre un établissement turc où une femme a pu faire un détartrage des dents et des analyses sanguines mais aussi effectuer un certain nombre de scanners pour un bilan quasi-complet.

Les médecins sont sceptiques quant au réel intérêt de tous ces soins préventifs. Le Collège américain de la médecine préventive (ACPM) ne recommande pas les scanners « corps entier » pour les personnes ne présentant pas de symptômes. 

 

QUE PEUT-ON VOIR GRÂCE AUX IRM ?

La valeur d’une IRM réside dans sa capacité à nous montrer les profondeurs des muscles, des tissus mous et des os pour que nous puissions y déceler des signes de tumeurs (des amas cellulaires anormaux) et d’autres anomalies telles que des anévrismes.

Brevetée en 1972 par le médecin Raymond Damadian, l’IRM a été encensée dès sa commercialisation dans les années 1980 : il avait découvert le moyen de faire en sorte qu’une machine distingue les cellules cancéreuses des cellules non cancéreuses. Grâce à un courant de radiofréquence, les protons des tissus mous et des organes se dispersent ; quand le courant est interrompu, ils se réorganisent.

Les données obtenues en procédant ainsi permettent aux médecins de faire la différence, dans la plupart des cas, entre ce qui est normal et ce qui ne l’est pas.

Les technologies d’imagerie telles que l’IRM peuvent « nous renseigner sur votre bonne santé ou non en amont d’une maladie », explique Bernardo Lamos, co-directeur du Centre Coit pour la longévité et la neuro-thérapie de l’Université d’Arizona dont le travail concerne principalement le vieillissement et la population âgée. « Et si vous prenez connaissance [d’un problème], vous pouvez intervenir. Il existe un taux d’erreur pour tout cela, et il faut faire attention, mais je ne voudrais surtout pas intervenir trop tard. »

Ezra, entreprise new-yorkaise du secteur de la santé, rend les IRM plus intelligentes et affine les rendus finaux grâce à son logiciel d’intelligence artificielle. À l’instar de Pernuvo, Ezra a investi le domaine des services d’IRM « corps entier » en s’implantant des cliniques partout aux États-Unis, et dernièrement à Austin, au Texas, « ville la plus demandée à ce jour », selon le site web de l’entreprise.

Les progrès permis par l’IA d’Ezra réduisent le temps qu’une personne doit passer à l’intérieur de l’appareil d’IRM : une demi-heure au lieu d’une heure.

Eric Verdin, président et P-DG de l’Institut Buck de recherche sur le vieillissement, passe une IRM « corps entier » chaque année depuis cinq ans, et selon lui, les services d’imagerie avancée de ce type peuvent combler une lacune critique en matière de dépistage précoce. Selon une étude du Centre national de recherche sur l’opinion de l’Université de Chicago, seuls 14 % des cancers environ sont découverts par le biais de dépistages préventifs standards.

Cependant, dans cette étude, les taux de dépistage différaient grandement selon le type de cancer testé. Les cancers de la prostate et du sein ont été détectés 77 et 61 % du temps respectivement, tandis que les cas de cancer du poumon ne l’ont été que 3 % du temps.

Selon Eric Verdin, le coût d’une IRM « corps entier », non couvert par les assurances américaines à moins d’avoir été prescrite par un médecin pour un test spécifique, va diminuer avec le temps. Et les assureurs pourraient bien sauter sur l’occasion, comme ils l’ont par exemple faire avec les mammographies.

 

COÛTS ÉLEVÉS ET FAUX POSITIFS

Selon une étude publiée américaine en 2023, les personnes qui gagnent plus de 225 000 euros par an (15 millions de foyers américains) étaient « bien plus susceptibles d’allouer leur temps et leur argent à la santé ».

Au-delà de l'inégalité de moyens - que l'on retrouve aussi en France si l'on décide de faire des examens jugés non-nécessaires à ses frais. Un autre inconvénient majeur est qu’il est plus que probable que les IRM fonctionnant avec l’IA enregistrent davantage d’anomalies (ou « incidentalomes ») qui ne sont pas préoccupantes d’un point de vue médical mais qui peuvent donner lieu à des examens complémentaires coûteux ; à des procédures chirurgicales superflues et possiblement dangereuses ; et à une angoisse inutile.

Une étude publiée en 2019 a passé en revue une dizaine d’autres études évaluant les avantages et les inconvénients de faire passer des IRM « corps entier » à des patients sans symptômes discernables : les résultats sont mitigés.

En effet, les IRM ont permis de découvrir des anomalies chez à peine plus d’un tiers des personnes testées, mais il demeurait difficile de déterminer le risque sanitaire posé par ces anomalies. On a par ailleurs constaté des faux positifs dans 16 % des cas.

Ces faux positifs et anomalies physiques bénignes peuvent donner lieu à ce que les médecins appellent un « surdiagnostic ». Les problèmes du surdiagnostic, qui ne concernent pas uniquement les IRM « corps entier », sont connus depuis des décennies.

Le neurochirurgien britannique Richard Hayward est connu pour avoir inventé « l’acronyme de notre temps », selon ses propres termes : VOMIT ou « Victims Of Modern Imaging Technology », (« Victimes des Techniques d’Imagerie Modernes »).

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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